Approfondir la responsabilité environnementale : un levier d’action pour les citoyens ?
29 March 2018 /
L’environnement et l’UE, cette belle histoire d’amour. Or, faut-il le rappeler, c’est une histoire complexe et superficielle. La directive 2004/35/CE du 21 avril 2004, portant sur la responsabilité environnementale (DRE), comptait faire appliquer le principe du pollueur-payeur. Pari tenu ? Pas vraiment. Mise en lumière sur les causes de l’échec de la DRE et recherche des pistes potentielles d’approfondissement
C’est une décision historique qui tombe en février 2018 : la Cour internationale de justice (CIJ) reconnaît qu’en droit international général (Le club des juristes, 2018), un préjudice écologique pur a un caractère réparable. La CIJ condamne le Nicaragua à indemniser le Costa Rica pour dommages environnementaux (Actu environnement, 2018) et en évalue le montant en s’inspirant parmi les mécanismes de compensation prévus par la directive 2004/35/CE portant sur la responsabilité environnementale (DRE).
L’émergence du principe de responsabilité environnementale
La responsabilité environnementale résulte d’un long cheminement juridique et se décline principalement en deux dimensions : internationale et communautaire (Fréval, 2009). L’activité législative de l’Union européenne visait l’uniformisation du régime de prévention et de réparation des dommages environnementaux, en vertu du principe pollueur-payeur (Direction générale de l’environnement (CE), 2013a). Dans ce cadre, toute personne physique ou morale concernée par un dommage de ce type, ou une association de défense de l’environnement, a le droit de demander à une autorité nationale compétente de prendre des mesures correctives.
Cependant, la Commission européenne a observé que les situations nationales étaient loin de s’améliorer. Pourquoi la DRE a-t-elle essuyé autant d’échecs ? Et quelles sont les fenêtres d’opportunité pour renforcer le pouvoir des citoyens et des associations de défense de l’environnement face aux dégradations de leur environnement ?
La DRE, loin d’être un cercle vertueux
La DRE fournit ainsi deux régimes de responsabilité en cas de (menace imminente de) dommage environnementaux. Le premier, s’applique sur les exploitants exerçant des activités (potentiellement) dangereuses. Dans ce cas, la responsabilité peut être attribuée à l’exploitant même s’il n’a pas commis de faute (Direction générale de l’environnement (CE), 2013b). Le deuxième régime s’applique sur toute autre activité, seulement si le dommage est causé aux sols, aux eaux ou aux espèces et habitats naturels protégés. La responsabilité ne sera engagée à l’encontre de l’exploitant que s’il s’est montré négligeant ou s’il a effectivement commis une faute (Lawrence, 2006). Ces deux régimes cohabitent et prévoient une atténuation du renversement de la charge de la preuve ; et le recours à une responsabilité in solidum est laissée au choix des États membres (Simon, 2006).
Dans le rapport de la commission JURI datant d’octobre 2017, la mise en œuvre de la DRE est épinglée sur plusieurs aspects et révèle que « la directive a été transposée de manière inégale et fragmentée dans l’Union européenne, avec des normes qui se sont souvent révélées inefficaces à l’épreuve des faits » (Commission aux affaires juridiques, 2017). Arborée d’incertitudes juridiques (Euractiv, 2012), la DRE ne contient aucune ligne directrice claire quant aux moyens de transposition dans l’ordre juridique national. Dès lors, la plupart des États membres continuent de se baser sur leur droit national. De plus, certains d’entre eux n’ont pas enregistré de dommages depuis 2007. Les enregistrements sont incomplets, inexistants, voire contradictoires. Cette disparité étant de surcroît encore plus criante, lorsque qu’il est constaté que la Pologne et la Hongrie représentent 86% de ces enregistrements (Commission aux affaires juridiques, 2017).
La DRE ne prévoit aucune disposition lorsque l’exploitant est insolvable ou introuvable. Le coût de réparation des dommages se répercute alors sur les administrations publiques, et donc directement sur les citoyens européens (Commission aux affaires juridiques, 2017). Dans un même temps, les administrations locales qui manquent de moyens ne se permettent pas de mettre en place un contrôle et un suivi conséquent, ce qui rend inefficace toute sanction et tout ajustement (Mission économie de la biodiversité, 2016). Le champ d’application de la DRE se veut pragmatique et objectif, et conformément aux souhaits des assureurs et des industriels, la DRE n’est pas rétroactive et prévoit une prescription de trente ans. De manière plus globale, la DRE a limité son périmètre alors que d’autres voies étaient envisageables (Simon, 2006).
Élargir et approfondir la DRE, une nécessité ?
Pourquoi élargir le champ d’application de la DRE ?
La DRE exclut de son champ d’application les activités causant un dommage environnemental (ou une menace imminente d’un tel type de dommage) relatives aux conflits armés, des hostilités, des guerres civiles ou des insurrections, aux côtés des phénomènes naturels et des cas de force majeure (Lawrence, 2006), ou dans des cas de pollution diffuse (Direction générale de l’environnement, 2013b). Dans la même veine, sont exclus les risques nucléaires, les activités et incidents liés aux activités militaires (Lawrence, 2006). Il convient alors de se focaliser sur l’opportunité et la faisabilité de légiférer sur ces types d’activités.
L’UE pourrait alors avoir son rôle à jouer dans l’accélération des prises de décision en la matière dans les États membres, en élargissant son champ d’application aux activités qu’elle avait alors exclue de la DRE (article 4 et annexe III). Dans le cas militaire, il est toutefois difficile d’imaginer une personne physique lésée poursuivre en responsabilité un État causant un dommage environnemental. Il reste évidemment d’autant plus de pistes à explorer qu’il y a d’exceptions : exclusion des contaminations dues aux OGM, des pollutions maritimes, des blessures occasionnées, des exploitants effectuant des mesures de compensation, etc. (Euractiv, 2010).
Comment approfondir la portée la DRE ?
Si la directive 2004/35/CE est une première en matière de reconnaissance du préjudice écologique et de son caractère réparable, ce dernier prend la forme d’une réparation en nature des dommages écologique et cette compensation concerne les impacts non anticipés par les exploitants (Mission économie de la biodiversité, 2010). Dans son rapport au Parlement européen et au Conseil, la commission JURI évalue et propose la création d’un fonds européen pour la réparation des dommages environnementaux dues aux activités industrielles (BIO Intelligence Service et al., 2013) et pour garantir une meilleure couverture des dommages non repris sous le régime actuel de la DRE, par exemple en cas de désastres écologiques (Commission des affaires juridiques, 2017). Tous les enjeux du débat porteront sur le mode de financement de ce fonds (Simon, 2006). La première difficulté est l’harmonisation du régime de garantie financière (Commission des affaires juridiques, 2017), notamment à cause du manque de collecte et d’enregistrement systématique, détaillé et standardisé de l’information technique, financière et environnementale des sinistres. Dans tous les cas, une option transnationale comme le fonds européen de réparation des dommages environnementaux permettrait de pallier le manque d’intervention financière des États membres (Simon, 2006).
Quoi qu’il en soit, un régime de responsabilité basé sur l’absence de faute risque de créer une budgétisation de la pollution. Et il a déjà été observé que les agents économiques incluent le coût du dédommagement dans leurs coûts de production. Ce qui a pour conséquence que les pollueurs dont l’impact est moindre mais durable seront encouragés. Ceci rend le régime inefficace, voire néfaste (Pelzer, 2013). Parallèlement, les systèmes de compensation déjà mis en place s’essoufflent, par le fait que les exploitants tirent un avantage en polluant sans en payer des dommages (Euractiv, 2010).
Quelles perspectives pour la responsabilité environnementale ?
Au vu de son inefficacité et de ses nombreuses critiques, il apparaît nécessaire et urgent d’approfondir et d’élargir la DRE. Les Etats membres se doivent de garantir à leurs citoyens et aux associations de protection de l’environnement une voie effective de recourir à la justice et de demander réparation. S’il faut reconnaître que le pléthore législatif européen autour de la question environnementale et des changements climatiques s’est dressé en première position à l’échelle internationale ; il faut admettre également que les solutions de type « end-of-pipe », et notamment la DRE, n’ont pas trouvé d’écho dans des politiques publiques nationales.
A notre sens, la responsabilité environnementale mérite de retrouver l’attention des dernières décennies. Des pistes d’approfondissement existent : créer un règlement fort portant sur la responsabilité environnementale, dissuader les maîtres d’œuvres en majorant les coûts des dommages environnementaux, créer un fonds européen de réparation des dommages environnementaux, approfondir les prérogatives de l’Agence Européenne pour l’Environnement, sont autant de questions qui restent à traiter.
* La DRE définit « exploitant » par : toute personne physique ou morale, privée ou publique, qui exerce ou contrôle une activité professionnelle ou, lorsque la législation nationale le prévoit, qui a reçu par délégation un pouvoir économique important sur le fonctionnement technique, y compris le titulaire d’un permis ou d’une autorisation pour une telle activité, ou la personne faisant enregistrer ou notifiant une telle activité.
Natalia Claasen est étudiante en master en Gestion de l’environnement à l’Université Libre de Bruxelles.
Cet article est écrit dans le cadre de la XXIième édition de la SPECQUE (Simulation du Parlement européen Canada-Québec-Europe) qui se déroulera entre le 29 juillet au 5 août 2017 à Montréal. L’article porte sur la Proposition de règlement portant sur la responsabilité environnementale (commission ENVI) du Commissaire Théo Charpentier. Pour plus d’informations : http://www.specque.org/
Bibliographie
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o Mission économie de la biodiversité. (2016). La compensation écologique à travers le monde : une source d’inspiration ? Les cahiers de Biodiv’2050 : Comprendre, 10, 1-40. Récupéré le 28/02/2018 de http://www.mission-economie-biodiversite.com/wp-content/uploads/2016/12/N10-COMPRENDRE-FR-BD.pdf
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Sources issues de la Commission et du Parlement européen
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o Direction générale de l’environnement (CE). (2013a). Directive sur la responsabilité environnementale. Protéger les ressources naturelles de l’Europe. Luxembourg : Office des publications de l’Union européenne. Récupéré le 26/02/2018 de http://ec.europa.eu/environment/legal/liability/pdf/eld_brochure/FR.pdf
o Direction générale de l’environnement (CE). (2013b). Environmental liability directive. (s. l.) : Office des publications de l’Union européenne. Récupéré de : http://ec.europa.eu/environment/pubs/pdf/factsheets/eld/en.pdf
o Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Récupéré de http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:143:0056:0075:fr:PDF
o Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen conformément à l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. COM/2016/0204 final. Récupéré de http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:52016DC0204