Une impossible restitution des antiquités volées
06 July 2022 /
Ambre Racaud 7 min
Qu’est ce qu’on en commun les sculptures béninoises, les marbres du Parthénon grec et les sphinx turcs de Bogazkoy? Ces œuvres, qui remontent à l’Antiquité, ont un destin tragique en commun : celui d’avoir été obtenues illégalement avant d’être exposées dans un musée européen. Nous avons ainsi pu les observer pendant longtemps au Musée du Quai Branly à Paris, au British Museum à Londres et au Pergamonmuseum à Berlin. Cependant depuis le début des années 2000, les pays d’origine de ces artéfacts réclament de manière plus pressante que leur héritage culturel leur soit rendu. Cela a été le cas en 2011 pour le sphinx et en 2021 pour les statuettes béninoises. En revanche, les frises qui ornaient les murs du Parthénon sont quant à elles toujours exposées à Londres. C’est ici que se pose la controverse : le Royaume-Uni doit-il rendre ces fragments d’histoire rapportés par le Lord Elgin au XIXe siècle? Et de manière générale, faut-il rendre les œuvres volées par le passé et exposées en Europe ?
Seulement le problème n’est pas la simple question de l’exposition dans un pays qui n’est pas celui d’origine mais bien la propriété de ces antiquités. Qui doit être propriétaire ? La personne qui a découvert l’objet, le musée qui possède les droits, le pays de ce musée, ou le pays d’origine ? Suivant la réponse, les conséquences sont très différentes. En général il existe deux camps : ceux qui pensent que ces pans d’histoire doivent retourner dans leurs pays d’origine, car spoliés illégalement. Et ceux pour qui changer le statu quo n’est pas une option. Pour ces derniers, ces objets doivent rester dans les collections des musées européens qui devraient en contrepartie les faire voyager dans les musées du monde entier.
La propriété remise en question
Il ne suffit pas de vouloir rendre une œuvre à un pays pour que ce geste soit effectué. Il est d’abord nécessaire d’établir l’origine de l’objet. Les musées ont souvent un certificat d’authenticité à leur nom qui leur accorde la propriété de l’objet. Cependant la manière dont ces objets ont été acquis est à questionner. Ainsi, que faire des artéfacts qui ont été volés initialement, par des archéologues ou des pilleurs, puis achetés légalement par un musée ? La question se pose pour les marbres du Parthénon qui ont été acquis légalement par le British Museum en 1801. Cela a été autorisé par l’Empire Ottoman, qui contrôlait la Grèce à cette époque. Mais depuis son indépendance, la Grèce réclame le retour de ces fragments d’Histoire sur leur territoire. En effet, elle considère que les marbres du Parthénon ont été acquis illégalement pas le Lord Elgin, le peuple grec n’ayant jamais reconnu la légitimité de la souveraineté ottomane à l’époque. La Grèce considère donc que les marbres lui appartiennent et que l’Empire Ottoman n’avait aucun droit à l’époque de les céder aux Européens. Aujourd’hui, le British Museum possède légalement les documents de l’époque qui lui accordent la propriété des marbres, mais ces papiers ont été signé avec un pays occupant et non la Grèce, d’où la demande de rapatriement des œuvres. On voit donc que la question de la restitution des marbres du Parthénon est complexe. Le British Museum ne souhaite pas les rendre car considère qu’ils ont été acquis légalement après négociation avec le pouvoir ottoman en place et achat auprès du Lord Elgin. Pour la Grèce, cette acquisition est illégale.
Mais les marbres du Parthénon sont un exemple parmi tant d’autres, chaque œuvre constituant un cas unique, ce qui rend toutes généralités impossibles. Un autre exemple est celui de la dépouille de Saartjie Baartman, esclave sud africaine qui aurait une morphologie hors du commun avec une hypertrophie des hanches et des organes génitaux. Rendue célèbre au 19e siècle d’abord en Angleterre puis en France, elle est exhibée dans des foires ou des zoos. Bien que rémunérée pour ce travail, ses conditions de vie ne lui permettent pas d’émettre un souhait particulier pour sa dépouille. La question de la restitution est ensuite longtemps restée en suspens puisque techniquement l’Afrique du Sud était une colonie anglaise et n’existait donc pas à l’époque de la mort de Saartjie. Elle finit sa vie en 1815 en France, exhibée dans les foires, à la cour et dans les cabarets. A sa mort, plusieurs scientifiques français dont Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, procèdent à des autopsies afin d’établir un lien entre le monde animal et les hommes, qui passerait par les personnes noires. Après cela, sa dépouille et les représentations qui en ont été faites sont exposées dans différents musées parisiens comme le Musée d’Histoire naturelle ou le Jardin des plantes. Ainsi son corps a longtemps été considéré comme étant une propriété française, mais les Sud-Africains réclamaient son retour sur les terres natales de Baartman afin de l’inhumer traditionnellement. Son corps n’a été restitué à son pays natal qu’en 2002.
Assurer un héritage culturel
En plus de l’appartenance, un autre argument souvent entendu pour empêcher la restitution des œuvres concerne leur conservation. Les musées européens seraient mieux équipés pour assurer le bon état de conservation des antiquités. Dans certains cas, cet argument est en effet légitime. Prenons l’exemple de la destruction du mausolée de Tombouctou par les terroristes au Mali en 2012. L’Histoire de ce lieu est désormais perdue à jamais, laissant derrière elle seulement quelques fragments restants du mausolée. Des cas similaires de destructions d’objets et d’œuvres sont recensé dans de nombreux pays en guerre, comme en Irak ou en Afghanistan. Rendre aujourd’hui les œuvres spoliées à ces pays serait prendre le risque de les voir détruites par les groupes terroristes. Cependant ces cas restent exceptionnels et la plupart des pays qui réclament leurs artéfacts ont les capacités de préserver leur histoire culturelle..
En plus de cette question très terre-à-terre de la propriété des œuvres, il me semble important de s’interroger sur la perte culturelle des pays d’origine, au profit d’un autre. Selon certaines estimations, entre 85% et 90% du patrimoine historique et culturel africain auraient quitté le continent. Or pour la plupart, ces œuvres sont exposées dans des musées européens ou d’Amérique du Nord. Dans le cas du Bénin, la perte de ces artéfacts, qui représentent l’Histoire du pays et ses origines culturelles, posent d’importants problèmes. Jusqu’à la restitutions de certaines statuettes par le président Emmanuel Macron l’année passée, le Bénin n’avait presque pas de traces tangibles de son Histoire. Ainsi les Béninois et Béninoises n’avaient d’autre choix que d’entamer un voyage en Europe pour découvrir les œuvres de leurs ancêtres. Mais cela n’est évidemment possible que pour les plus riches d’entre eux. Cette inégalité d’accès à la culture de son propre pays résonne d’autant plus lorsqu’elle est mise en parallèle avec l’accès à la culture pour les Français. Ces derniers ont des musées sur leur histoire, avec des œuvres et des traces de leur passé. A cela s’ajoute la culture d’autres pays. Le musée du Quai Branly, où étaient exposées ces statues béninoises, est rempli d’artéfacts du monde, offrant une ouverture sur la culture d’autres continents. Ainsi le gain de culture d’un pays est-il possible uniquement au détriment d’un autre?
Finalement, existe-il une réponse à la question suivante : faut-il rendre les œuvres volées ? Les discussions entre les musées et les pays avancent dans certains cas et stagnent dans d’autres, les experts n’arrivant pas à se mettre d’accord entre eux. Pour certains c’est un devoir de rendre justice aux pays spoliés, pour d’autres l’eau a trop coulé sous le pont des arts. Pour ces derniers, le travail autour des questions de propriété est faramineux et le plus intéressant serait d’organiser un système de prêt d’œuvres et d’antiquités au niveau international. En effet, dans certains pays, l’accès à certaines cultures est limité. Par exemple au Mexique, les musées possèdent très peu d’œuvres d’Inde, tandis qu’en Inde il existe peu de collections autour de la civilisation chinoise. Ainsi un principe de prêt international entre musées serait une solution pour permettre à tous un accès à la connaissance. Cependant, cette idée est compromise par le fait de reconnaître la propriété aux musées. Ainsi, si la Grèce accepte le prêt des marbres du Parthénon de la part du British Museum, elle reconnaît de fait que le musée possède ces œuvres. Il est donc simple de comprendre pourquoi les pays réclamant une restitution n’acceptent pas les prêts. Bref, il n’existe pas de solution magique pour permettre à tous un accès à la culture des autres, tout comme il n’existe pas de réponse unanime quant aux œuvres spoliés.
[Cet article est paru dans le numéro 36 du magazine]