Concours d’écriture – Participation citoyenne dans l’UE
06 December 2016 /
Premier prix du concours organisé par Eyes on Europe et ses partenaires, Jonathan Dehoust explore les solutions pour promouvoir la participation de la jeunesse au sein du processus décisionnel européen et, par là même, réconcilier l’Europe avec ses jeunes citoyens.
Résoudre le « déficit cognitif » pour résoudre le déficit démocratique
Si la Belgique est d’une grande complexité institutionnelle avec ses multiples Réformes de l’État – l’épisode Wallonie vs. Ceta en est sans doute la dernière illustration –, aucun intéressé par la chose publique ne pourra nier que l’Union Européenne frôle l’embrouillamini structurel et politique aux yeux du citoyen lambda.
Ainsi, « la » problématique première, celle qui domine dans l’absolu toutes les autres, est la carence en science politique des jeunesses européennes avant d’endosser, jusqu’à leur mort, le costume d’électeur, voire pour certain(e)s de militant et/ou de candidat. Et il faut partir du postulat que la position de rejet instinctif résulte d’un manque de compréhension qui n’est pas à blâmer du haut, par exemple, de notre (long) bagage académique. Pour pouvoir intégrer les futurs adultes dans le processus décisionnel, encore faut-il donc qu’ils comprennent de quoi relève ce niveau supranational sophistiqué – du triptyque Commission/Conseil/Parlement à la perspective historique de l’intégration de ses membres.
Première étape : des milliers de parlements-jeunesses dans les écoles de l’UE
En ce sens, il relève du devoir de l’École, avec la position de neutralité axiologique qu’elle jure respecter, de résoudre ce « déficit cognitif » dans l’objectif de résoudre le « déficit démocratique », les deux naviguant en mutuelle dépendance et en renforcement progressif. Mais attention toutefois à ne pas placer cette matière dans un apprentissage « théorique et classique » qui se révélerait totalement contre-productif ; la pédagogie, étalée sur les deux dernières années de scolarité obligatoire, se doit d’être ludique et proactive avec un résultat transnational qui aurait force normative auprès des autorités européennes. Décoder, puis décider.
Dans toute famille politique confondue, un consensus persiste autour du bien-fondé de l’École, considérée comme primordiale dans la construction d’un citoyen cultivé et responsable. C’est pourquoi, en premier lieu, il convient de réaliser un travail de vulgarisation de la politique européenne, à raison d’au moins trois heures par mois.
Cet exercice périlleux – car le pragmatisme nous fera reconnaitre le naturel « désamour du politique » chez les jeunes – ne pourra se cantonner aux épaisses frontières de l’apprentissage traditionnel. Il s’agira plutôt de dépasser « le cadre du tableau noir et de la craie blanche » pour créer une didactique ludique à travers des simulations parlementaires (de type Parlement Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou Jeugd Parlement) qui placeront directement l’élève dans un micro-processus décisionnel réglementé par l’école. L’apprentissage théorique se fera uniquement par la pratique, sans aucune lecture barbante au préalable : l’élève est placé « dès la première minute » dans l’exercice et le jeu qui lui permettra de schématiser tout au long de l’année scolaire le fonctionnement institutionnel de l’Union Européenne.
Après avoir disposé les bancs et chaises sous la forme d’un hémicycle, la première séance, importante, se déroulerait comme suit : les élèves seront invités à prendre la parole dans un temps réparti (3 minutes maximum) pour évoquer un problème dans leur école et la solution qu’ils proposent. À court-terme, l’objectif est qu’ils écrivent, en commun, après la troisième séance, une proposition adressée à la direction de l’école (exemples : avoir un nouveau matériel de sport, changer le contenu d’un distributeur de nourritures et de boissons ou autoriser la consultation du smartphone en période de récréation).
L’objectif premier est de les familiariser avec le travail parlementaire : les élèves auront la possibilité de s’exprimer devant les autres pour argumenter leurs opinions, trouver des points de convergences, amender, respecter les croyances d’autrui, élaborer des alliances et des stratégies et enfin voter. Il sera vivement conseillé aux écoles, à la fois de promouvoir la liberté d’expression la plus large possible – sauf bien sûr pour les propos racistes, antisémites, homophobes et sexistes – et de tendre une oreille démocratique aux volontés orales et écrites des élèves.
Après ce premier exercice, il s’agira de découper, non pas la classe mais les classes, regroupés pour l’occasion, en groupes politiques calqués sur le modèle parlementaire existant et de représenter la Commission européenne et le Conseil européen par des membres du corps professoral. Dans ce deuxième exercice qui englobera toutes les autres séances, les élèves seront amenés à travailler sur deux décrets imposés qui seront les mêmes pour tous les jeunes des États-membres de l’Union Européenne. Ces deux décrets porteront sur des thématiques nécessairement attractives qui les touchent dans leur quotidien et donneront lieu à des débats aux idées pluralistes et engagées. Le vote final sera adressé aux autorités européennes.
Deuxième étape : une décision transnationale prise à Strasbourg
Cet apprentissage donnera des bagages conséquents à exploiter lors de la rhétoricienne/terminale. La première séance de cette deuxième année de plongée dans le bain parlementaire commencera par la lecture des conclusions des deux décrets imposés et d’analyser les différenciations de votes entre les pays – chercher à savoir pourquoi tel pays a voté « oui » et tel pays a voté « non ». Ici, sans doute le professeur pourra donner de la théorie à ces élèves (exemples : l’Allemagne a peur de la surveillance de masse à cause de son histoire avec la Stasi ou les pays baltes sont portés sur le sécuritaire à cause de la paranoïa d’une invasion russe).
Lors de cette dernière année scolaire, toujours avec le même format, les élèves rédigeront lors des six premières séances une proposition adressée à la Commission européenne, calquée sur la proposition de changement intrascolaire réalisée au début du travail. L’écriture de ce texte fera l’objet d’un concours transnational qui aura pour finalité d’envoyer les élèves gagnants dans le véritable parlement européen de Strasbourg avec d’autres adolescents (et désormais jeunes adultes) de nationalités et cultures différentes durant trois jours. Le contenu de ce texte sera supervisé par les professeurs pour qu’il soit cohérent.
Après quoi, un pointilleux travail administratif sera réalisé par un organe indépendant qui amassera tous les textes envoyés à travers l’Union Européenne à destination de la Commission. Cet organe cherchera à simplifier et coordonner les documents pour en tirer deux grands axes et choisira, avec motivation, cinq classes de rhétoriciennes/terminales dans chaque pays de l’Union Européenne, sans aucune distinction sociale, religieuse ou ethnique.
À l’intérieur du parlement, véritable hémicycle dans lequel ils se seront formés durant deux années avant de quitter l’obligation scolaire et de migrer vers d’autres horizons, académiques ou professionnels, les élèves pourront débattre comme bon leur semble sur deux propositions encadrés par des compétences minimes dressés à l’avance par les autorités qui auront des conséquences très limitées mais néanmoins concrètes. Car les décisions auront une force normative qui a son importance en ce sens qu’elle implique un véritable pouvoir décisionnel aux jeunesses européennes qui quittent complètement le cadre fictif pour « agir dans l’UE ».
Conclusion : décisions des jeunes, par les jeunes, pour les jeunes
Cette proposition pour mieux intégrer la jeunesse dans le processus des décisions européennes a deux mérites. D’abord, elle replace l’École au centre du développement d’une citoyenneté responsable qui implique, en substance, d’avoir les connaissances basiques du système politique (européen). Ensuite, elle offre l’opportunité d’occuper le parlement européen de Strasbourg en dehors des séances officielles par des adolescents de tous horizons nationaux pour se prêter concrètement au jeu parlementaire et de proposer un travail à la Commission européenne qu’elle se devra de respecter.
La solution se résume ainsi à décoder le système politique, à simuler ce système politique et à décider à l’intérieur même de ce système politique avant de commencer des études supérieures et/ou de rentrer dans la vie active. Des décisions des jeunes, par les jeunes, pour les jeunes.
Jonathan Dehoust est 1ère Master en sciences politiques (orientation générale) Université Catholique de Louvain-la-Neuve