Verdissement des secteurs maritime et aérien : comment l’UE mise sur ce terrain pour atteindre la neutralité carbone ?
25 January 2022 /
Auriane Giorgalla 6 min
« L’Europe est le tout premier continent à présenter une architecture verte complète : nous avons l’objectif, et désormais la feuille de route pour l’atteindre », déclarait la Présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen en juillet dernier. En ce mois d’été particulier, toujours perturbé par la pandémie, la Commission européenne dévoile son paquet législatif sur le climat, ‘Fit for 55’ (Ajustement à l’objectif 55). Ce dernier est composé de 12 propositions relatives à la réduction des émissions carbone et visant à encadrer la mise en œuvre du Pacte Vert européen.
Adopté en décembre 2019 par la Commission européenne et mis en œuvre à partir de juillet 2021, le Pacte vert octroie une place majeure au secteur routier mais aussi, et de manière conséquente, aux secteurs maritime et aérien. L’objectif : réduire de 90% les émissions carbone émanant des transports d’ici 2050. Et pour cause, ce secteur génère près d’1/4 du total des émissions de gaz à effet de serre de l’Union Européenne.
Les transports maritimes et aériens occupent aujourd’hui une place primordiale au sein de l’Union européenne. Que ce soit pour le bon fonctionnement du marché intérieur, les échanges commerciaux ou bien tout simplement la mobilité des citoyens européens, les bateaux et les avions sont les moyens de transport les plus utilisés. Mais dans un contexte de crise climatique, comment l’UE exprime-t-elle sa volonté de s’emparer de ces secteurs pour répondre à l’urgence environnementale ?
Décarbonation et énergies renouvelables, nouvelle nature des secteurs maritime et aérien
Si les secteurs maritime et aérien font l’objet d’une inclusion assez récente dans les efforts écologiques, ce sont pourtant eux qui connaissent la croissance la plus rapide d’émission de gaz à effet de serre, tous transports confondus. Il faut dire que l’augmentation de leur trafic respectif a son rôle à jouer.
Alors, à l’heure où le tic-tac de la montre climatique raisonne de plus en plus fort, assurer la durabilité des transports s’est avéré être une priorité. Carburants durables, tarification du carbone, énergies renouvelables, décarbonation ou encore électrification sont devenus les maîtres mots du volet consacré aux transports au sein du Pacte vert européen.
C’est donc à travers la révision de certaines directives, telles que celle sur les énergies renouvelables, ou à travers des propositions de modifications législatives, que l’UE souhaite agir dans ce domaine. Sur ce dernier point, l’exemple phare est le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE).
Véritable pilier du ‘Fit for 55’, la modification de la directive sur la taxation de l’énergie, ainsi que celle sur les énergies renouvelables, est au cœur de la politique de décarbonation de la Commission Von Der Leyen. Développer l’approvisionnement électrique, accroître l’emploi de carburants innovants et durables, renforcer les critères en matière de durabilité et de baisse des émissions carbone : tel est le changement de cap que l’UE se fixe à moyen terme pour 2030, changement nécessaire pour donner aux objectifs de 2050 une véritable légitimité.
Des résolutions européennes prometteuses
La révision du SEQE de l’UE est apparue primordiale pour réduire les émissions carbone de l’aviation. Lancé en 2005, ce système est un outil essentiel pour lutter contre les émissions carbone et atteindre les objectifs que l’UE s’est fixé à horizon 2030 et 2050. Il s’applique aux industries et compagnies grandement polluantes. Le système instaure un plafond maximal d’émissions, et délivre donc chaque année, gratuitement ou sous la forme de mise aux enchères, des quotas aux entreprises en question. Suite à cela, les entreprises peuvent s’échanger leurs quotas, sous la forme d’achat ou de vente, et créent donc un marché du carbone. Tout l’enjeu pour ces industries polluantes est de posséder assez de quotas pour couvrir leurs émissions, sans quoi elles se voient exposées à des sanctions. Deux solutions s’offrent à elles lorsqu’elles n’ont pas assez de quotas : en acheter ou réduire leurs émissions. Difficultés supplémentaires : le plafond annuel d’émissions diminue chaque année afin que ces dernières soient réduites au maximum.
Le secteur aérien se trouve au cœur de ce projet de réforme. L’objectif de la Commission est de réviser l’allocation des quotas d’émission dans ce secteur afin de progressivement supprimer les quotas gratuits et d’augmenter leur mise aux enchères d’ici à 2026. Cette réduction des quotas alloués gratuitement risque alors de représenter un coût non négligeable pour ces compagnies aériennes, ce qui devrait les encourager à faire encore plus d’efforts pour émettre moins de CO2. Plafonner de manière plus stricte le nombre de quotas pour les vols à l’intérieur de l’UE apparaît aussi comme l’un des objectifs de l’UE. De quoi encourager le secteur aérien à opérer la transition verte le plus vite possible !
Dans cette lignée, la Commission affiche sa volonté d’étendre le SEQE au secteur maritime.
On aura compris qu’une nécessité urgente s’impose aujourd’hui : les secteurs maritime et aérien doivent réduire leur empreinte carbone. Dans sa lancée de verdissement des deux secteurs, la Commission engage deux nouvelles initiatives propres à ces domaines. Celles-ci visent à accroître l’utilisation de carburants durables. ‘FuelEU Maritime’ fait par exemple partie intégrante de la politique climatique de décarbonation de l’UE et engage la mobilisation de carburants et technologies renouvelables, à émission très faible voire nulle. Le ton est aussi mis sur l’obligation d’un approvisionnement en électricité à quai pour les navires très polluants.
Tout comme “FuelEU Maritime”, à travers l’initiative ‘ReFuelEU Aviation’ la Commission lance pour objectif la décarbonation du secteur aérien grâce à une utilisation croissante des carburants d’aviation durables (CAD). Pour réaliser cet objectif, la Commission promeut l’obligation par les compagnies aériennes d’utiliser du carburant mixé à base de kérosène et de CAD lorsqu’elles partent d’un aéroport de l’UE. La Commission met également l’accent sur des biocarburants avancés, des carburants de synthèse composés d’hydrogène et de l’augmentation de l’électrification des avions commerciaux. Ne plus dépendre exclusivement du carburant fossile devient alors l’une des clés pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 !
Doutes mais espérances, comme la devise du paysage climatique actuel
Toutefois, les résultats prévus de ces différentes initiatives sont à nuancer. Selon une étude de 2019 du Parlement européen, en 2050 les améliorations et progrès en matière d’utilisation de carburants durables devraient certes être importants. Toutefois, les émissions de CO2 des avions et des navires devraient rester élevées. A ce jour, il est difficile d’imaginer ces deux secteurs entièrement ‘verts’ en 2050.
Finalement, l’accélération de la décarbonation des secteurs maritimes et aériens entraînerait des bénéfices environnementaux, économiques et sociaux majeurs. La réduction des émissions de gaz à effet de serre et donc de la pollution, le soutien et la stimulation de l’innovation, la création d’emplois ou encore les effets positifs sur la santé humaine en sont des exemples parmi d’autres. Cependant, craintes et appréhensions persistent quant aux réels avantages économiques et sociaux. L’UE doit maintenant se pencher sur la concrétisation du verdissement des secteurs maritimes et aériens si elle veut devenir le premier continent climatiquement neutre en 2050. Afin de respecter ses promesses, et réduire d’au moins 55% ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2030, elle doit se donner les moyens de faire appliquer les directives du ‘fit for 55’. Toutes ces propositions doivent désormais passer par la procédure législative ordinaire avec le vote du Parlement européen et du Conseil de l’UE. Rendez-vous en 2023 pour savoir si enfin, l’Union va prendre son courage à deux mains et voter le bagage législatif ‘fit for 55’, véritable pièce maîtresse du Pacte vert européen.
Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine.