Mouvements “eurosceptiques”: véritables adversaires de l’Europe?

01 December 2016 /

Souvent les mouvements eurosceptiques sont assimilés à des ennemis de l’Europe, nuisibles dans l’optique d’une intégration européenne toujours plus poussée. Mais les mouvements et partis classés eurosceptiques sont-ils réellement toujours des détracteurs de l’Union?

  • Rhétorique populiste et manque d’expertise de la machinerie institutionnelle  européenne

La plupart des critiques faites  aux partis désignés comme populistes peuvent être synthétisées autour de deux lignes d’argumentation.
Premièrement, ces derniers exploiteraient des dynamiques démagogiques, par conséquent loin des réalités étatiques et impliquant une action de “tromperie” envers l’électeur, parfois considéré incapable de filtrer entre ce type de discours – fumeux, irréaliste –  et la complexité des problématiques à traiter.

Mais, malheureusement, le populisme n’est plus depuis longtemps une prérogative des seuls eurosceptiques. Le cas de Renzi en Italie en est un exemple.  Au seuil du référendum sur l’approbation de la nouvelle réforme constitutionnelle qui abolira notamment le bicaméralisme parfait,  sa campagne pour le “oui” est penchée prévalemment sur arguments qui peuvent être largement identifiés comme populistes, décrivant notamment de la baisse des coûts de la politique une avancée phare de cette nouvelle constitution. Non au hasard, les hauts coûts de la politique est un des fers de lance du parti “populiste” italien, Movimento 5 Stelle, appelé comme tel juste en raison d’une critique incisive envers à l’élite italienne et européenne, accusée de ne représenter que les intérêts de la classe “supérieure”, loin de celle de la volonté populaire.

Un deuxième cas éclatant de récupération de la rhétorique populiste par des partis plus “classiques” est celui du Brexit. Face à l’opposition de Farage (Ukip), le premier ministre David Cameron a décidé la mise en place un référendum sur une éventuelle sortie de l’Union Européenne sans réellement se questionner sur son éventuelle issue et dans le but d’obtenir un marge de manoeuvre plus vaste. Il a été avancé nombre de fois que ce dernier pensait pouvoir exploiter ce référendum comme un plébiscite politique et ainsi confirmer sa place en tant que leader britannique par le consensus populaire.

La seconde critique envers les partis eurosceptiques porte sur le manque allégué d’expertise de ces derniers sur le fonctionnement de l’Union Européenne ainsi que sur les problématiques complexes évoquées sur la scène publique nationale et européenne.

Une des justification apportée est que ce manque d’expertise serait dû au caractère  relativement nouveau de ces partis. Ceux-ci n’ayant jamais eu accès au pouvoir auparavant sont logiquement  en devoir d’apprendre le “métier” de politicien, processus qui prend à la fois du temps et nécessite justement un accès au pouvoir. Au contraire, évoquer l’incapacité de ces nouveaux arrivés, uniquement sous prétexte qu’ils seraient nouveaux-venus, suggérerait une vision trop élitiste, presque aristocratique de la société et, partant de là, de la démocratie.

Le populisme est donc un phénomène plus transversal de nos jours qu’il n’y paraît, caractérisant tout type de parti, gauche comme droite, institutionnelle comme anti-système. Un lien est probablement à faire avec l’évolution structurelle de la communication politique moderne due à la récente transformation des médias et notamment l’apparition d’internet et des réseaux sociaux où la propagande politique collective bat désormais son plein.

  • Le cas italien: le Movimento 5 Stelle

Né en 2009 en réaction aux difficultés de la crise économique et aux mesures d’austérité, le Mouvement 5 Étoiles est passé rapidement de l’anonymat à un succès électoral extraordinaire, le mouvement étant désormais la deuxième force politique du panorama italien.

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Virginia Raggi, Maire de Rome

Des origines du parti – la crise financière – découlent sa logique “anti-système”: au niveau national, en tant que force politique contre les élites italiennes actuelles considérées comme trop corrompues;  et au niveau européen, en tant que force anti-euro et fortement critique des politiques européennes d’austérité.
Mais, si sa nature originelle est fortement protestataire, son incroyable élargissement d’électorat a porté le Mouvement 5 Étoiles à s’engager un processus de transformation vers une graduelle institutionnalisation et touchant à la fois  le langage et l’image des candidats. Ces derniers sont d’ailleurs de plus en plus considérés comme adéquats et qualifiés : un exemple probant est l’élection de la nouvelle bourgmestre de Rome Virginia Raggi, candidate 5 Stelle qui a gagné sur le Parti Démocrate (parti du premier ministre M. Renzi) avec une majorité écrasante (environ 60%!).De plus, elle est la première femme à avoir jamais occupé cette fonction à Rome.

A l’instar de sa métamorphose au niveau national, les positions les plus “extrêmistes” des 5 Stelle sur la scène européenne s’atténueront probablement au fur et à mesure que leur poid politique argumentera. D’ailleurs ce Mouvement n’a jamais fondé son programme sur des rhétoriques xénophobes ou racistes contrairement à nombre de partis populiste. En ce sens, ce type de parti serait même bénéfique à l’UE, réduisant l’espace dévoué à certains partis “populistes”mais bien plus dangereux, comme le Front National ou la Ligue du Nord.

La théorie selon laquelle les partis eurosceptiques, sous prétexte de leur opposition à une intégration européenne plus poussée, seraient les adversaires véritables de l’Europe et la cause même de sa crise politique n’est pas acceptable. Probablement, plutôt qu’en être la cause, ils en sont le symptôme. Ces partis, anti-euro, anti-système, critiqués pour être toujours “contre” quelque chose sans jamais comprendre la complexité réelle des choses, ne sont que l’expression d’une réelle désaffection envers les institutions – nationales et européennes- que la politique doit prendre en compte, plutôt que de les classifier comme “moralement” inférieurs. Plus ces partis seront laissés en marge, plus leur électorat ira croissant, déçu par le manque d’écoute des institutions. Ces nouvelles réalités sont donc l’expression d’un réel mal à l’aise d’une grande partie de la population européenne, qui voit l’Europe comme une entité étrangère et intrusive qui, jusqu’à présent, les ignore voire leur nuit. Distorsions et exploitations médiatiques à part, il demeure néanmoins impossible de dire que l’Europe d’aujourd’hui est parfaite: au contraire, elle est en crise. Et, comme le succès croissant des mouvements eurosceptiques le démontrent, il serait temps de s’attarder sur les réelles causes de cette crise.

Martina Lillo  est en Master in the University of Rome LUISS, in European Studies.

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