Opinion sur les élections françaises

28 April 2017 /

Aujourd’hui, je n’ai plus les mots. Je n’ai plus les mots pour exprimer ce que je ressens. Est-ce de la peur, de la détresse, de la surprise, de la honte ? Je suis devenue incapable de mettre des mots sur mes émotions. Alors, comme à chaque fois que cette incapacité surgit, j’écris.

© AFP PHOTO / FRANCK FIFE


« Il n’est point d’État auquel je refuse plus nettement le nom de chose publique qu’à celui qui est placé tout entier dans les mains de la multitude. […] il n’existe point de peuple pour moi s’il n’est contenu dans le lien commun de la loi. Hors de là, cet assemblage d’homme est tyran aussi bien qu’un seul homme et même tyran d’autant plus odieux qu’il n’est rien de plus terrible que cette bête féroce qui prend la forme et le nom de peuple. »  Cicéron, De la République


Voici les faits, rentrés dans l’Histoire au moment même où ils ont été officialisés : les candidats Emmanuel Macron et Marine Le Pen accèdent le Dimanche 23 avril 2017 au second tour de la Présidentielle en France avec respectivement 24% et 21,3%. Deux candidats qui mettent en porte à faux le règne de l’éternel second tour Droite/Gauche. Aujourd’hui, nous avons un second tour qui oppose l’extrême droite et le centre libéral.

Ce n’est pas tant face aux chiffres que je me trouve démunie. C’est plutôt dans les réactions des électeurs insatisfaits du résultat. Ces électeurs ‘insoumis’ qui souhaitent l’avènement d’une nouvelle République. Ces électeurs qui veulent une France capable à la fois de protéger la population et d’accepter l’ouverture de ses frontières. Finalement, ces électeurs de gauche qui ont perdu foi en la social-démocratie avec le gouvernement de Valls et la présidence de François Hollande. Mais aussi, ces électeurs de droite, déçus du candidat Fillon, qui ont refusé de voter pour un candidat ne partageant pas leurs valeurs.

Que doit-on ressentir, quand on constate l’échec d’une Démocratie, d’une République ?

La première question qui me vient à l’esprit concerne ce constat d’échec. D’où vient-il ? Tout d’abord, je suis surprise du taux d’abstention. Ces 22,23% d’abstentionnistes, soit 10 577 572 individus qui n’ont pas souhaité donner leur voix à l’un des 11 candidats. Pourquoi ? Si l’on regarde les candidats et les programmes, l’on réalise facilement qu’ils ne sont pas si différents les uns des autres. Ils ne représentent pas la diversité des choix politiques que doit pouvoir procurer une démocratie à travers des élections libres. Cinq candidats se réclament de la droite conservatrice, voire souverainiste. Deux candidats ont choisi de ne pas prendre position sur l’échiquier politique, l’un étant libéral, l’autre favorable à un recentrage politique à l’échelle communale. Les quatre restant font partie de la gauche qui s’est « gauchisée » avec le mandat de François Hollande. Parmi ces candidats, deux se placent du côté des travailleurs, et deux autres se revendiquant de l’héritage de la ‘vraie’ Gauche (Communiste, social-démocrate?). Ces deux mêmes n’ont pas su s’entendre pour présenter une seule et même candidature. Résultats, le parti traditionnel dégringole et la France insoumise progresse à la surprise générale.

À voir cela, l’on se demande où est passé le reste, où sont les autres partis politiques français ? Qu’a-t-on fait des Verts ? Certes, il y a eu un accord entre M. Hamon et M. Jadot en février dernier. Mais je n’ose croire que les verts regroupent à l’heure actuelle moins de 6% de l’électorat de Gauche. Où sont passés les conservateurs modérés ? Se retrouvent-ils dans les idées, les valeurs défendues par le programme de François Fillon? Où sont passés les monarchistes, les radicaux de gauche, les centristes, les sociaux-démocrates… ? La Campagne présidentielle 2017 affiche une proposition de candidats exhaustive mais incapable de représenter l’ensemble du paysage politique actuel. À qui la faute… ?

De la même manière, je suis surprise de voir le peu de continuité attribuée aux manifestations citoyennes de ces dernières années. Quels sont les résultats électoraux issus des manifestations citoyennes? Quel vote pour les participants à Nuit Debout? Quel vote pour tous ceux qui sont descendus dans la rue et ont crié ensemble « Je suis Charlie »? Quel vote pour ces Européens convaincus, voulant une Europe fédéraliste ? Se sont-ils retrouver entièrement dans les programmes des candidats ? Mon sentiment se rapproche ici de la déception, car je n’arrive pas à répondre à cette dernière question par l’affirmative.

Ainsi, la France, que dis-je, la Démocratie Française sous la Ve République n’a pas su mettre en avant l’ensemble des positions politiques que peuvent avoir ses citoyens. Quelle justification peut être recevable pour un tel acte anti-démocratique ?

Le bat blesse encore au sein de l’électorat des jeunes. Et là, mon sentiment s’apparente à de la honte. Reprenons les faits désormais historiques de ce second tour :

  • Les partis « traditionnels » ne sont pas représentés
  • Le Front National est pour la seconde fois de son histoire au second tour de la Présidence de la République.
  • Un parti créé il y a à peine un an, a su s’imposer comme première force politique à l’issus du scrutin.
  • Et (petit plus), c’est la seconde fois dans l’Histoire de France qu’une femme accède au second tour de l’élection présidentielle. Mais, c’est bien la première fois, qu’elle a toutes ses chances de l’emporter.

Ce sont là des faits qui démontrent un malaise profond de la société française actuelle. Un malaise qui se traduit et se ressent surtout lorsqu’on regarde le vote des jeunes: 30% ont voté pour la France insoumise, et 21% pour le Front National. Les jeunes n’ont plus peur de voter pour les extrêmes. Cela devient la norme. Quels sont les raisons de ces votes ? Pourquoi, tant de jeunes sont à ce point désepérés du système politique actuel? Les affaires de M. Fillon et Mme. Le Pen peuvent expliquer une partie de ce désespoir, la politique de M. Hollande peut expliquer une autre partie. Mais est-ce là tout, le reste, où est-il… ?

Suis-je la seule à ressentir que nous sommes en train d’abandonner ? Que reste-il des mouvements citoyens, des manifestations, des rassemblements des jeunes des 30 dernières années : La Marche pour l’Egalité en 1983, les grèves de 1995, les rassemblements à République en 2002, les manifestations de 2006… ? J’oubliais que nous sommes (encore) sous l’Etat d’urgence, et les rassemblements sont interdits. Devons nous toujours considèrer que nous sommes dans une démocratie ?  Mais dans quelle type de démocratie exactement, et pour quel État de droit ?

C’est là où mon désarroi est le plus grand. Quand nos libertés, nos droits sont d’ores et déjà baffoués et que je constate le découragement des citoyens à travers le #Le7maiSansMoi. Quand des électeurs ont tellement perdu foi en la Politique qu’ils ne trouvent plus la force de se battre contre les extrêmes, et préfèrent les embrasser…

La peur me submerge enfin, quand je regarde les futurs possibles pour la France. Je ne veux pas que la situation de la France de demain ressemble à ce qu’est aujourd’hui, la situation en Hongrie, en Pologne, en Turquie, en Russie et dans une certaine mesure aux Etats-Unis.

Malgré cela, j’ai encore quelque part en moi un sentiment d’espoir. Je crois aux valeurs républicaines, à la Démocratie, à la participation citoyenne. Je ne crois pas en cette démocratie fast-food, de façade, qui nous donne le droit de nous exprimer quand bon lui semble. Je crois en la capacité qu’ont les français à savoir se faire entendre. Je crois au droit de grève, à la confrontation des idées, à la prise du pouvoir par, pour et avec les citoyens.

Pour toutes ces raisons, je participerai à la vie politique le 7 mai prochain et les autres jours aussi. Je ne parle pas d’un vote utile ou de cœur, je parle de reprendre la vie politique à travers ce qu’il y a de moins pire selon Churchill : la Demos cratie.

#Le7maiAvecMoi

 

 

Marie Lavayssière est étudiante en Master à l’Institut d’Etudes Européennes

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