Cinq problèmes avec les listes transnationales de Macron

13 September 2017 /

Le 7 septembre dernier, Emmanuel Macron twittait qu’il défendait « des listes transnationales pour les prochaines élections » européennes de 2019. Selon Europe 1, le président français souhaiterait « mettre sur une même liste des candidats du même bord politique mais de nationalités différentes » (Lambrecq, 2017). Quatorze pays différents par liste pour être précis. C’est-à-dire qu’au lieu de voter pour des partis nationaux, nous aurions l’occasion de voter, indirectement, pour des partis européens étrangers se trouvant sur la liste de notre choix. Une bonne idée en soi pour ceux qui souhaitent favoriser plus d’intégration européenne ainsi que des élections plus claires et démocratiques. Mais avoir une bonne idée n’est pas tout. Cinq problèmes potentiels se dessinent avec les listes transnationales d’Emmanuel Macron.

  1. Une même idéologie peut cacher différents projets politiques

Le président français souhaiterait mettre sur les listes électorales des partis et candidats de différents pays en les réunissant selon leur idéologie politique. Théoriquement, cela voudrait dire que le parti de Merkel, de Berlusconi et d’Orbán (tous trois conservateurs) devraient être réunis sur une même liste. Pourtant, ils ne s’entendent pas. Angela Merkel défend l’idée d’accueillir les réfugiés en Europe tandis que Viktor Orbán, lui, déclare que la migration est « un cheval de Troie pour le terrorisme », et ce en présence de la chancelière allemande Merkel (Donahue & Wishart, 2017). Compliqué alors de les rassembler sur une même liste électorale. Nous pouvons voir ici que de mêmes idéologies peuvent cacher différents projets politiques. Un autre exemple est celui de l’Estonie : le Parti du centre et le Parti de la Réforme sont tous deux des partis avec une idéologie libérale. Mais l’un est pro-russe avec le support d’ethnies russes alors que l’autre est pro-UE avec le support d’ethnies estoniennes. Comment pourrions nous mettre ces deux partis d’accord et les présenter sur une même liste électorale ? De plus, quelle serait la réaction des Estoniens si cela arrivait effectivement ? Dans ce cas de figure, ces deux partis risqueraient de perdre des points de pourcentage aux élections européennes et nationales, car les électeurs seraient mécontents de cette alliance. Pour la création de listes transnationales, il faudra donc faire attention aux idéologies, ainsi qu’aux ambitions et projets politiques de chacun, ce qui prendra du temps.

  1. Où sont les groupes politiques du Parlement européen ?

L’initiative des listes transnationales d’Emmanuel Macron est en accord avec son désir de promouvoir la « reconstruction de l’Europe » (AFP, 2017). Mais alors, pourquoi ne pas aller plus loin et directement faire des listes avec les « partis » européens ?  Ces partis, ou plutôt ces groupes politiques transnationaux pour être exact, existent déjà au Parlement européen (PE) et consistent en plusieurs partis nationaux de l’UE mis ensemble en fonction de leurs idéologies. Nous pouvons citer par exemple l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE), composé du MR, du Open VLD, du parti libéral danois, etc. Ou bien le Parti populaire européen (PPE) dans lequel nous pouvons trouver le CDU allemand, le CDH, le CD&V, Forza Italia, et beaucoup d’autres. Ils existent plusieurs groupes politiques au PE, donc pourquoi ne pas les mettre sur les listes électorales ? De plus, les listes de Macron seraient composés de 14 nationalités différentes. Pourquoi ne pas mélanger les nationalités de tous les pays membres de l’UE, comme c’est le cas avec les groupes politiques du PE ? Selon le diplomate Pierre Jouvenat, mettre directement en place des listes transversales composées des groupes politiques du PE serait la meilleure des solutions car ainsi « l’ensemble du processus électoral devient une action conjointe du parti européen et de ses partenaires nationaux : des campagnes pan-européennes sont conçues et coordonnées au niveau européen, mais exécutées de manière décentralisée par les partis nationaux qui en assurent la logistique. De quoi renforcer les synergies au sein d’une même famille politique » (Jouvenat, 2017). Néanmoins, nous pouvons concevoir que cette idée est plus ambitieuse, et donc encore plus difficile à mettre en place que les listes transnationales de Macron, ce qui nous mène au point suivant.

  1. Deux ans pour changer la législature de 27 pays

Emmanuel Macron souhaiterait que les nouvelles listes électorales soient déjà utilisées pour les élections européennes à venir en 2019. C’est-à-dire qu’il n’aurait que deux ans pour mettre ce plan en place. Certes, pour y arriver, Macron n’a besoin d’aucun changement du Traité de l’UE, mais il devra quand même réussir à convaincre chaque pays membre de modifier sa politique électorale avant 2019 (RT, 2017). Ce sera corsé, mais pas impossible. Comme l’Accord de Paris sur le climat le démontre, tous les pays membres de l’UE peuvent se mettre d’accord sur une politique en moins de deux ans. La majorité des pays membres avaient même ratifié ce traité en moins d’un an (Nelson, 2016). Mais dans le cas de l’Accord de Paris, les pays membres parlaient déjà à l’unisson au préalable. Ce qui n’est pas le cas pour les listes transversales de Macron, qui sont une idée nouvelle. De plus, les pays de l’Est de l’Europe semblent être contre Macron. On peut déjà imaginer leur argumentaire négatif affirmant que cette réforme électorale est un plan de l’UE ou de George Soros pour éroder la souveraineté nationale (Gotev, 2017). Ce genre de propagande est à la mode, surtout à l’est de l’Union (Bondarenko, 2017). Le défi est donc de taille pour le plus jeune président de la France. Une solution pourrait être de faire en sorte que deux ou trois pays membres adoptent sa réforme unilatéralement, quitte à avoir moins de députés européens nationaux. Une sorte d’Europe à deux vitesses, en attendant que les autres pays membres soient convaincus de rejoindre le nouveau système lors des élections de 2024. Ou alors Macron devrait peut-être retourner à son idée originelle, c’est-à-dire celle de créer seulement des listes pan-européennes pour les 72 sièges britanniques qui seront vacants à cause du Brexit (Robert, 2017). Et ensuite seulement, si ça fonctionne bien, élaborer des listes transnationales pour tous les sièges en 2024. Moins ambitieux, mais plus réaliste.

  1. Plus d’input, mais pas d’output

Comme l’a dit Pierre Jouvenat, avoir des listes transversales auraient un impact psychologique garanti sur les électeurs (Jouvenat, ibid). Cela permettrait d’avoir un plus grand taux de participation, de faire campagne sur des problèmes transnationaux, et donc en théorie, d’avoir des élections européennes considérées comme étant plus démocratiques (Rankin, 2016). Ces mesures augmenteraient donc la légitimité du Parlement européen grâce à des inputs, c’est-à-dire de la légitimité basée sur les fondements du pouvoir en place. Ce qui est une bonne chose en soi. Mais quid des outputs, c’est-à-dire de la légitimité basée sur les résultats ? (Louault, 2015) Si les gens s’investissent plus dans les élections européennes mais que nous ne donnons pas davantage de pouvoir au PE, ils seront encore plus déçus quand les résultats du Parlement sont faibles. Les critiques envers le PE seront encore plus dures.  Et évidemment, peu de personnes comprennent le droit de l’Union européenne et peuvent comprendre que le Parlement n’est pas en faute. Augmenter l’input (élections plus claires et directes) sans augmenter l’output (pouvoirs du parlement) pourrait donc mener à une plus grande déception chez les votants au final.

  1. Une opportunité pour les eurosceptiques?

Cette réforme europhile de Macron a pour but d’amener plus d’intégration européenne. Mais cette réforme pourrait se révéler à double tranchant et permettre aux partis nationalistes, fascistes, néo-nazis, ultraconservateurs, etc., de s’allier. Par exemple, le parti d’extrême droite Fidesz a déjà des relations avec le parti fasciste Jobbick ainsi qu’avec d’autres partis extrêmes au-delà des frontières hongroises. Leur point commun à tous est de ne pas aimer l’Union européenne. Les listes transnationales pourraient leur offrir l’occasion d’augmenter leur poids politiques et d’homogénéiser leur agenda, tandis que les autres partis plus mainstream avec moins de points communs, quand bien même ils auraient une même idéologie, auraient plus de mal à s’allier. Certes ce n’est qu’une théorie, et les partis d’extrême droite peuvent avoir des désaccords aussi. Par exemple, le FN considère le parti Jobbick comme trop « extrême » que pour travailler avec eux (Gauquelin, 2017). Tout de même, il faudra y faire attention.

Conclusion

Une bonne idée avec des faiblesses, c’est ainsi que nous pouvons résumer la réforme électorale de Macron au final. D’un côté, ces listes permettront d’accélérer l’intégration européenne et de démocratiser davantage les élections européennes. Mais de l’autre côté, il faudra faire attention à ce que les partis se mettent d’accord facilement pour s’allier sur des listes transnationales. Il faudra aussi que nous augmentions les output du PE et que cette réforme ne devienne pas un avantage pour les partis d’extrême droite.

Des changements pourraient être faits. Comme passer de 14 nationalités par liste à 27, ou utiliser les groupes politiques du PE. Peut-être faudrait-il instaurer ces réformes en deux temps pour ne pas trop déboussoler les pays qui y sont opposés, en commençant d’abord par les anciens sièges des britanniques et étendant ensuite la réforme à tous les sièges ? De plus, peut-on vraiment espérer un changement de mentalité des partis nationaux ou ne continueront-ils pas à faire campagne sur des arguments et problématiques locales au lieu de problèmes européens communs ? Enfin, est-ce que le niveau de participation aux élections européennes augmenterait vraiment grâce à ces nouvelles lois ? Nous pouvons qu’espérer le mieux pour la création future des listes transnationales.

Robin Vanholme est étudiant en 1ère année à l’Institut d’études européennes de l’ULB.

Sources:

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