Les murs qui divisent le monde
14 April 2021 /
Stella Elgersma 7 min
La chute du Mur de Berlin, en novembre 1989, n’a pas fait disparaître les murs qui divisent la planète. Au contraire, de plus en plus nombreux, ils sont aujourd’hui une soixantaine autour du globe. Érigés pour lutter contre la menace terroriste, l’immigration, la contrebande, les trafics de drogue et les conflits militaires, les murs, barrières et autres clôtures de séparation hérissées de barbelés, se multiplient autour du globe depuis les années 2000.
Une leçon oubliée
Nous connaissons tous le Mur de Berlin et son histoire, symbole pendant 28 ans de la division entre les deux blocs, le soviétique à l’Est et l’occidental à l’Ouest, il a coupé la ville de Berlin sur une longueur de 155 kilomètres. Construit la nuit du 13 août 1961, son but était celui de stopper l’exode des Allemands de l’Est vers l’Ouest. Le « Mur de la honte » a causé une communication presque impossible entre les deux parties de la ville, entre la RFA et la RDA, et une séparation brutale de nombreuses familles berlinoises pendant une trentaine d’années. En ce sens, l’histoire aurait dû nous apprendre quelque chose : la construction de murs divise les gens, ronge les âmes et désigne négativement l’image d’un pays et d’une idéologie.
Des murs pour contrer la menace terroriste
Cependant, s’il y avait onze murs de séparation en 1989, aujourd’hui on en compte soixante-cinq autour de la planète, dont beaucoup ont été construits au cours des 20 dernières années.
Après la chute du mur de Berlin, l’idée de se séparer pour se protéger a été progressivement atténuée, mais quelque chose a mal tourné au début des années 2000. L’attentat terroriste aux Twin Towers de New York le 11 septembre 2001 a profondément marqué notre histoire et a incité les pays du monde entier à se mettre à l’abri en construisant des murs et des frontières physiques avec les pays voisins.
Repousser la menace terroriste est en effet l’une des quatre raisons évoquées par les gouvernements pour justifier la construction de murs.
Le plus long mur du monde a été érigé précisément pour ce motif : 3200 kilomètres de muraille en fil barbelé. À la frontière entre l’Inde et le Bangladesh, il a été construit par la capitale New Delhi, jusqu’en 2013, pour se prémunir contre le terrorisme, les trafics et autres immigrations clandestines venues de son voisin. Chaque jour, des milliers de Bangladais tentent de le passer, pour des raisons économiques, familiales, ou religieuses, et des dizaines d’entre eux meurent sous les balles des troupes de l’India Border Security Forces.
Le gouvernement d’Israël s’est détaché physiquement de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie avec la construction d’une muraille de sécurité et de division depuis le début des années 2000, en pleine Intifada : cette « barrière antiterroriste », longue d’environ 730 kilomètres et haute de 8,50 mètres, a pour objectif de protéger la population israélienne en empêchant toute « intrusion de terroristes palestiniens » sur son territoire.
Le « Mur des sables », construit par le Maroc quelques années avant la chute du mur de Berlin, haut de 3 mètres et traversant sur 2700 kilomètres le Sahara occidental, « protège » le pays des incursions du Front Polisario venant de l’extérieur. Le mur sépare les Sahraouis vivants dans les campements des réfugiés et Sahraouis vivants dans les territoires occupés par le Maroc.
Des barrières pour lutter contre les trafics illégaux
La deuxième raison derrière la construction des barrières physiques est celle invoquée par la volonté de mettre fin au trafic illégal et à la contrebande. En effet, de nombreux gouvernements se sont accordés sur le fait de matérialiser et rendre infranchissables certaines zones de frontières pour lutter contre les passages illégaux de marchandises et de personnes.
C’est ainsi que la Lituanie a lancé en 2017 la construction d’un grillage à sa frontière avec l’enclave russe pour renforcer la sécurité nationale et surtout empêcher la contrebande de drogue mais aussi les passages des clandestins vers la zone Schengen et l’Union européenne.
Une affaire de sécurité
Une autre raison c’est le maintien de la paix et de la sécurité entre pays voisins. Un des murs plus connu, plus ancien encore du mur de Berlin, est celui qui, depuis 1953, divise la Corée de Nord et la Corée du Sud et que l’on qualifie de “ Zone Démilitarisé” : long de 238 kilomètres, haut de 3 mètres et surveillé par plus de 500 000 soldats, il tranche les routes, les voies ferrées, les chemins et tous les moyens de communication.
En outre, le « Peace Walls », en Irlande, séparent historiquement les quartiers catholiques des quartiers protestants depuis les années 1970, tandis que la « Ligne verte », contrôlée par la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix, est la barrière physique qui divise la petite île de Chypre, entre la partie turque et la partie grecque, dont le gouvernement est le seul qui soit internationalement reconnu.
Limiter l’immigration
Enfin, on construit des murs surtout pour freiner l’immigration illégale.
L’un des murs les plus récents, qui a notamment suscité un de grands émois dans l’opinion publique, est celui que l’administration Bush a appelé de ses voeux en 2006 qui a été financé par Trump entre 2016 et 2020, séparant les États-Unis du Mexique.
Ce mur, visant précisément à empêcher l’immigration illégale, ainsi que le trafic de drogue et d’êtres humains, est long de 1 050 kilomètres et devrait attendre 3 200 kilomètres. Entretemps, les États-Unis continuent à expulser plusieurs centaines de milliers d’immigrants clandestins chaque année.
Les barrières de Ceuta et Melilla, construites par l’Espagne entre 1998 et 2001, protègent les deux enclaves espagnoles face aux migrants qui transitent par le Maroc, pour gagner l’Europe.
La même chose se passe entre la Grèce et la Turquie : le premier pays, l’un des principales portes d’immigration vers le vieux continent, a érigé des barrières sur 13 kilomètres à la frontière avec la Turquie, pour empêcher les migrants et demandeurs d’asile de pénétrer dans l’espace Schengen et de tenter de se créer une nouvelle vie en Europe. Selon les dernières statistiques, ce mur a réduit de 90% l’immigration clandestine entre la Turquie et l’Europe.
La construction de murs coûte et menace
Les conséquences dérivées de la construction de ces murs de séparation sont évidentes d’un point de vue humain, mais aussi économique, politique et environnemental.
Chaque année, plusieurs milliers de migrants décèdent en échappant à leur pays et en cherchant à traverser ces frontières physiques : les dispositifs de surveillance militarisés, les soldats qui contrôlent jour et nuit les barrières, les organisations mafieuses et les politiques mises en place par les gouvernements pour limiter les déplacements illégaux entre pays, rendent périlleux la traversée des migrants.
Pour surveiller, contrôler et enfermer, il faut des ressources financières importantes, thème dont on parle généralement moins. Les dépenses consacrées par les états en matière de sécurité se sont accrues ces dernières années : il suffit de dire que les États-Unis ont dépassé leur budget de 30 milliards de dollars pour la sécurité intérieure et l’Union européenne a dépensé 11,3 milliards d’euros pour assurer la protection des frontières et construire des barrières physiques.
Enfin, les murs érigés pour protéger certains pays ont des conséquences néfastes sur l’environnement et sur la biodiversité. Ces murailles entravent les migrations saisonnières naturelles et empêchent les animaux d’aller chercher la nourriture et l’eau qui leur sont nécessaires.
Les écosystèmes et la tendance naturelle des habitants de la terre à migrer, ainsi que plusieurs zones protégées pour les animaux en voie de disparition et des parcs nationaux sont fortement menacés.
Ces murs, ces barrières qui séparent des pays entiers, des villes ou même des quartiers, représentent non seulement une division pour des raisons politiques, religieuses ou de sécurité, mais actent la rupture entre différentes cultures, alimentent les tensions et empêchent une partie de la population d’être les citoyens du monde. L’espoir que, comme cela s’est produit à Berlin il y a tant d’années, nous puissions tous nous réveiller un jour dans un monde qui aura abattu ses murs s’amenuise de plus en plus.