EU-Logos : #LaRéplique – Par-delà les rhétoriques binaires entre “progressistes” et “nationalistes”

14 November 2018 /

Cet article a été initialement publié par nos partenaires EU-Logos Athena et fut écrit par Victor Gardet.

Ci-dessus, sur la toile peinte par Paolo Uccello vers 1470, on peut y reconnaître Saint Georges (le bien) combattant le dragon (le mal). Mais ce qui nous intéresse sur ce tableau c’est la princesse symbolisant l’âme humaine, origine et but de la lutte. Elle est à la fois spectatrice et dépendante (par la corde) de cet antagonisme, attendant religieusement que le chevalier tue la bête.

Soumettre les citoyens de l’Union Européenne et de chaque Nation qui la compose, aux diktats d’une dialectique à deux bords et quasi manichéenne présente nécessairement plusieurs vices cachés. Ce bras de fer qui vient de commencer, au-delà de la perspective qu’il représente stratégiquement pour les élections européennes de 2019, oriente les idées, les débats et alimente l’évolution de la pensée politique d’une bien triste manière. Emmanuel Macron à la tête des “progressistes”, comme il se définit lui-même, viendra se confronter à un seul et même bloc face à lui : celui des extrémismes de Salvini, Le Pen et Orban. Il s’agira d’aller par-delà le bien et le mal comme nous le conseillait autrefois Friedrich Nietzsche.

L’objectif prochain des droites dures est exactement le même, bien que symétriquement opposé : dissimuler toutes les nuances et les variations entre d’un les mondialistes d’un côté, et les nationaux souverainistes de l’autre. Or, cette vision binaire est problématique, et pourrait bien même, à moyen-long terme, devenir dangereuse. Afin de mieux comprendre, il faut commencer par ajouter une première tonalité, qui retrace les origines et les ambivalences de ces nouveaux pôles politiques ; les connivences et nuances entre radicaux de gauche et de droite. Comment leur rapport à l’ouverture sur le monde donne raison à ceux qui voudraient bien les confondre? Le sujet de l’immigration semble être le point fragile qui divise les extrémistes entre gauche et droite, mais qui très nettement donne l’avantage à l’extrême droite.

La position de Jean-Luc Mélenchon (JLM) sur l’immigration n’est pas tout à fait claire, et pour beaucoup d’observateurs de la politique française, il entretiendrait même consciencieusement cette ambiguïté. D’une part, cela tient au fait que l’idéologie de la France Insoumise tire ses racines de la gauche radicale historique et que l’immigration, ou autrement dit, tout type de travailleur, doit être régularisé quel que soit le sol sur lequel il se trouve. Le défi de l’immigration est abordé sous l’angle de la solidarité entre les masses des travailleurs. C’est un droit fondamental qui doit être attribué. D’autre part, JLM est tenu par l’idéologie de la majorité de son électorat, qui est surtout constitué par les jeunes et majoritairement par les anciens électeurs du Parti Socialiste, c’est à dire de la grande gauche, excepté celle plus centriste ayant rejoint les libéraux d’En Marche.


JLM est tenu par l’idéologie de la majorité de son électorat, qui est surtout constitué par les jeunes et majoritairement par les anciens électeurs du Parti Socialiste.


Pourtant, une incongruité se glisse dans le discours politique de JLM: Le nouveau clivage qui sacralise autour de lui, étant le plus sujet aux débats et qui semble être l’enjeu politique principal de notre époque, c’est le clivage entre souverainistes et mondialistes. Or, JLM se situe incontestablement, à l’instar de ses opposants – Marine Le Pen (MLP), Viktor Orbán, Matteo Salvini – sur la même ligne souverainiste, enclin au protectionnisme, à l’euroscepticisme et plus généralement, à un repli derrière la nation comme entité suprême. Il y a donc une incohérence irrésolue chez ceux qui tentent de repousser les effets néfastes de la mondialisation et du capitalisme mais qui tentent toujours de faire honneur à un code humaniste, supprimant les frontières entre les hommes. Marx présente les chômeurs comme l’armée de réserve du capitalisme, mais chez les néo-marxistes, dans un système d’échange mondialisé où les frontières des capitaux sont effacées, la deuxième armée de réserve juste après les chômeurs, c’est l’immigration. Dès lors, ouvrir totalement les frontières, dans la perspective actuelle c’est, pour la gauche de la gauche, être l’idiot utile du capitalisme et de la mondialisation. C’est en tout cas ce que constate Marine Le Pen lorsqu’elle diagnostique la dualité entre les deux bords, au micro de France Inter le 1er octobre : “L’immigration étant la petite fille de la mondialisation sauvage, il est assez difficile de lutter contre la mondialisation sauvage, et en même temps contre l’immigration massive”. Nous verrons par la suite en quoi cette corrélation n’est pas légitimement exacte. L’extrême gauche et l’extrême droite partagent une même grille de lecture néo-marxiste sur ce sujet. Mais les translations et les mélanges entre la gauche de JLM et la droite de MLP vont dans les deux sens. MLP est souvent accusée par son propre camp de faire plus de politiques sociales que l’ancienne ligne du Rassemblement National prônant le retrait total de l’Etat des affaires publiques (modèle néolibéral anglais et américain des années 1980). Elle tente d’empêcher le retrait du nombre de fonctionnaires et propose de soutenir les travailleurs pauvres face à l’austérité des politiques européennes et de l’économie mondialiste. Il y a ainsi sans conteste un regroupement des extrêmes se recentrant autour de la nation, de la protection et du souverainisme. Afin de pouvoir tout de même les dissocier, il faut isoler trois variables importantes : 1) Le rapport aux droits de l’homme (bafoué par le RN) 2) le rapport à l’écologie (véritable priorité pour la gauche rouge-verte) et 3) les classes sociales des différents électorats (c’est aujourd’hui Marine Le Pen qui possède le vote populaire et ouvrier, représentant la France très éloignée de Paris).


MLP est souvent accusée par son propre camp de faire plus de politiques sociales que l’ancienne ligne du Rassemblement National prônant le retrait total de l’Etat des affaires publiques.


Voyons dès à présent ce qui est opposé au camp des nationalistes, des souverainistes et des anti-mondialisations : le camp des “progressistes”, incarné magnifiquement par la sémantique macronienne, gardienne de sa vision oligarchique et monolithique de la politique.
Dans cette dialectique manichéenne, le progressisme libéral, pro-européen et mondialiste est souvent sujet à la caricature, lui aussi enclin à la démagogie mais également et surtout victime de la confusion. En effet, censé exprimer la pensée moderne non encline à la tentation de la nostalgie, ce courant fédère autour de lui les sociaux-démocrates jusqu’aux centre droit en cercles concentriques autour du centre libéral.

Avec ces deux termes opposés “nationaliste” et “progressiste”, nous avons en réalité affaire, à une réalité bien moins abstraite et bien plus nuancée. En revanche, ce duel est bel et bien l’expression d’un basculement, d’un glissement dans la société amenant à une manière différente de se représenter les enjeux nationaux et européens actuel. La tension entre ces idéologies peut agir comme un baromètre dans le rapport de force qu’entretiennent historiquement la liberté et l’égalité. Il y a encore quelques décennies, la rivalité entre les deux valeurs, s’exprimait à travers le clivage plus classique “gauche contre droite”, c’est-à-dire l’affrontement entre le besoin d’acquis sociaux pour l’égalité (justice sociale), contre, le laissez-faire économique et fiscal pour la liberté (sur fond de respect des valeurs traditionnelles). Encore une fois, le sujet de l’immigration semble avoir fragilisé les droites classiques européennes. La crise économique combinée à la crise migratoire a crispé l’ensemble des paysages politiques européens, faisant glisser lentement vers la droite une majorité d’individus. Les peuples paupérisés et inquiétés par les crises se sont retranchés derrière l’identité nationale, escortés par de grandes figures intellectuelles, majoritaires et gagnantes dans les librairies mais minoritaires dans les idées, les rédactions et le milieu parisien. Pour ne pas citer les trois plus emblématiques : Zemmour, Finkielkraut et Onfray.


Il y a encore quelques décennies, la rivalité entre les deux valeurs, s’exprimait à travers le clivage plus classique “gauche contre droite”.


L’un des termes qui revient le plus lorsque ces masses subissent les malveillances des penseurs médiatiques ou des dirigeants des extrêmes respectives, c’est le mot “populisme”. Lorsque l’on parle de populisme, il y a un autre terme qui est très régulièrement co-occurent, est le terme de “démagogie”. La démagogie est une balle de ping pong que se renvoient sans cesse les pôles inversés. Eric Zemmour se range sans aucune hésitation du côté des populistes, ceux qui sont pour lui le cri de survie des peuples européens qui ne veulent pas mourir. La démagogie se situerait du côté des élites, qui en feraient bon usage afin de discréditer ceux qui défendent comme des bastions des identités nationales.

Etienne Balibar, explique qu’au cœur des droits de l’homme se trouve une tension entre égalité et liberté, une tension qu’il s’agirait de maintenir dans son caractère indéterminé et sous-entendu à l’intérieur de celle-ci. Si la société en vient à considérer de façon réductrice cette tension qu’il existe au sein des droits de l’hommes, alors il en découlerait deux potentielles pentes glissantes, de résolution de la tension entre égalité et liberté: D’une part, la pente nationaliste qui consisterait à vouloir refermer, replier les droits de l’homme à une communauté. C’est la pente nationaliste. Ici on prend le parti de l’égalité. D’autre part, la pente libérale qui consisterait à réduire l’indétermination des droits de l’homme en définissant l’égalité et la liberté à partir de l’idée de propriété. Ces deux neutralisations de cette tension sont autant dommageables l’une que l’autre. Les droits de l’homme sont donc politiques et non pas neutres. Ils sont tout sauf une suite de droits dont la définition serait acquise.


Les droits de l’homme sont donc politiques et non pas neutres.


Cette opposition simpliste entre progressistes et nationalistes est aussi le choix stratégique de ceux qui s’en nourrissent pour pouvoir continuer à grandir. Le président français Emmanuel Macron et ses homologues idéologiques surfent sur cette dualité. Cette tension est le fruit de leur succès. La gauche traditionnelle est moribonde et la droite (LR) survit, mais sa place est loin d’être aussi importante qu’au début du siècle et son avenir n’est pas assuré. Droite comme gauche classiques (PS) sont compressés entre le centre libéral et extrémités souverainistes. Ce constat est partagé par les membres LR et PS (ou Génération.s). Arnaud Danjean (LR) par exemple, soutient que «le clivage progressistes contre nationalistes ne correspond pas à la réalité européenne» et que «dangereuse et artificielle, la stratégie électoraliste d’Emmanuel Macron vise à casser la droite européenne (PPE)».

En effet, suite à l’enclenchement de la procédure contre la Hongrie de “l’article 7” , pouvant mener jusqu’à une interdiction de vote de la Hongrie au Parlement européen, Emmanuel Macron s’est montré hostile aux nationalistes et populistes européens, tel que Viktor Orban et se pose lui-même en tant que figure de proue des “progressistes” dans le camp d’en face. Or, la réalité est plus complexe car les progressistes ne sont pas nécessairement ceux qui font fi des accords de Schengen et laissent les décisions en matière de politiques frontalières entre les mains d’autre dirigeants européens (Angela Merkel par exemple).


Emmanuel Macron s’est montré hostile aux nationalistes et populistes européens, tel que Viktor Orban.


De plus, il y a là un cynisme inouï car cette dialectique binaire camoufle la grande perdante de cette rhétorique binaire : l’immigration méditerranéenne. En effet, les nombreux bateaux qui peinent à accoster sur les côtes européennes et les nombreux morts chaque jour dans la méditerranée sont victimes, pris dans l’étau entre : 1) L’indifférence des soit-disant “progressistes” que représentent les dirigeants européens comme Macron et 2) la répulsion fasciste des extrêmes droites européennes.

Les véritables humanistes et progressistes doivent pouvoir dépasser cette tension extrapolée, afin de fournir une réponse accueillante, dans le respect des droits nationaux, et s’appuyant sur une Union européenne forte, claire, nette et précise dans sa manière de gérer la crise migratoire. Dépasser ce cadre dangereux entre deux pôles éloignés du respect des droits de l’homme et plongeant l’Union européenne dans un manichéisme qui l’empêche de prendre les bonnes décisions se résumerait presque par l’expression populaire “ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain”. Car parmi ceux qui sont amalgamés, du côté nationaliste ou du côté progressiste, se trouvent des citoyens européens qui veulent une construction européenne à la fois dans le respect des cultures nationales et au nom du progrès. Et qui plus important encore, qui tenteront d’appréhender les oppositions pour dialoguer et concilier autour d’un projet commun, et non pour agrandir le fossé, afin de servir des intérêts orgueilleux.

Nous remercions nos partenaires EU-Logos Athena pour cette contribution.

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