La politique spatiale européenne : entre souveraineté et sécurité
30 June 2022 /
Auriane Giorgalla 8 min
« En nous engageant dans l’aventure spatiale, nous défendons plus encore qu’une souveraineté, plus encore qu’une prospérité. Nous défendons une vision du monde », s’exprimait ainsi le président français Emmanuel Macron lors du sommet spatial européen de février 2022 à Toulouse. Depuis le 1er janvier, la France a pris la présidence du Conseil de l’UE pour une durée de six mois, et le président français a tenu à exposer rapidement ses objectifs pour l’espace. La politique spatiale occupe une place majeure et grandissante en Europe depuis le début du siècle, et davantage depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009. En effet, ce dernier attribue une compétence majeure à l’Union européenne (UE) dans le domaine spatial, qui représente un véritable enjeu de souveraineté mais aussi de sécurité et de puissance. L’espace est devenu le nouveau terrain de coopération entre les Etats mais aussi un terrain d’expression des hostilités et rivalités entre grandes puissances. Pour le moment, les États-Unis dominent dans le domaine spatial notamment avec la privatisation de l’espace qu’ils appellent le New Space.
Investissement et enjeux dans le domaine spatial : l’Union européenne au cœur de tous les défis
Ces dernières années, nous sommes entrés dans une période charnière pour le spatial, qui se trouve au cœur de tous les défis : changement climatique, transition numérique, émergence des start-up dans le domaine spatial ou encore montée en puissance d’acteurs privés, à commencer par la célèbre entreprise américaine SpaceX ayant à sa tête le milliardaire Elon Musk. En effet, depuis le début du XXIe siècle, le New Space, ou la privatisation du secteur spatial par les Américains, se fait de plus en plus important. Ces derniers viennent bousculer l’espace traditionnel en apportant des touches d’innovations importantes, ce qui représente un véritable défi pour l’UE, encore au second plan en termes de nouvelles technologies. Le New Space constitue alors une révolution américaine majeure et un enjeu de taille pour l’UE. S’il est trop tôt pour parler aujourd’hui de “New Space européen”, l’Europe semble vouloir à l’avenir concurrencer sérieusement les Etats Unis sur ce domaine. En effet, chaque année de nouvelles start-up européennes sont créées, se montrant à la pointe de l’innovation. Mais si l’espace engage la recherche, le développement et l’innovation, elle touche également aux enjeux de sécurité au sens large, la sécurité environnementale en faisant pleinement partie.
La problématique environnementale au cœur des enjeux de sécurité
Le dérèglement climatique est au cœur de nos préoccupations et le président français l’a encore exprimé lors du dernier sommet à Toulouse : « La maîtrise de l’espace peut aussi être un levier décisif pour mesurer, et ainsi tenter de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Non seulement parce qu’elles permettent de mieux connaître l’état de la biosphère (…) mais ensuite parce qu’elles permettent de suivre l’évolution du grand réchauffement ». Dès lors, politique spatiale rime avec politique environnementale. Selon le rapport de l’OCDE “The Space economy in figures: how space contributes to the global economy” de 2019, les satellites d’observation de la Terre et les satellites météorologiques, grâce à une précision accrue de leurs données, permettent d’obtenir des informations et variables indispensables sur le climat. Ces dernières permettent de suivre des éléments relatifs à l’environnement et en particulier sur les secteurs maritimes (mesure de la montée du niveau des mers par exemple), les sols, l’atmosphère (mesure de la teneur en CO2, de la composition atmosphérique par exemple), les forêts, les glaces, et bien d’autres… Les données satellitaires sont donc essentielles pour répondre aux besoins et formuler des politiques publiques environnementales adaptées. Ces besoins sont autant alimentaires, forestiers, climatiques, agricoles, maritimes, que militaires et de défense. Le défi climatique exprimé de manière croissante dans la politique spatiale européenne se trouve donc au cœur des objectifs de la Présidence française de l’UE (PFUE).
Préserver la souveraineté européenne, un objectif phare de la PFUE
Un autre enjeu pour l’Union européenne est de préserver sa souveraineté sur terre, notamment avec la fabrication et l’utilisation de satellites européens. Lorsque nous parlons de souveraineté, nous pensons également autonomie et indépendance. Si l’UE l’est à de nombreux égards, elle peine encore à concurrencer et les Américains, et les Chinois dans ce domaine. Pourtant l’industrie spatiale européenne se place au second rang mondial avec un tiers des satellites mondiaux fabriqués en Europe selon la Commission. De plus, malgré le développement de systèmes de surveillance de l’espace, l’Europe reste également encore dépendante des USA dans ce domaine ainsi que dans celui de l’exploration. Toutefois, dotée des grands groupes comme ArianeGroup, Airbus Defence and Space (ADS) ou Thales Alenia Space (TAS), l’UE ne cesse d’innover. Son projet sur les nouvelles générations de lanceurs avec le programme Ariane 6, doté de technologies innovantes et d’importants investissements européens, en est un parfait exemple. La PFUE souhaite donc continuer à investir dans ces innovations spatiales, comme l’a rappelé Emmanuel Macron au discours de Toujouse.
Un autre objectif de la PFUE est la mise en place d’une nouvelle constellation de satellites, destinée à améliorer notre infrastructure Internet, à se doter d’un Internet haut débit et à poursuivre la lutte contre les cyberattaques. Estimé à 6 milliards d’euros, le projet devrait être complètement fonctionnel en 2028. Il apparaît crucial dans les objectifs de la PFUE car il s’agit d’un enjeu de souveraineté décisif. Lors du sommet spatial, Emmanuel Macron a d’ailleurs affirmé au sujet des constellations « qu’il y a urgence » et que c’est « une véritable révolution ». L’exploration humaine était également au rendez-vous de ce sommet. A ce titre, un groupe consultatif de haut niveau à ce sujet sera constitué.
Les débris spatiaux, une menace sécuritaire à dépasser
Cependant, investir dans les innovations spatiales, pour le bien de notre planète mais également de notre santé, pourrait être vain si cela n’inclus pas la lutte contre les débris spatiaux. Cette question est devenue non négligeable à l’heure où en 2022, plus de 300 millions de débris spatiaux gravitent dans l’espace. Le sujet devient d’autant plus brûlant avec le développement des nouveaux projets de constellations de satellites. L’UE doit donc continuer à travailler sur ces problématiques dans un contexte marqué par la multiplication des activités spatiales ces dernières années. Renforcer sa sécurité à travers l’infrastructure spatiale, l’innovation technologique et les programmes spatiaux européens alors que les débris spatiaux menacent cette même sécurité : tel est là aussi un challenge qui semble s’imposer à l’UE.
Cette menace sécuritaire peut être lourde de conséquences pour les activités terrestres. En cas d’accident entre débris et satellites, un nombre considérable d’activités humaines seront perturbées. On peut citer à titre d’exemple les satellites de télécommunication ou d’observation militaire et civile, les systèmes de géolocalisation tels que les GPS, les systèmes de surveillance agricole et forestière… Ainsi, la lutte contre la prolifération des débris est devenue impérative si on veut échapper au syndrome de Kessler. Celui-ci se définit comme des successions de collisions qui, une fois atteint un certain niveau, rendraient l’exploration spatiale quasiment impossible. En effet, un nombre trop important d’objets en orbite augmente la probabilité de collisions, rendant plus vulnérable le bon fonctionnement des satellites. Ce scénario catastrophe, les acteurs du secteur spatial souhaitent à tout prix l’éviter et c’est pourquoi le défi sécuritaire est particulièrement mis en avant par les spécialistes de l’espace. Sur ce sujet particulièrement, l’Europe se montre au rendez-vous. En 2019, l’Agence spatiale européenne lance le projet ADRIOS, ayant pour objectif le désorbitage de débris spatiaux à l’horizon 2025.
Faire face à la menace des débris s’accompagne d’une nécessité d’assurer la sécurité des infrastructures spatiales. Or, celles-ci apparaissent aussi comme un moyen de renforcer la souveraineté européenne des Etats membres, menacés de manière croissante par les cyberattaques, jusque dans l’espace. On parle ici de souveraineté économique, le spatial constituant de plus en plus un lieu d’affrontement économique entre les grandes puissances, mais également militaire. C’est pourquoi dans un contexte où on assiste de manière grandissante à la militarisation de l’espace, le programme de la PFUE planifie la définition d’une stratégie spatiale commune en termes de sécurité et de défense.
Une réglementation de l’espace nécessaire
Poursuivre la course spatiale, rester compétitifs, assurer la sécurité spatiale et terrestre, préserver la souveraineté spatiale européenne : telles sont les opportunités qui se présentent à l’UE, et ce notamment grâce à ses programmes spatiaux avancés, dont ses trois phares que sont Copernicus (observation de la Terre), Galileo (radionavigation par satellites) et EGNOS (système européen de navigation par satellites géostationnaires). Propulser et faire avancer ces programmes, ainsi que définir une stratégie spatiale commune entre tous les États membres, sont de véritables challenges qui s’imposent à la PFUE.
Une dernière mesure importante de la présidence française par rapport à l’espace est la mise en place d’un droit européen des opérations spatiales. Avoir une réglementation commune à l’échelle européenne apparaît en effet essentielle à l’heure où chaque État membre peut décider comme il le souhaite de gérer l’espace. Si nous ne voulons pas que les ressources spatiales soient appropriées et exploitées à l’excès par les grandes puissances mondiales, l’espace doit être encadré par des lois sans tarder. S’il n’est pas toujours facile d’être premier en la matière, l’Union européenne se ferait favorablement remarquer à se lancer collectivement dans une telle démarche. Elle s’affirmerait ainsi face aux grandes puissances de notre monde et renverrait ainsi un message clair allant dans le sens de à la fois du bien commun, mais également de la préservation de l’espace.
La PFUE et le prochain conseil ministériel de l’ESA organisé à Paris en novembre 2022 sont donc des moments décisifs que la France et l’UE doivent saisir pour faire de l’Europe le véritable leader spatial !
[Cet article est paru dans le numéro 36 du magazine]