Identités européenne et écossaise : le mariage est-il possible ?

21 January 2020 /

6 min

Identités écossaise et européenne

Cet article a initialement été publié dans l’édition n°31 du magazine Eyes on Europe.
 
Dans une Union européenne où grandit l’euroscepticisme, le gouvernement écossais, avec à sa tête le Scottish National Party (SNP), se démarque en se montrant aujourd’hui europhile. Cette tendance a été confirmée lors du vote pour le « Brexit », où le « remain » l’emporta. Une indépendance au sein de l’Union européenne est aujourd’hui l’objectif porté par cette nation, mais est-elle réalisable ? 
 

Du sentiment identitaire écossais à l’envie d’indépendance

« L’Ecosse, vieille nation, jeune Etat » est le titre donné par Jacques Leruez à l’un de ses ouvrages. Chercheur associé au CERI et spécialiste des institutions du Royaume-Uni, il affirme que « les Ecossais sont patriotes de cœur mais unionistes de raison ». Ces deux citations mettent en exergue la complexité écossaise. Bien qu’ayant une culture propre, l’Ecosse est rattachée au Royaume-Uni depuis 1707, date à laquelle elle perdit son indépendance. Ce n’est qu’après les réformes institutionnelles de décentralisation menées par Tony Blair ainsi que la création d’un parlement écossais à la fin du XXème siècle que l’Ecosse se retrouva autonome dans des domaines comme l’agriculture ou la pêche normalement dévolus à Londres. 
Ce tournant politique ne l’a pas empêchée, en 2014, d’organiser un référendum sur son indépendance. Bien que le peuple se prononça à la majorité contre, il fut la concrétisation de plusieurs années de lutte pour l’indépendance écossaise, menée par le Scottish National Party. Ce dernier connut en effet un essor dans les années soixante, au moment où la question de l’adhésion du Royaume-Uni dans l’Union européenne commençait à être débattue. Il est aujourd’hui un des partis majeurs en Ecosse. C’est en 2007 qu’il gagna les élections parlementaires pour la première fois et put organiser sept ans après le référendum sur l’indépendance. 
Plusieurs raisons ont été mises en avant et continuent de faire force lors des débats publics. Elles peuvent être résumées en quatre points principaux. Des raisons identitaires prédominent. La culture et l’histoire communes à la nation écossaise pourraient expliquer son envie indépendantiste. Le dialecte diffère notamment, et comme expliqué précédemment, elle n’est rattachée au Royaume-Uni que depuis le début du XVIII siècle. Des questions économiques sont aussi mises en avant, et l’on peut facilement citer la question du pétrole présent dans la mer du Nord. La légitimité démocratique et la bonne gouvernance sont aussi des arguments que l’on peut souvent entendre.
 

Le Brexit : une rupture ?

La thématique de l’indépendantisme écossais a été relancée après les résultats du « Brexit ». Elle n’est pas un sujet passé, mais bel et bien d’actualité. L’Ecosse, comme l’Irlande du Nord, s’est prononcée contre une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. En effet, une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne, quel avenir pour une Ecosse dont les ressortissants ont voté à 62% pour y rester ? L’identité du Royaume-Uni s’est toujours distinguée de l’identité européenne et l’euroscepticisme n’est pas un sujet nouveau en Grande-Bretagne. Cependant, l’Ecosse se distingue de ses voisins en adoptant depuis quelques années une politique largement europhile. On pourra par exemple mettre en avant la possibilité pour tout citoyen européen de réaliser son Bachelor gratuitement dans les universités écossaises.  
Or, de nombreux spécialistes expliquent l’échec du référendum de 2014 par des craintes économiques, mais aussi par une réticence de la part de la population écossaise à se voir sortir de l’Union européenne. Une fois le Brexit entériné, cette dialectique n’aura plus raison d’être. Les cartes ont donc été totalement rabattues. L’argument du précédent “non” quant à la peur de quitter l’Union européenne en cas d’indépendance ne prévaudra plus.
 

Comment expliquer l’engouement européen d’un parti dit nationaliste ?            

Aujourd’hui, les principaux partis nationalistes d’Europe sont opposés à l’intégration européenne, voire aux traités européens eux-mêmes, comme le parti du Front national en France ou le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Cependant, la logique des partis régionalistes et minoritaires est différente. En reprenant les mots de Roccu Garoby, « ces partis nationalistes sans États » sont généralement progressistes. Le SNP, bien qu’ayant des revendications nationalistes, se distingue en étant de centre-gauche et en proclamant son attachement à l’Union européenne depuis la fin des années septante jusqu’à aujourd’hui. La question est d’autant plus d’actualité que d’autres mouvements minoritaires demandent leur indépendance au sein même de l’Union européenne, comme c’est le cas en Catalogne.
La thématique de l’Union européenne est devenue une composante majeure de la stratégie des partis régionalistes comme le Scottish National Party, pour différentes raisons. Une Union européenne plus forte et une intégration plus poussée riment avec l’affaiblissement de la souveraineté des Etats, ce qui constituerait une chance pour le mouvement d’obtenir plus de pouvoir. Des questions économiques sont bien évidemment avancées, l’accès au marché unique européen est mis en avant par le SNP comme un atout et une chance pour l’Ecosse.
 

Et du côté de l’Union européenne ?

L’Union européenne s’est déjà prononcée quant à une possible indépendance, que ce soit la Catalogne ou l’Ecosse. Le nouvel État fraîchement indépendant ne sera pas directement considéré comme pays membre de l’Union européenne. Bien au contraire, il devra faire une demande d’adhésion à l’Union européenne et devra être accepté à l’unanimité des pays membres. Cependant, l’Union européenne aurait changé de regard quant à la question écossaise depuis le référendum de 2014. Herman Van Rompuy, ancien président du Conseil européen, a publiquement indiqué qu’une demande d’adhésion de la part de l’Ecosse pour rejoindre l’Union européenne serait sérieusement considérée en cas d’indépendance obtenue. Alors que la présidence Barroso émettait des doutes quant au référendum de 2014, le vent semble tourner à Bruxelles en faveur du gouvernement écossais. Le choix du Royaume-Uni de quitter l’U.E a altéré l’opinion européenne quant à l’indépendance écossaise.
A noter que l’ombre catalane est largement reprise comme argumentaire contre une accession de l’Ecosse dans l’U.E. car elle serait vectrice de légitimations. Mais ces deux cas diffèrent en plusieurs points. Le Royaume-Uni a accordé un référendum en 2014 à l’Ecosse, et ce dernier s’est passé avec l’accord du Royaume-Uni, contrairement à la Catalogne où l’Espagne parle de “coup d’Etat”. L’Etat espagnol a d’ailleurs récemment condamné certains indépendantistes à des peines allant de 8 à 13 ans. L’élargissement requiert l’unanimité des Etat membres au sein du Conseil européen, et l’Espagne pourrait bien être le plus récalcitrant. 
Mais la question n’est pas figée et dépendra du futur deal concernant le Brexit. L’adhésion de l’Ecosse à l’U.E. sera facilitée si un soft Brexit est privilégié, c’est-à-dire si des accords sont trouvés concernant les futures frontières au sein du Royaume-Uni.  
 

Conclusion

La concrétisation d’une future Ecosse indépendante est de plus en plus plausible. Dans un récent sondage, le “oui” pourrait pour la première fois l’emporter et serait un tournant non seulement pour l’Ecosse, mais aussi pour un futur Royaume-Désuni ? L’Union européenne devra par ailleurs gérer cette situation inédite. Suivra-t-elle le dicton qui l’a façonnée à savoir “La liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes” ou la crise catalane émiettera-t-elle tout espoir ? Le futur accord sur le Brexit et ses dispositions seront inexorablement une variante déterminante. Le Brexit exacerbe les tensions entre les différentes identités au Royaume-Uni. L’Irlande du Nord, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Angleterre ne sont maintenant unis au sein d’un même Royaume que par les institutions. 
 
Mina Pécot-Demiaux est étudiante en première année de master en études européennes au sein de l’IEE.

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