Euthanasie : Vivre ou laisser mourir ? La France face aux autres pays d’Europe

09 April 2018 /

En ce qui concerne le droit à mourir dans la dignité, le pays des droits de l’homme accuse un fameux retard par rapport à ses voisins européens.

« Mon corps se referme sur moi (…) je ne vois pas pourquoi on devrait m’imposer d’être torturée dans mon corps et d’être grabataire jusqu’à mourir de toute façon puisqu’il n’y a plus d’espoir possible », confiait Anne Bert le 12 avril 2017 dans l’émission C à vous sur France 5. L’écrivaine française, auteure de Le tout dernier été, venait sur le plateau de France Télévisions pour parler de son dernier livre et de sa décision, qu’elle tenait à rendre publique : elle souhaitait se faire euthanasier le 2 octobre 2017, en Belgique. Atteinte de la maladie de Charcot, une affection neurodégénérative incurable, « elle avait fait de son suicide programmé un combat politique », conclut le journal Le Monde. La romancière espérait que la publication de son dernier roman, dans lequel elle explicite clairement son choix de mourir dans la dignité, ferait évoluer la loi française, interdisant la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté. Quels éléments issus des droits français et européens paralysent encore aujourd’hui ceux pour qui mourir rime avec choisir ?

Que dit la loi française ?

Le pays des droits de l’homme a légiféré pour la première fois sur la fin de vie en 2005. La loi Leonetti insiste sur quatre points. D’abord, elle proscrit l’obstination déraisonnable et la prolongation artificielle de la vie, et ce, même que lorsque le patient n’est plus en état d’exprimer sa volonté. Par ailleurs, le médecin peut administrer la dose de soins palliatifs qu’il estime nécessaire pour le confort du sujet, c’est-à-dire, l’absence de souffrance. Ensuite, le texte insiste fortement sur l’importance de décider collégialement de l’arrêt des soins si l’état du patient semble relever de l’obstination déraisonnable. La décision de poursuite ou d’arrêt des soins ne peut être prise qu’en présence des proches. De plus, la loi place le patient au centre du processus, du moins, en théorie. En effet, la volonté du ce dernier de limiter les traitements doit être prise en compte et ce il doit être informé des conséquences de sa décision. Enfin, si le patient n’est pas en état de recevoir ces informations, une personne proche doit être consultée. Tout juste dix ans après que la loi Leonetti a été votée, une réforme, la loi Claes Leonetti, a été mise en place pour pallier aux manquements du premier texte.


La décision de poursuite ou d’arrêt des soins ne peut être prise qu’en présence des proches.


Selon les articles un et deux de cette loi Claeys-Leonetti, votée en décembre 2015, « toute personne a le droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ». En France, les professionnels de santé sont donc tenus de respecter ce droit et de suivre un enseignement aux soins palliatifs afin d’être capables de le mettre en œuvre. Cette loi, en vigueur depuis février 2016, se positionne contre l’obstination thérapeutique. Plus précisément, la loi parle « d’une sédation longue et continue ». Elle soulage, donc, mais ne tue pas. Autrement dit, en pratique, rien n’a changé depuis la loi Leonetti de 2005. Chaque citoyen français garde en mémoire l’affaire Vincent Lambert, cet homme tétraplégique, maintenu en vie artificiellement depuis 2008 au Centre hospitalier de Reims. Sa volonté de mettre fin à ses jours avait été jugée conforme au droit français par le Conseil d’Etat et avalisée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui considérait que l’autorisation de la justice française de mettre fin aux soins de Mr Lambert n’emportait aucune violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La contestation judiciaire s’est terminée en décembre dernier, avec une décision de la Cour de Cassation déboutant les membres de la famille de Mr Lambert qui se battaient contre son euthanasie passive.

Au-delà de la polémique et de la bataille familiale que le cas Lambert a suscitée et suscite encore, il illustre parfaitement l’immobilisme de la loi française sur la question de la fin de vie. Dans son ouvrage À la vie à la mort, euthanasie le grand malentendu, le bien nommé Philippe Bataille, sociologue, évoque « une mascarade démocratique » et dénonce « une pratique abracadabrantesque de l’euthanasie ». Pire, selon lui, la loi de 2016 irait jusqu’à faire reculer les valeurs de la République. La Liberté d’abord, car la loi ne tient pas compte des directives anticipées des patients, l’Égalité ensuite, car si beaucoup meurent chez eux ou à l’étranger, d’autres, comme Vincent Lambert, attendent la mort des années durant dans leurs chambres d’hôpital. À ce sujet, Marie Humbert, dont le fils, Vincent Humbert, devenu tétraplégique à la suite d’un accident de la route en 2000 est décédé en 2003, exprime son amertume dans une lettre ouverte au quotidien Le Figaro : « Peut-on tolérer sans (en) avoir honte la souffrance de ceux maintenus en vie artificiellement ou dont le décès approche et qui demandent à leurs médecins de les aider à en finir ? ».


La loi de 2016 irait jusqu’à faire reculer les valeurs de la République.


Après un courrier adressé au Président de la République auquel ce dernier avait répondu par la négative, dans lequel Vincent réclamait avec force son droit à mourir, Marie Humbert avait finalement exaucé son vœu avec l’accord officieux du docteur Frédéric Chaussoy, le médecin de Vincent. Si la Cour de Boulogne sur Mer a finalement établi un non-lieu, la mère du jeune homme regrette, tout comme Anne Bert, que la France se déleste de (ce problème) sur les autres pays d’Europe. » Nos voisins européens se montrent-ils plus libéraux sur cette question ? Que disent la Convention Européenne des Droits de l’Homme [CEDH] à propos de la fin de vie ?

Quelle est la position de la France par rapport à l’Europe ?

Dans son article 2, la CEDH consacre le droit à la vie ainsi que, dans son article 3, le droit à la dignité humaine. Ces droits doivent être respectés au sein du Conseil de l’Europe, regroupant près de 40 Etats dont tous les états membres de l’Union. Il est à noter que la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne contient des dispositions similaires s’appliquant lorsque l’on se situe dans le champ du droit européen. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme, en charge des litiges ayant trait à la CEDH, a rendu une série d’arrêts en lien avec la fin de vie. Parmi eux, l’affaire Pretty, du 29 avril 2002, est éclairante sur la position du Royaume-Uni. Diane Pretty, atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique, une maladie incurable, elle réclamait l’aide de son mari pour se suicider. Or, la loi britannique l’interdit. La patiente a donc introduit une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a conclu à une non violation de l’article 2 (qui, on l’a dit, consacre le droit à la vie) et a rejeté sa demande, car ce droit à la vie n’implique pas un droit à la mort. Comme dans le cas de Vincent Lambert en France, la Cour ne s’est pas opposée à la décision nationale. Cette position de la Cour n’incite, bien entendu, pas les états à faire progresser la législation des pays qui se montrent encore frileux vis-à-vis du droit à mourir. Mais ce n’est pas le cas de tous.

Les Pays Bas et la Belgique autorisent en effet l’euthanasie depuis 2001 pour les premiers et 2002 pour la seconde. Concrètement, au Benelux, la loi fait preuve d’une souplesse étonnante quant à la question de la fin de vie, et autorise, selon des critères très précis, les citoyens à mourir dans la dignité. Cette région du monde accueille d’ailleurs de nombreux ressortissants venus des pays voisins souhaitant choisir leur mort, et dont le vœu ne peut être exaucé dans leur pays d’origine, comme le déplorait Anne Bert. Ainsi, selon paru dans le Figaro, en Belgique depuis la légalisation de l’euthanasie, les demandes ont explosées. Selon un rapport de la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, 1 807 personnes, belges et étrangères, sont décédées de cette façon en 2013. Ailleurs, des associations ne cessent de se créer pour tenter de faire triompher partout sur le vieux continent, ce droit fondamental à mourir dans la dignité.


En Belgique depuis la légalisation de l’euthanasie, les demandes ont explosées.


Si tous les citoyens ont le droit à une vie digne, ne devraient-ils pas pouvoir choisir la façon dont ils souhaitent partir ?

JLM est étudiante de Master 2 à l’ULB


Bibliographie

• Euthanasie, que dit la loi Leonetti ? http://sante.lefigaro.fr/social/sante-publique/euthanasie/que-dit-precisement-loi-leonetti
• La loi Leonetti : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000446240&dateTexte=&categorieLien=id.
• Anne Bert : http://www.lemonde.fr/sante/article/2017/10/02/l-ecrivaine-anne-bert-est-morte_5194804_1651302.html.
• Émission c à vous : https://www.youtube.com/watch?v=VHCxsukGI7w.
• Lien de son livre, Le tout dernier été : https://www.youtube.com/watch?v=VHCxsukGI7w.
• Vincent Lambert : http://www.lemonde.fr/fin-de-vie/article/2017/07/19/affaire-vincent-lambert-le-conseil-d-etat-juge-illegale-la-suspension-de-la-procedure-pouvant-mener-a-l-arret-des-soins_5162537_1655257.html
• Lettre ouverte de Marie Humbert, mère de Vincent Humbert : http://www.lefigaro.fr/debats/2006/03/20/0100520060320ARTFIG90272le_choix_de_vincent_mon_combat.php.
• Philippe Bataille : http://www.lemonde.fr/sante/article/2012/09/19/les-malades-sont-culpabilises-de-vouloir-hater-leur-propre-mort_1762221_1651302.html.
• Arrêts de la Convention européenne des droits de l’homme : https://www.echr.coe.int/Documents/FS_Euthanasia_FRA.pdf.
• Chiffres de l’euthanasie en Belgique (article du Figaro) : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/05/29/01016-20140529ARTFIG00195-belgique-le-nombre-d-euthanasies-explose.php.
• Procédure pour se faire euthanasier en Belgique : https://www.health.belgium.be/fr/sante/prenez-soin-de-vous/debut-et-fin-de-vie/euthanasie.

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