Future Politique Agricole Commune – Va-t-on assez loin dans les mesures écologiques face à l’urgence climatique?
01 February 2021 /
Marie Pignot 7 min
Après le Conseil, c’était au tour du Parlement européen d’adopter sa position sur la future PAC le 23 octobre dernier. Premier budget européen, la Politique Agricole Commune est un sujet complexe et essentiel. En effet, elle doit permettre aux agriculteurs de vivre décemment, assurer la souveraineté alimentaire de l’Union, tout en prenant en compte les problématiques liées au réchauffement climatique et au déclin de la biodiversité. Pour Benoît Biteau, eurodéputé Vert, le Parlement n’a pas su saisir l’opportunité d’un réel virage vert dans la Politique Agricole Commune. A l’inverse, Jérémy Decerle, membre du groupe Renew Europe, pense que ce texte est un bon équilibre entre production alimentaire et écologie.
« Dire que la PAC n’évolue pas dans le bon sens est faux »
Jérémy Decerle, député européen français et membre du groupe parlementaire Renew Europe, est éleveur de vaches allaitantes dans la Saône-et-Loire. Le 23 octobre dernier, il a voté pour la proposition parlementaire sur la future Politique Agricole Commune. « Les parlementaires partaient de loin. Il fallait trouver une position entre la volonté de repartir de zéro, de faire table rase et de révolutionner la PAC, ce qui aurait été difficile à supporter par les agriculteurs, et la volonté de ne rien changer à la PAC votée sous l’ancienne mandature parlementaire. La proposition votée récemment est, je pense, un bon compromis entre les questions écologiques, économiques et sociales ». Ce qui fait la spécificité de la PAC, par rapport au Pacte Vert Européen, est qu’elle doit répondre aux enjeux économiques spécifiques à l’agriculture, d’où l’importance de ne pas seulement prendre en considération la dimension écologique. Pour Jérémy Decerle, comme pour beaucoup des eurodéputés ayant voté pour cette réforme, la PAC doit être un levier pour les autres stratégies comme la stratégie « biodiversité » et « De la ferme à la table » et ne doit pas, au contraire, s’adapter à elles.
« Ce texte s’adapte mieux aux réalités du terrain et va plus loin en matière d’environnement que la précédente PAC », contrairement à ce que peuvent dire certains députés écologistes et ONG environnementales. Pour Jeremy Decerle, les eurodéputés ont dépensé beaucoup d’énergie pour que la dimension environnementale et écologique de la PAC soit plus claire et plus ambitieuse qu’avant. « Dire que la PAC n’évolue pas et ne va pas dans le bon sens est faux ». 30% des aides directes aux agriculteurs, dans le premier pilier de la PAC, seront consacrées à des mesures environnementales. D’après les députés Renew, PPE et S&D, cela s’ajouterait aux 21 directives liées au verdissement qui existent déjà depuis 2002. De plus, en votant à la majorité le texte de la future PAC, les eurodéputés ont ouvert la voie à la rémunération des agriculteurs captant du carbone dans le sol par l’élevage tout en herbe. La future Politique Agricole Commune donnerait ainsi la possibilité au secteur agricole de contribuer au changement climatique, en incitant ces derniers à atteindre les objectifs du Pacte Vert Européen de neutralité carbone d’ici 2050.
« C’est dommage qu’une partie du parlement, notamment les Verts, soient aussi réticents et critiques par rapport au texte adopté », regrette Jérémy Decerle. En effet, s’il y a bien une institution ambitieuse sur la dimension environnementale de la PAC, c’est le Parlement, notamment sur les éco-régimes. Ces aides accordées par la Commission Européenne seront attribuées aux agriculteurs faisant un effort sur le plan écologique. Les ministres de l’Agriculture s’étaient déjà prononcés sur l’obligation pour chaque pays d’imposer un dispositif d’éco-régime à leurs agriculteurs. Ils souhaitent cependant n’y accorder que 20% de l’enveloppe budgétaire du premier pilier de la PAC, lequel comprend des mesures de soutien aux marchés et aux revenus des agriculteurs. Ces mesures sont financées entièrement par le Fonds Européen Agricole de Garantie. Les parlementaires ont quant à eux voté pour que 30% de cette enveloppe aillent aux éco-régimes. Ils souhaitent également consacrer au moins 35% du budget du deuxième pilier de la PAC, dédié au développement rural, à des mesures liées à l’environnement et au climat. Cela permettra, par exemple, d’aider financièrement les agriculteurs qui choisissent des pratiques moins destructrices pour les sols.
Si Jérémy Decerle est plutôt satisfait du texte adopté par le Parlement, pour lui certaines mesures manquent tout de même à l’appel. « Certes, sur des sujets économiques, on aurait pu aller plus loin. Notamment en réduisant les aides à l’hectare et en mettant en place des aides à l’actif agricole, c’est-à-dire en fonction du nombre de travailleurs ». Cela permettrait de stimuler le travail dans le domaine agricole et d’éviter l’industrialisation de l’agriculture. D’une manière générale, pour l’eurodéputé Renew Europe, il est important d’assurer une solidité économique au monde agricole pour pouvoir réaliser les ambitions environnementales nécessaires.
« Une réforme incompatible avec les engagements de l’Union »
La question de la distribution des aides en fonction de l’actif agricole est bien le seul point sur lequel Jérémy Decerle et Benoît Biteau, eurodéputé Vert à l’origine d’un amendement de rejet sur l’ensemble de cette PAC, sont d’accord. Pour lui, « en gardant l’aide à l’hectare, comme cela a été voté par le Conseil et le Parlement, on favorise un modèle d’agriculture industriel intensif sans encourager l’installation ». Octroyer les aides financières par rapport au nombre d’actifs agricoles et non par rapport aux nombre d’hectares que possède une exploitation permettrait d’éviter que 80% de l’enveloppe budgétaire de la PAC aillent à 20% des agriculteurs, gros propriétaires qui achètent de plus en plus de terres en empêchant les jeunes de s’installer. En n’intégrant pas cette mesure dans la réforme de la future PAC, les parlementaires européens ne répondent donc pas aux enjeux agricoles et environnementaux.
Un des plus gros points de crispation entre défenseurs de la future PAC et écologistes est la mise en place des éco-régimes. En effet, si le Parlement Européen va un peu plus loin que le Conseil dans le budget alloué aux éco-régimes, la PAC de 2013 prévoyait déjà des mesures de verdissement financées par 30% de son budget. Pour les écologistes, ce que la majorité des députés présente comme un pas en avant vers l’agroécologie ne serait en fait rien de plus que ce qui avait déjà été décidé lors de la précédente politique agricole. Ces derniers préconisaient que 60% du budget de la PAC aillent dans ces aides. De plus, si les Etats auront obligation de proposer un éco-régime à leurs agriculteurs, ceux-ci pourront faire le choix de ne pas en bénéficier et donc d’aller au-delà des normes environnementales imposées par leur pays. Enfin, le détail des mesures des éco-régimes sera défini par chaque pays dans le cadre des lignes directrices de l’Union Européenne. Il n’y aura donc pas d’harmonisation complète là-dessus au niveau européen. Chaque pays aura ses propres critères sur le comportement à suivre pour pouvoir bénéficier de ces aides. Pour les eurodéputés Les Verts, nous sommes donc face à un verdissement superficiel de la PAC et non à un virage radical vers plus d’écologie. Cette importante divergence de point de vue sur les éco-régimes entre Benoît Biteau et Jérémy Decerle peut être due au fait qu’on ne sait pas encore comment seront mis en place ces éco-régimes et ce qu’ils comporteront. Ces décisions se prendront lors des négociations en trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne, dont l’aboutissement est prévu au printemps 2021.
Élaboré sous l’ancienne présidence de la Commission, le projet de la future Politique Agricole Commune date donc d’avant la Commission Van der Leyen, qui a mis en place le Pacte Vert Européen. Benoît Biteau avait d’ailleurs donné son vote à la Commission d’Ursula Van der Leyen car elle se fixait un véritable cap à suivre contre le changement climatique, en sous-entendant que le projet de PAC 2021-2027 soit revu afin de se mettre en conformité avec les objectifs du Pacte Vert, ce qui n’a pas été fait. Pour l’eurodéputé, « cette réforme est complètement incompatible avec les engagements écologistes de l’Union Européenne ». Il est soutenu par la militante écologiste Greta Thunberg, qui avait appelé les eurodéputés à voter contre la nouvelle PAC, qu’elle juge contradictoire avec les enjeux climatiques. En effet, selon ces acteurs représentatifs de la mouvance environnementale, rien dans la PAC n’est prévu pour atteindre les objectifs de la stratégie « De la fourche à la table », visant à réduire de 50% l’utilisation de pesticides d’ici 2030, de 20% l’usage des engrais de synthèse et d’atteindre 25% des surfaces agricoles européennes en biologique.
Les eurodéputés Les Verts estiment enfin n’avoir pas été correctement associés à l’élaboration du compromis et n’avoir pas été suffisamment écoutés. Quasiment la totalité des propositions des écologistes pour verdir la PAC ont été rejetées au Parlement Européen. A l’inverse de Jérémy Decerle, Benoît Biteau pense ainsi que la PAC devrait se donner les moyens d’atteindre les objectifs environnementaux du Pacte Vert Européen.
Maintenant que le Conseil et le Parlement Européen se sont chacun prononcés sur leur vision de la future Politique Agricole Commune, le trilogue entre les deux institutions et la Commission peut commencer, afin de négocier un compromis d’ici le printemps 2021. Cependant, les négociations risquant de prendre beaucoup de temps, et les votes au Conseil et au Parlement européen ayant déjà pris du retard, l’entrée en vigueur de la future politique agricole pourrait être décalée de deux ans et ne sera probablement pas effective avant début 2023.
Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.