Un silence inquiétant – Le déclin de la biodiversité en Europe
03 February 2021 /
Ismael Panorios 6 min
Le constat dressé par l’Agence européenne pour l’environnement (l’AEE) concernant la situation de la biodiversité en Europe n’est vraiment pas rassurant. Celle-ci ne cesse de décliner un peu partout sur le continent à cause des activités humaines telles que les pratiques agricoles, l’urbanisation effrénée, mais aussi en raison de l’invasion d’espèces exotiques. Alors que l’Union européenne tente de mettre en place de nouvelles mesures pour endiguer la disparition des animaux sur notre territoire, la faune et la flore continuent de suffoquer et les habitats naturels sont gravement menacés.
Un bilan médiocre
Le 19 octobre 2020, l’AEE et la Commission européenne ont chacune publié leur rapport sur l’état de conservation de la biodiversité au sein de l’Union. Selon l’exécutif européen, il s’agit de la collecte de données la plus importante et la plus complète sur l’état de l’environnement en Europe jamais publiée. Et le constat est sans équivoque : la situation de la biodiversité sur notre continent est plus que préoccupante et la préservation de notre belle nature nécessite des efforts considérables. Ces rapports ont récolté de nombreuses données sur des centaines d’espèces différentes, ainsi que sur des habitats naturels. Le rapport de la commission se base sur l’analyse de 233 types d’habitats, 460 espèces d’oiseaux et 1400 plantes et autres animaux sauvages. Pour Virginijus Sinkevičius, commissaire chargé de l’environnement, des océans et de la pêche, “Nous sommes en train de perdre notre système (…) de soutien à la vie”.
Les données récoltées du rapport de la Commission indiquent que seulement 47% des espèces d’oiseaux se trouvent dans un état favorable. C’est 5 points en moins par rapport à la précédente évaluation datant de 2015. Entre 1980 et 2018, le rapport indique que 32% des populations d’oiseaux nicheurs ont vu leur situation se dégrader alors que pour 29 % d’entre eux, elle s’est améliorée.
Par ailleurs, l’AEE dresse aussi une liste de chiffres fort inquiétants. Selon l’agence, le pourcentage d’espèces en danger s’élève aujourd’hui à 37%. Si on s’attarde sur le cas des oiseaux, nous pouvons constater que leur état de conservation s’est nettement détérioré. En effet, il y aurait aujourd’hui une proportion d’oiseaux de 39% dont l’état de conservation est jugé médiocre. Il s’agit d’une augmentation de 7% observée aux cours des 6 dernières années.
De plus, une importante partie des animaux censés être protégés au sein de l’UE connaît des heures bien sombres et leur avenir demeure incertain. Citons en exemple le Faucon sacré, le saumon du Danube, ainsi que bon nombre d’animaux des dunes et des prairies sur l’ensemble du territoire européen.
En outre, les habitats naturels de toutes ces espèces restent aussi considérablement en danger et leur état ne cesse de dépérir. Toujours selon l’AEE, pas moins de 81% de ces refuges sauvages au sein de l’UE seraient dans un piètre état. Parmi ces sanctuaires naturels, les plus touchés sont les tourbières, les marécages, les marais, les dunes ainsi que les prairies. Seulement 15% des habitats étudiés sont considérés comme étant dans un bon état de conservation.
L’humain mis en cause
Les raisons d’un tel bouleversement de la nature sont multiples, mais, comme toujours, elles ont toutes un dénominateur commun : l’humain. En effet, notre surconsommation et notre propension à aller toujours plus loin dans les excès et à piller les ressources naturelles avec tant d’avidité exercent une pression beaucoup trop forte sur l’ensemble de la biodiversité.
Certaines activités humaines font payer un lourd tribu à la nature. Nous pouvons citer l’agriculture intensive, la sylviculture non durable, l’urbanisation immodérée, mais aussi la modification des régimes hydrauliques telle que l’altération des rivières et des lacs au moyen de captage d’eau et de barrages. À toutes ces causes, nous pouvons aussi ajouter les pratiques de chasses et pêches intenables, voire illégales. Ces actions engendrent aussi des externalités négatives qui impactent la faune et la flore comme la pollution et le réchauffement climatique.
Il existe aussi une autre cause dont l’homme est indirectement responsable : la présence d’espèces exotiques dans nos contrées. Cela représente un vrai challenge pour la biodiversité locale. Selon Franck Courchamp, écologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France, les problèmes causés par les espèces invasives ont un coût environnemental assez élevé car elles remplacent les espèces déjà présentes et ébranlent l’équilibre naturel de nos écosystèmes. Parmi ces quelques créatures qui posent problèmes, on retrouve notamment le vison d’Amérique, le très redouté frelon asiatique, mais aussi des espèces moins connues aux effets dévastateurs comme le termite de Formose ou le ver du cotonnier.
Les deux dernières espèces citées provoquent surtout des désastres économiques à divers endroits dans le monde car elles s’attaquent aux récoltes. Le termite de Formose est arrivé aux États-Unis via des caisses rapportées du Japon par des soldats américains après la Seconde Guerre mondiale. C’est une espèce qui serait responsable de 26,7 milliards d’euros de dégâts à travers le monde. D’après les experts du CNRS, personne n’a jamais pu éradiquer cette espèce une fois installée sur un nouveau territoire et ils redoutent une potentielle colonisation de l’Europe. Quant au ver du cotonnier, cette petite créature provenant d’Afrique s’est installée en Corse et s’attaque à de très nombreuses espèces de plantes. Toujours selon les études du CNRS “les insectes dans leur ensemble pèsent particulièrement sur l’agriculture en consommant l’équivalent de ce qui pourrait nourrir 1 milliard d’êtres humains”. Leurs conséquences, tant au niveau économique qu’environnemental, ne doivent donc absolument pas être négligées. Franck Courchamp prévient que ces invasions pourraient augmenter en raison du réchauffement climatique.
De bonnes nouvelles malgré tout
Cependant, tout espoir n’est pas perdu ! Nous serions tentés de contempler ce désastre avec cynisme, et pourquoi pas aussi, un certain défaitisme. Face à l’ampleur de cette catastrophe écologique, il est normal de ressentir un certain sentiment d’impuissance. Et c’est dans ces moments d’incertitude qu’il est important de rappeler que l’Union européenne a aussi quelques victoires à son actif.
En effet, il est certaines espèces qui se portent bien et dont l’état s’est même amélioré. C’est particulièrement le cas pour les mammifères, les reptiles, les poissons et les plantes. Ces espèces ont vu leur état de conservation s’améliorer entre 2015 et 2018. Nous pouvons citer entre autres le lynx ibérique, le renne des forêts et la loutre. Par ailleurs, d’autres espèces ont également vu leur situation se rétablir comme la grenouille agile en Suède ou encore le gypaète barbu qui peut être observé dans plusieurs pays en Europe.
Que fait l’Europe?
L’Union européenne possède quelques outils pour l’aider dans sa lutte contre le déclin de la biodiversité. Mais de toutes les mesures qu’elle a mises en place, le réseau européen Natura 2000 est sans doute la plus efficace. En effet, il s’agit du plus grand réseau coordonné de sites écologiques de la planète. L’objectif de ce dispositif est de protéger et valoriser des espaces naturels en danger, ainsi que d’assurer la pérennité des espèces qui y vivent. C’est un réseau extrêmement important qui s’occupe de 18,5 % de la superficie terrestre de l’UE ainsi que 10 % de sa zone maritime.
En outre, les citoyens européens peuvent aussi s’attendre à la mise en place de la stratégie biodiversité à l’horizon 2030. Ce gigantesque projet présente les objectifs à atteindre par l’UE d’ici 10 ans. Les 27 désirent mettre en place de nombreuses mesures afin de restaurer notre environnement, de le rendre plus résistant, et, dès lors, d’empêcher un effondrement de la biodiversité européenne. Parmi ces différentes mesures, l’Union s’est fixé comme objectif de protéger 30% de sa surface terrestre et maritime et tout particulièrement les forêts.
Est-il trop tard?
Les mauvaises nouvelles concernant notre environnement s’enchaînent bien trop vite. À peine une catastrophe frappe-t-elle notre vieux continent qu’une autre se prépare déjà à sévir. Jusqu’où irons-nous ? Combien de marécages devront être détruits, combien de plantes devront disparaître, combien de forêts devront être rasées avant que nous ne nous décidions vraiment à remettre en question notre mode de vie ? J’aimerais encore pouvoir dire qu’il faut rester vigilant, qu’il faut faire des efforts avant que les conséquences désastreuses de notre insouciance ne nous retombent dessus. Il fut un temps où c’était encore possible. Il y a 40 ans déjà, le brillant scientifique Carl Sagan nous avertissait des dangers du rejet de CO2 dans l’atmosphère et de l’équilibre de la terre qui pourrait basculer si on n’y prêtait pas attention. Mais nous ne sommes plus à cette époque. Le temps des sommations est révolu, celui des débâcles est arrivé.
Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.