Il fait froid vivre en Europe
11 February 2022 /
Arnaud Rossell 6 min
Il fait froid vivre en Europe. Hormis les considérations climatiques, de saison, l’Union européenne (UE) traverse depuis le dernier scrutin européen une série de crises de natures variées. Entre crise eurosceptique sous couvert de revendications souverainistes avec le Brexit ; crise sanitaire d’ampleur mondiale, suivie d’une crise vaccinale, l’Europe vit une période pour le moins mouvementée. C’est donc tout l’intérêt de mettre en perspective ces différentes crises qui s’inscrivent dans le parcours historique de l’UE.
Entre crise sanitaire et gestion balbutiante
Prenons comme point de départ la crise sanitaire du COVID-19 et la gestion qui en a été faite. On s’aperçoit assez vite qu’au sein de l’Union européenne, tout ou presque s’est fait au niveau national. Alors que les États membres balbutiaient à échoir des législations visant à établir des confinements par villes, et puis nationaux ; que ces mêmes États fixaient des règles sur le port du masque, sur la pratique du sport ou sur les activités culturelles, l’Union européenne ne parvenait pas à coordonner le tout. Elle n’en avait pas les compétences. Dès lors, peut-on réellement lui reprocher quoi que ce soit si celle-ci était ni en mesure, ni dans le droit d’agir ?
D’un point de vue technique et juridique, l’UE n’est là que pour soutenir, si besoin est, l’action de ses États membres sur les questions de santé publique. Ces derniers demeurent souverains dans ce domaine. De ce fait, l’Union européenne s’est limitée à établir un plan de relance (NextGenEU) visant à aider et pallier les conséquences de la crise. Près de 725 milliards d’euros sont alors distribués aux États membres. Concrètement, ces fonds visent à soutenir les réformes et investissements que chacun des pays se doit d’envisager pour sortir de cette crise.
Le vaccin de la discorde
De manière consécutive, une mini crise liée à l’approvisionnement en vaccin a éclaté. L’Union européenne soupçonne la firme Astra Zeneca de livrer en priorité le territoire britannique, territoire qui jouit depuis peu d’un nouveau statut au sein de l’arène européenne. Ainsi, dans cette même lignée cacophonique, la répartition du vaccin s’est révélée problématique. Les gouvernements se procurent les vaccins sur la base de contrats conclus par l’administration européenne avec les firmes pharmaceutiques. Les doses sont ensuite allouées en prenant en compte les populations des Etats membres. Mécontents, certains pays, avec en tête de file l’Autriche, ont jugé que ce système ne convenait pas à la situation. Ces pays, considéraient que relativement aux différentes incidences du virus à l’échelle européenne, la distribution aurait dû se faire en considérant le nombre de cas et non au prorata de la population totale. Ainsi, pour les plus eurosceptiques, la gestion de l’approvisionnement en vaccins est une nouvelle preuve de l’inefficacité de l’appareil bruxellois.
Dès lors, la gestion de la crise sanitaire soulève une nouvelle fois des questions sur la légitimité et l’efficacité de l’Union européenne. Le débat sur ces questions structure la construction européenne depuis sa naissance. Dans la même lignée, de nouvelles tensions ont émergé dans l’arène européenne. En effet, outre la crise sanitaire et la crise vaccinale qui en découle, des conflits politiques se font sentir entre certains Etats membres et l’Union.
L’état de droit et les trublions polono-hongrois
Penchons-nous à cet égard sur la réactualisation de cette problématique plus structurelle. Ainsi, si le Brexit s’est imposé comme le paroxysme de l’humeur eurosceptique, certains États membres se positionnent de manière plus frontale par rapport à la machine européenne. La Pologne et la Hongrie se sont ainsi révélés être deux élèves plutôt turbulents au sein de la classe européenne. En effet, la Hongrie et son président détonnant, Viktor Orban, pâtissent depuis quelque temps déjà d’une réputation autoritaire dans l’Union européenne. Des doutes sur le caractère démocratique du régime hongrois ont émergé. Ces doutes se concentrent sur des thématiques telles que la liberté de la presse ou encore l’indépendance de la justice. A cet égard et en vue d’analyser la situation de manière approfondie, une commission d’enquête a été mandatée par l’Union européenne. Cette dernière ayant été elle-même motivée par un rapport du Parlement statuant d’une dégradation de l’état de droit en Hongrie.
Dans une même dynamique, la Pologne se trouve quant à elle dans une situation encore plus problématique relativement à l’Union européenne. Ainsi, depuis quelques semaines maintenant, il n’est pas rare d’entendre parler d’un cousin du Brexit, à savoir le Polexit. Celui-ci, à l’instar de ce qui se produit en Hongrie, s’articule autour de la question de l’état de droit et plus particulièrement sur la thématique de l’indépendance de la justice. La justice polonaise a en effet statué que la constitution du pays n’était pas compatible avec certains articles des traités européens. Si la Pologne avait déjà un comportement hostile face à l’Union européenne, cette déclaration ne vient qu’envenimer les choses. Cela étant dit, la position du gouvernement polonais n’est pas aussi limpide que cela. Si une partie du judiciaire nie la supériorité du droit européen sur le droit polonais, une partie de la classe politique du pays craint de devoir quitter l’UE. Et ce notamment en raison des ressources financières apportées par l’Union européenne. D’un autre côté, cette même classe politique met à mal ou du moins contrarie la politique migratoire de l’Union. La situation à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, qui se défient pour ne pas devoir accueillir des migrants, empêche l’UE d’agir et de faire usage du mécanisme de conditionnalité relatif au respect de l’état de droit.
En prenant du recul, on saisit toute la complexité des dossiers hongrois et polonais sur les questions d’état de droit. La Commission a en effet mis en place un nouveau mécanisme de conditionnalité, mécanisme qui valide ou empêche le versement des fonds européens pour un pays qui ne respecterait pas la notion d’état de droit. Or, si la Commission menace les deux pays d’exercer ce mécanisme, les deux États membres jouissent eux aussi de leviers qui pourraient contrarier et qui contrarient déjà les prises de décision au niveau européen. À cet égard, le président hongrois avait menacé la Commission européenne d’opposer son veto au nouveau budget européen, ce qu’il fit pendant un certain temps avant de le lever. Cet épisode rallongea considérablement la procédure de vote du budget européen. De surcroît, du côté polonais, la commission européenne ne peut durcir le ton relativement à la question sur l’état de droit. En effet, la situation à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie impose une détente sur le dossier de l’état de droit entre l’UE et Varsovie. Suite à cela, l’UE pourra envisager de lancer le mécanisme de conditionnalité et ainsi bloquer les fonds européens alloués à la Pologne.
Vers une nouvelle temporalité eurosceptique ?
Comme nous l’avons vu, l’Union européenne passe une nouvelle fois par des zones de turbulence. Par le passé, elle s’est toujours relevée des crises successives qu’elle a dû éprouver. Elle s’est relevée après le rejet du Traité établissant une Constitution pour l’Europe au tournant du millénaire. Elle s’est relevée après la crise économique et financière à la fin des années 2000. Elle s’est relevée après la crise migratoire qu’elle continue de subir à des échelles variables. Des solutions ont toujours émergé avec plus ou moins de succès. Et pourtant, aujourd’hui encore, de nouvelles tensions sévissent au sein de l’Union.
Ainsi, étant donné la nature des crises qui émergent et de par l’intensité de ces dernières, l’Union européenne pâtit et continuera à pâtir dans les années voire les décennies à venir, des forces et des événements qui lui sont opposés.
De ce fait, dans un monde où les forces économiques et les échelles sociétales dépassent largement celles des nations européennes singulières, l’Union européenne devra jouer son rôle jusqu’au bout. Elle devra jongler avec les compétences qui lui sont attribuées, en faisant preuve de fermeté, d’unité et de rigueur si elle veut se donner une chance de perdurer dans le temps et ainsi de perpétuer son action.
Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine