Europe, deviens ce que tu es!
21 October 2016 /
Alors que Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, ne voit pas l’UE menacée, les nombreux eurosceptiques voient leurs espoirs confirmés par le vote britannique en vue d’une sortie de l’Union et instrumentalisent ce référendum pour renforcer le sentiment anti-européen. Replis protectionnistes, politiques du chacun pour soi et velléités de sortie de l’UE : C’est l’idée européenne elle-même qui est menacée. Une idée qui représente l’histoire de notre civilisation et que nous risquons bien de perdre. Un appel à la mémoire collective semble ainsi indispensable.
On ne tombe pas amoureux d’un grand marché » disait Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, en 1989. Et il n’a d’ailleurs pas tort. L’Europe n’est pas uniquement un marché intérieur, mais une idée qui doit enfin s’imposer.
Lors du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE, les Britanniques ont choisi de sortir – un acte symbolique qui ne reflète pas uniquement un problème de surface, mais un malaise plus profond vis-à-vis de l’idée d’Europe. Ce vote signifie sans doute une crise de conscience européenne.
Les citoyens européens se disent de moins en moins convaincus et favorables à l’UE. Une enquête menée en printemps 2016 par le Pew Research Center a révélé que seule la moitié des Allemands et un quart des Grecs font preuve d’une attitude pro-européenne. En France et en Espagne, l’UE perd même son soutien à deux chiffres: en moyenne, 42% des personnes interrogées veulent que certaines compétences soient restituées aux gouvernements nationales. La crise financière et bancaire, le chômage et notamment la crise des réfugiés renforcent le sentiment de rejet et favorisent les politiques isolationnistes.
Les élections présidentielles approchent en Autriche et en France ; les élections législatives aux Pays-Bas et en Allemagne. Un changement politique s’annonce en Europe et, parallèlement, les voix de partis d’extrême droite et celles des populistes s’élèvent : Marine Le Pen lance une campagne focalisée sur « l’identité » et la « souveraineté » françaises ; Frauke Petry, le porte-parole du parti de droite allemand (“Alternative pour l’Allemagne”), s’engage à revaloriser le terme “völkisch” qui désigne “ethnique” et appartient à l’ancienne idéologie nazie. Fragiliser l’UE et renforcer les États-nations – telle est la vision polonaise de l’avenir de l’Europe, révélée récemment au 26e Forum économique de Krynica. À ce propos, Viktor Orbán, Premier ministre hongrois, a profité de l’occasion pour accuser les « élites européennes » d’avoir cherché à « liquider les identités nationales ». À ses yeux, l’initiative appartient aujourd’hui à ceux qui soutiennent que l’identité nationale et religieuse joue un rôle crucial, et « qu’il n’existe pas d’identité européenne pour les remplacer ». En ce sens, l’idée européenne passe pour une relique, un projet voué à l’échec qui devrait céder à nouveau la place au pouvoir des États-nations, à une “contre-révolution culturelle” et renverser l’esprit de gauche, et par la même occasion, également les acquis des Lumières européennes.
Une identité européenne qui se cherche
Europe se reconnaît en tant que communauté partageant des valeurs communes. À cet égard, les 9 États européens faisaient une première tentative d’établir juridiquement des critères d’identité européenne lors du sommet de Copenhague en 1973. La déclaration adoptée sur l’identité européenne envisage l’intégration européenne comme s’appuyant premièrement sur l’héritage culturel, religieux, humaniste commun ainsi que sur les principes de la liberté et égalité, de la démocratie et du respect des droits de l’homme. Celle-ci doit prendre en compte la dynamique de la construction européenne et la constitution de ses principes fondamentaux tout en respectant la diversité des cultures dans le cadre d’une même “civilisation européenne”. L’attachement à des valeurs et des principes communs, le rapprochement des conceptions de la vie et la conscience de posséder des intérêts spécifiques en commun constituent les conditions fondamentales de la progression de l’intégration européenne.
Le traité sur l’Union européenne de 1992, aussi appelé traité de Maastricht, a davantage précisé en quoi cette “identité européenne” consiste. Fondée sur « les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme » (Article 1, TUE), l’Union adopte la vision d’une société « caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » (Article 2, TUE) qui constitue un volet très important de la construction européenne.
Compte tenu du climat d’hostilité actuel, l’idée européenne et ses principes semblent tombés dans l’oubli d’une partie de ceux qui devaient lui donner vie. L’Europe actuelle se caractérise par un manque de cohésion, et surtout, par un manque de conscience européenne de sa population. En ce sens, les dirigeants politiques d’extrême droite, les populistes comme leurs partisans empêchent la vision d’une Europe progressive, unie et solidaire de se réaliser. Renforcer une prise de conscience européenne collective est indispensable pour redonner un nouvel élan à cette idée.
Europe, lieu de mémoire et mémoires des lieux
La mise en oeuvre de la monnaie unique, l’ouverture des frontières, les programmes d’échange scolaires et les organismes de recherche européens démontrent une histoire et une civilisation Européennes. Ces efforts avaient pour but de renforcer l’identité européenne des citoyens. De fait, elle a bel et bien instauré un cadre qui favorise les échanges institutionnels, politiques ou culturels et permis à certains égards à l’Europe de s’exprimer d’une voix forte et coordonnée. Toutefois, le sentiment d’appartenance à une même Europe, le sentiment d’un “nous” européen ne semble pas s’être suffisamment développé. D’après un sondage Eurobaromètre en novembre 2015, seule 16% des Français et Belges se disent très attachés à l’Europe, 15% des Allemands, 13% des Néerlandais et seulement 11% des Autrichiens. Même si nous prenons en compte ceux qui se disent “assez” attachés (45% des Français, 47% des Belges, 42% des Allemands, 47% des Néerlandais, 45% des Autrichiens), la question de l’attachement à l’Europe semble diviser les Européens. Pour cette raison, il faudrait reconsidérer les cadres instaurés par l’UE.
L’Europe est un lieu de mémoire, qui porte avec elle ses acquis, ses valeurs et représentations établies au cours du temps : l’humanisme des Lumières, les droits de l’homme, l’idée que la liberté ne peut exister sans l’égalité, ou la considération réfléchie de l’Histoire
En conséquence, si les cadres légaux et factuels sont insuffisants, comment envisager l’identité européenne à présent ? Pour reconnaître ce qui unit les citoyens européens, il faut revivre le passé, afin de faire revivre un héritage historique, culturel et spirituel. L’Europe est un lieu de mémoire, qui porte avec elle ses acquis, ses valeurs et représentations établies au cours du temps : l’humanisme des Lumières, les droits de l’homme, l’idée que la liberté ne peut exister sans l’égalité, ou la considération réfléchie de l’Histoire. L’Europe ne doit pas être considérée comme un ensemble d’États-nations, ni comme un ensemble de traités et contrats transnationaux, mais d’abord comme une idée, un projet communautaire qui reconnaît ses origines. Les cultures allemande, anglaise ou française, portent déjà l’idée d’une communauté occidentale, issue de la culture gréco-latine. En ce sens, la conservation de la culture “nationale” visée par les droites extrêmes, les spécificités culturelles et l’importance géographique qu’ils leur donnent, appartiennent au développement de la civilisation européenne.
Il ne s’agit donc pas de mépriser la langue ou la culture de chacune des nations, – et la devise “unie dans la diversité” trouve sa justification ici – mais de valoriser la vie religieuse et spirituelle, qui dépassent les limites de la langue et des frontières. Les nations ont déjà une unité spirituelle, il nous reste à retrouver les principes de notre culture commune à travers l’Histoire. Redonner vie à un héritage millénaire nécessite un appel à la mémoire historique et culturelle, afin que les citoyens européens ne mettent plus leur diversité en avant, mais reconnaissent leur propre unité dans les esprits.
Emel Köse est étudiante en Master de Philosophie à l’Université de Strasbourg et l’Université de Fribourg-en-Brisgau