« Frontera invisible », le côté obscur des biocarburants [CaféBabel]

24 March 2017 /

Le mardi 7 février fut projeté en avant-première au Parlement européen Frontera Invisible, le documentaire de l’ONG Transport & Environment qui dévoile le côté obscur des biocarburants. Cafébabel s’est entretenu avec Nico Muzi, l’un des réalisateurs, qui a vu de ses propres yeux les conséquences de l’exploitation de l’huile de palme en Colombie.

76036fba6ae46f577ef43987fa33b5ba
« El negro Martin » de Tierra Nueva | © Nicolás Richat

Beaucoup connaissent les problèmes posés par l’huile de palme dans l’alimentation industrielle, notoirement connus depuis l’affaire Nutella en France et ses conséquences sur l’environnement. Greenpeace avait notamment réalisé une série de vidéos de sensibilisation, détournant les publicités deKitkat, pour sensibiliser Nestlé sur son rôle dans la déforestation et sa répercussion sur l’habitat naturel des orangs-outans.

Dans ce documentaire, Nico Muzi met en avant deux enjeux méconnus du grand public sur l’huile de palme: l’impact humain de la déforestation, l’exploitation et l’appropriation des terres dans le but de cultiver l’huile de palme, et l’origine de cette consommation : les biocarburants.

Nico Muzi | © Digby Washer

Tout n’est pas bon dans les biocarburants

La législation européenne promeut la consommation de biocarburants. En effet, dans le cadre de la directive sur les énergies renouvelables, « les États membres sont tenus de se procurer à hauteur de 10% en énergie renouvelable pour les transports d’ici 2020 dans le cadre de la stratégie EU2020 » , nous confie Muzi après l’événement. Cette directive a généré une hausse significative de la demande en biocarburants et notamment en biodiesel. Selon l’organisation OILWORLD, 46 % de la consommation de ce type d’huile se retrouve dans les biocarburants utilisés pour les voitures et les camions.

Consommation d’huile de palme en Europe en 2015 | OILWORLD / T&E

Or, cette consommation n’est pas sans effet sur la population de régions exploitées. L’exemple de laColombie dans le documentaire est assez frappant. L’exploitation entraîne des déplacements de population, l’exode urbain et des conflits armés entre la guérilla des FARC et les paramilitaires d’extrême droite. Les groupes armés se battent pour l’accaparement des terres. Résultat? De nombreuses victimes civiles.

De sérieuses violations des droits de l’Homme sont perpétrées dans les régions de Santa Marta, Choco et Meta, mais le gouvernement ferme les yeux sur ce conflit. Le documentaire montre un discours du président Juan Manuel Santos, qui défend les avantages de la production de l’huile de palme et semble oublier son côté obscur.

Nico Muzi dresse le portrait de ces personnes à travers les témoignages de paysans, pêcheurs, agriculteurs de la région. Nico nous rappelle que beaucoup de ces Colombiens avaient été obligés à quitter leurs maisons et même leurs familles au début des années 1990 à cause de la guerre. « On leur avait promis que le gouvernement allait lutter contre les groupes armés et qu’ils pourront rentrer chez eux. Cependant, lorsque les campesinos (paysans, agriculteurs locaux) sont retournés dans leurs régions en 2000, ils ont vu leurs terrains remplis de palmiers. Et puis, les conflits armés persistaient. » La situation est difficile et personne ne sais comment tout cela finira. « Pour l’instant il y a encore des terres inexploitées, car la guérilla des FARC les occupaient. Maintenant avec les accords de paix, il est légitime de se demander ce que vont devenir ces terres. »

Des bénéfices qui ne profitent pas à tous

« Pour une exploitation viable, c’est à dire rentable, il faut un terrain d’environ 3000 hectares, c’est un énorme investissement pour un agriculteur local, donc il n’a pas accès à cette activité ». C’est donc les industries qui se taillent la part du gâteau et qui emploient des travailleurs locaux pour l’exploitation. « Sans parler des parasites dûs à la monoculture qui demandent l’utilisation de pesticides qui ont un coût. »

Cependant, avec un rendement à 80%, l’huile de palme est le biocarburant le plus populaire, le moins cher à produire. Pourtant si l’on calcule les effets collatéraux de l’exploitation, il génère plus d’émission de gaz à effet de serre – trois fois plus dangereux que le pour le climat que le diesel fossile.

En effet, l’expansion de l’exploitation de l’huile de palme entraîne la déforestation et le drainage des tourbières en Asie du Sud-Est, en Amérique latine et en Afrique. Autant de zones touchées par les mêmes effets qu’en Colombie, comme le Bassin du Congo et le Libéria, un pays qui détenait le record de la plus grande couverture forestière de l’Afrique de l’Ouest. Laurence Wete, membre de l’ONG camerounaise FODER, et Jonathan Yiah, du Sustainable Development Institute liberian, ont partagé leurs expériences. En Afrique, une énorme superficie de forêt est souvent vendue aux multinationales étrangères. Les habitants de ces régions parfois ne touchent rien de cet argent.

Mme Laurence Wete | © Digby Washer

Quelles alternatives?

« Il faut un terrain de football de n’importe quelle monoculture de biocarburant pour une faire rouler une voiture, le même terrain de photovoltaïque fait rouler 100 véhicules électriques » , note Nico. Pour le réalisateur, la solution réside dans l’énergie solaire, l’énergie hydraulique et éolienne. Cettes alternatives seraient plus efficaces que les biocarburants et nuiraient moins à l’environnement.

Palmiers en Colombie | Nicolas Richat
Share and Like :