C'est l'histoire d'un belge qui court 10 km en Corée du Nord…
24 June 2017 /
Réunir des potes, leur parler du marathon de Pyongyang, partir en Corée du Nord et remporter l’épreuve des 10 km. Le 9 avril dernier, Olivier Dauw mettait un terme à une idée que beaucoup auraient trouvée folle. Entre intimidations et nouilles froides, le jeune belge raconte son expérience.
Olivier est ce qu’on a appelle un globe-trotter. Après son diplôme d’ingénieur et quelques années de bureau, le jeune belge met le cap sur l’Afrique avant de s’envoler pour Singapour, où il travaille actuellement pour Uber. Mais entre-temps, Olivier a aussi foulé la Corée du Nord, pour 10 km de course et pas mal de souvenirs.
cafébabel : Comment avez-vous entendu parler de cette course ?
Olivier Dauw : Un peu par hasard. L’année passée, des amis à moi ont participé à la course. Je me suis dit « Zut, il faut absolument que je le fasse ! ». Je me suis donc renseigné auprès d’eux pour savoir comment participer. J’en ai parlé à d’autres amis, on a formé un petit groupe et on est partis.
cafébabel : Parmi toutes les courses qu’il existe au monde, pourquoi avez-vous choisi celle-ci ?
Olivier Dauw : Je pense qu’on n’y a pas vraiment été pour la course. C’était plutôt la possibilité de partir en Corée du Nord qui a suscité notre intérêt. Le marathon est le seul événement international que ce pays organise. On s’est dit que c’était sympa de combiner la découverte du pays avec un événement hors du commun.
cafébabel : Qui étaient les autres participants ?
Olivier Dauw : Les participants viennent vraiment de partout. On retrouve des Européens, Australiens, Asiatiques, Américains etc. Il n’y a pas vraiment de nationalités prépondérantes. Toutes les nationalités sont autorisées à participer sauf, les Sud-Coréens et les Malaisiens. Suite à l’assassinat du neveu de Kim Jong-un en Malaisie, ces derniers ne sont plus autorisés à mettre un pied sur le sol nord-coréen. La course accueille 800 étrangers (nombre maximum). Bien sûr, beaucoup de Nord-Coréens concourent également, dont beaucoup d’enfants. Dans les rues, les parents sont là pour encourager leurs enfants et leurs familles. La Corée du Nord propose peu de loisirs, la course est un peu l’activité du dimanche pour eux.
cafébabel : Justement, quels étaient vos rapports avec la population locale ?
Olivier Dauw : Au quotidien, on était en contact avec la partie de la population qui parle anglais, l’élite de la société d’une certaine manière : les guides, le personnel des hôtels, des musées etc. Ce sont des personnes formées à être en contact avec les étrangers, différentes de la « vraie population », par exemple celle qui travaille dans les champs. Avec eux, on a eu l’occasion de discuter tout en gardant à l’esprit que cela pouvait être une façade. On ne sait pas toujours s’ils disent réellement ce qu’ils pensent.
cafébabel : Vous avez sûrement une petite anecdote…
Olivier Dauw : Tous les soirs on allait manger dans un restaurant de la ville. On était pratiquement toujours seuls, entre touristes. Mais un soir, on a rencontré une famille de Nord-Coréens dans un bar. On s’est installé à côté d’eux et nous avons commencé à discuter. Et tout à coup, ils ont demandé l’addition, emballé la nourriture dans des doggy-bags et sont partis. Je suppose qu’ils avaient peur de dire ou faire quelque chose qui ne leur était pas autorisé.
cafébabel : Vous êtes l’une des rares personnes à avoir franchi ce « rideau de fer ». Quelle a été votre première impression en arrivant sur place ?
Olivier Dauw : Ma première impression en arrivant était assez normale. On arrive dans un aéroport et tout se passe comme dans chaque autre aéroport international. La sécurité est très stricte, c’est vrai. On se fait complètement fouiller, il faut ouvrir les valises en grand, parfois allumer les ordinateurs pour montrer le contenu etc. Ils vérifient en particulier si on n’emmène aucune information sur la Corée du Nord. En fait, ils veulent éviter de montrer le monde extérieur aux Nord-Coréens.
cafébabel : Comment votre voyage a-t-il été organisé ?
Olivier Dauw : Comme il y avait un quota de 800 étrangers pour la course, j’ai dû réserver en novembre. Début décembre, tout était complet. En termes de prix, j’ai payé 1 400 dollars étatsuniens, visa inclus, pour 4 jours au départ de Pékin. Sur place, on a peu dépensé, sauf pour un souvenir et de l’alcool dans un bar.
Là-bas, les coureurs étrangers étaient répartis dans deux hôtels. Un hôtel sur une presqu’île relié à la ville par un pont et un au centre-ville. Les services étaient impeccables, bien organisés. L’hôtel était très propre mais il fonctionnait avec les limites du bord vu qu’il y a peu de biens importés. Il n’y a pas de steak-frites par exemple, il faut manger local: des nouilles froides ou du kimchi (du chou dans une sauce épicée) notamment. Pas d’internet, pas de réseaux de téléphone non plus. Je n’avais même pas pris mon téléphone avec moi pour le voyage. J’ai préféré le laisser à Pékin.
cafébabel : On le sait, la question de la liberté d’expression en Corée du Nord est problématique. Avez-vous eu des recommandations avant la course ?
Olivier Dauw : On avait reçu un guide de règles à suivre pour la course: pas de grand logo, pas de publicité, pas de référence aux couleurs nationales. Même si les règles étaient assez strictes, personne n’a reçu de remarques des autorités locales. Pour la course, on devait tous porter un maillot officiel aux couleurs de la Corée du Nord. Pour les cérémonies officielles en revanche, pas de short ni de t-shirt par respect pour la culture locale.
cafébabel : Et durant le séjour, comment se passaient les visites ?
Olivier Dauw : En tant qu’étranger, on n’a pas le droit de se balader librement en Corée du Nord. La seule possibilité, c’est de passer par une agence de voyage et cela implique que des guides vous encadrent en permanence. Il y a des directives à suivre. Par exemple, pour les photos, il faut obligatoirement prendre les statues des dirigeants dans leur entièreté, avec le paysage, pour montrer leur grandeur et glorifier le pays. Autre exemple, déchirer les magazines nationaux ou les jeter à la poubelle est à éviter, ça peut être considéré comme une insulte.
Une fois, j’ai aussi dû supprimer des photos lors de notre visite de la zone entourant la frontière avec la Corée du Sud. J’ai pris une photo d’une tour avec des antennes, et apparemment c’était secret défense. Donc oui, il y a quelques règles à respecter mais globalement ça allait. Dans certains pays en voie de développement, vous ne pouvez pas non plus prendre de photos des aéroports ou des ambassades.
cafébabel : Vous êtes-vous senti oppressé par cet encadrement ?
Olivier Dauw : Non, sauf peut-être la fois où l’on a visité la zone démilitarisée. Là, ils étaient assez oppressants et pressés. Il y avait des énormes salles avec beaucoup de documents sur la guerre de Corée et ils ne nous ont laissés que quelques minutes pour regarder. Il ne fallait pas qu’on analyse trop ce que l’on nous montrait ou qu’on pose trop de questions. A la frontière même, il y avait des militaires Nord-Coréens pour nous empêcher de sortir du pays. C’est assez spécial.
cafébabel : La Corée du Nord est l’un des pays le plus isolé au monde. Son régime a subi de nombreuses accusations quant au non-respect des droits de l’homme. Ne pensez-vous pas que participer à la course, c’est montrer une forme de soutien à ce régime ?
Olivier Dauw : Je comprends ce point de vue, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Du point de vue financier, le tourisme représente un revenu supplémentaire pour le régime. Il y a environ 5 000 touristes par an. Ils dépensent en moyenne 1 500 dollars US par personne, ce qui fait 7 millions et demi de dollars US par an. Ce montant ne fait pas une grande différence financière pour un pays. Du point de vue de la propagande, il est vrai que le régime pourrait utiliser les visites des étrangers comme un outil auprès de la population locale. D’un autre côté, les étrangers en tant qu’ambassadeurs du reste du monde montrent aux Nord-Coréens, qu’on ne leur est pas hostiles et qu’on est des hommes comme eux. L’effet de propagande négative est donc compensé par un effet de propagande positive.
Natacha Lescart et Lucas TRIPOTEAU pour CaféBabel.
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