DÉLIBÉRONS-NOUS ! Déficit et défis démocratiques
20 December 2016 /
Second prix du concours organisé par Eyes on Europe et ses partenaires, Jonathan Piron explore les solutions pour promouvoir la participation de la jeunesse au sein du processus décisionnel européen et, par là même, réconcilier l’Europe avec ses jeunes citoyens.
Un système sclérosé
Nul besoin de procéder à une fine analyse politique pour constater que le mode de fonctionnement de nos démocraties occidentales est ankylosé. Les rouages de nos systèmes politiques semblent s’être encrassés. Dans tous les États membres de l’Union européenne, les institutions politiques sont de plus en plus décriées. Les fondements de la démocratie représentative s’ébranlent, au même rythme que se répandent des phénomènes tels que l’abstention électorale, qui fragilisent et délégitiment les institutions représentatives actuellement en place.
L’Union européenne, en tant qu’organisation supranationale fondée sur les mêmes grands principes de fonctionnement politique que les États qui la composent, n’échappe pas à cette problématique. Le taux de participation aux élections du Parlement européen est d’ailleurs en constant déclin et ne dépasse plus les 50 % depuis 1999.
En d’autres termes, un fossé se creuse entre deux types d’acteurs du système politique : citoyens et décideurs. On parle de crise de confiance, de déficit démocratique, ou encore de désenchantement politique. Cet éloignement du citoyen vis-à-vis du monde politique est dû sans doute en partie à une condamnation des décisions politiques elles-mêmes, mais aussi certainement à une critique de la manière dont ces décisions sont prises, et donc du modèle qui structure nos communautés politiques. Ces dysfonctionnements sont préoccupants, car ils concernent fondamentalement l’organisation et la gestion de la vie en société, ce qui est finalement l’affaire de tous.
Participer davantage ou mieux participer ?
Face à cet amer constat, il serait dommage de ne pas essayer de mettre un peu d’huile dans les rouages de cette vieille machine qu’est la démocratie représentative, voire de remplacer dans ce système l’un ou l’autre engrenage, qui serait devenu aujourd’hui trop rouillé. Mais comment faire, dans la mesure où le citoyen semble désormais si hostile à la participation aux processus de décision politique ?
En fait, si, par exemple, les récentes polémiques autour du TTIP et du CETA – ces traités de libre-échange en discussion entre l’Union européenne et, respectivement, les États-Unis et le Canada – ont bien démontré la fracture qui peut exister entre élites politiques et opinion publique, elles ont également souligné la volonté chez un grand nombre de citoyens européens de prendre part au débat démocratique. Et c’est dans cette notion de débat que se situe toute la nuance. En effet, l’un des principaux reproches adressés aux négociateurs de ces traités internationaux, au-delà des divergences d’opinions quant au contenu des textes juridiques, est l’absence de transparence des négociations. Le citoyen veut pouvoir contribuer, donner son avis, en participant réellement au débat politique.
Or, actuellement, la participation citoyenne se limite dans la plupart des cas à la simple formulation d’un choix. Que ce soit à travers l’élection de représentants, un référendum, ou même une pétition, le citoyen ne fait qu’exprimer un avis désincarné et non argumenté. C’est au niveau de cette approche de la participation que se trouve le problème, mais aussi, par conséquent, sa solution. Parce que ce qui importe en fait le plus dans le processus décisionnel, c’est le débat menant à la prise de décision, qui permet de l’argumenter et de la légitimer, plutôt que la décision elle-même. Prendre une décision sans tenir compte de son contexte, sans la justifier au regard des opinions divergentes qui animent le débat autour de la question traitée, n’est en effet pas gage de prendre la décision la plus opportune. Il est par ailleurs difficile d’accepter une décision prise par un représentant élu que le manque de soutien électoral ne rend plus très légitime.
La délibération citoyenne, en tant que processus de discussion menant à une décision, semble donc être une des clés pour lutter contre le déficit démocratique, au sein de l’Union européenne tout comme au sein de n’importe quelle communauté politique. La délibération permet en effet de faire entendre la voix de la société civile non-organisée. Elle donne au citoyen la possibilité de s’exprimer et de partager son expertise, l’expérience de son quotidien. La délibération permet à chaque citoyen de se rendre compte des réalités politiques, mais aussi de faire part de ses idées novatrices, et de les enrichir grâce aux phénomènes d’intelligence collective. Cette démarche peut par ailleurs s’inscrire à différents niveaux de prise de décision, du local au global. Les innovations technologiques de ces dernières années en matière communication permettent en effet d’envisager des délibérations en ligne, Internet facilitant le rassemblement de citoyens de tous horizons pour discuter d’enjeux plus globaux.
Concrètement, il ne s’agit pas nécessairement de remplacer le mode de prise de décision actuel, basé sur la représentation d’une population par une partie de ses citoyens, pour adopter un système de délibération rassemblant toute cette population. Par contre, mettre en place de façon régulière des panels délibératifs de citoyens, tirés au sort, pour donner un avis, décisif ou consultatif, sur une thématique particulière, peut être un bon point de départ. Créer une chambre législative supplémentaire, composée de citoyens tirés au sort, fonctionnant sur base des principes de la délibération citoyenne, n’est pas non plus une mauvaise idée. On l’a compris, la mise en place concrète de la démarche délibérative peut varier énormément. L’essentiel réside réellement dans la volonté de donner au citoyen la possibilité de s’approprier les problématiques politiques, de faire siennes les questions de gestion de la vie en société.
À mon sens, le désintérêt politique, parfois même vis-à-vis de nouvelles formes d’expression démocratique, s’explique par la méfiance qui s’est installée dans la société envers tout ce qui a trait au mot « politique ». Le problème réside donc aussi certainement dans nos mentalités. Mais cette apathie politique évolue, la situation s’améliore et l’intérêt pour ces initiatives nouvelles augmente. Comme tout changement de mentalité, a fortiori un changement collectif, il n’est pas instantané.
Défis et opportunités
En résumé, afin de combler le fossé qui ne cesse de se creuser entre citoyens et responsables politiques, il est essentiel de donner à chaque citoyen l’opportunité de s’exprimer, d’être entendu – et surtout écouté –, et d’avoir un impact réel sur le processus de prise de décision. La participation citoyenne ne doit pas se limiter à l’expression d’une opinion dépourvue d’argumentation, elle doit intégrer pleinement une démarche de délibération, de débats citoyens menant à une décision pour la collectivité.
Les outils que nous avons à notre disposition grâce à Internet et aux technologies de l’information et de la communication de manière générale, nous permettent aujourd’hui de repenser, de réinventer nos systèmes politiques, qui ne sont vraisemblablement plus adaptés aux réalités de notre temps. Alors profitons-en ! D’autant plus que ces propositions peuvent s’insérer sans problème au sein du système représentatif actuel. Ne changeons dès lors pas toutes les règles du jeu. Du moins pas tout de suite, pas d’un seul coup. Mais ne soyons pas hostile à l’évolution, si on veut éviter les dommages collatéraux d’une potentielle révolution.
Jonathan Piron