La Conférence sur l’avenir de l’Europe, l’heure du bilan
17 May 2022 /
Marie Pignot 6 min
Un an de réflexion, un an de débat, pour arriver à 49 propositions citoyennes que composent plus de 300 mesures. Le 9 mai 2021, sur une idée du président français, commençait la Conférence sur l’avenir de l’Europe (CoFoE). Le 9 mai 2022 cet exercice démocratique inédit s’est achevé avec la remise du rapport issu des débats citoyens à Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne et Emmanuel Macron, président du Conseil de l’UE.
Construire le futur de l’Union européenne
Depuis le lancement de la CoFoE, plus de 40 000 propositions ont été faites issues de consultations citoyennes. La question était simple : Quel avenir voulez-vous pour l’Union européenne ? Une question suffisamment large pour que tout le monde puisse exprimer son opinion. Ces propositions pour construire le futur de l’Union ont été classées en neuf thèmes suivant les préoccupations des citoyens européens : l’environnement, la santé, l’Europe dans le monde, l’économie et la justice sociale, les valeurs et l’état de droit, la démocratie européenne, la transformation numérique, les migrations et enfin l’éducation, la jeunesse et le sport. Elles ont ensuite été débattues lors de plusieurs assemblées plénières par 800 citoyens européens tirés au sort. Aujourd’hui, ce formidable exercice démocratique se termine avec la remise en main propre du rapport, résultat de toutes ces concertations, aux présidents des différentes institutions européennes.
Une Union européenne impactée par des crises successives
L’Union européenne ne ressort pas indemne des années de crises qu’elle a traversées ces derniers temps. Le changement climatique impacte fortement les esprits des Européens qui souhaitent que Bruxelles s’empare du sujet en orientant plus fortement les subventions vers l’agriculture biologique. Une autre mesure environnementale débattue lors des assemblées citoyennes est la réorientation de la production énergétique vers les énergies renouvelables afin de diminuer la dépendance énergétique extérieure de l’Union. Ce n’est pas un hasard si cette mesure ressort aujourd’hui, alors que la guerre en Ukraine a débuté il y a plus de deux mois maintenant. Ce conflit se déroule non seulement aux portes de l’UE, ravivant nos craintes face à Moscou, mais nous ouvre également les yeux sur notre dépendance énergétique à la Russie. En effet, le premier impact de la guerre sur le territoire européen fut la montée des prix de l’essence. Pour beaucoup d’Européens, cette montée des prix n’est pas anecdotique et sortir de cette dépendance énergétique devient donc primordial. L’Ukraine et la guerre qui sévit sur son territoire était d’ailleurs sans cesse en toile de fond lors de la présentation des conclusions devant les institutions européennes ce 9 mai. L’intégration de l’Ukraine à l’Union a été implicitement évoquée par le président français lors de son discours d’introduction, réclamant une Union plus « inclusive avec ses voisins ».
Mais la guerre en Ukraine n’a pas été la seule crise à laisser une trace dans les négociations citoyennes. La crise de la Covid-19 est également présente dans les conclusions. Nous nous souvenons des débats de tout début de pandémie sur les masques et leur distribution au sein de l’UE. Nous reprochions à l’Union européenne de ne pas s’emparer du sujet, reproche qui n’avait pas lieu d’être puisque cette dernière n’est pas compétente dans le domaine de la santé publique. Mais les Européens souhaitent aujourd’hui faire de la santé une priorité et que ce domaine rentre dans les compétences partagées entre l’UE et les États membres. Suivant les situations, l’Union européenne aurait alors certaines compétences pour agir dans la santé.
Plus de démocratie, plus d’efficacité
Face à toutes ces crises, les citoyens européens réclament aujourd’hui une Union européenne plus démocratique et efficace. Et cela passe notamment par la volonté d’accorder le droit d’initiative des lois européennes au Parlement européen, droit réservé à la Commission européenne jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’Union européenne a souvent une image très technocratique, avec ces experts de Bruxelles qui décident pour l’ensemble des Européens. Or, le Parlement européen est la seule institution européenne véritablement démocratique, avec ses représentants élus au suffrage universel. C’est l’institution qui représente le plus directement le peuple européen. Une Union plus démocratique accorderait donc plus d’importance et de pouvoir à ces élus du peuple. Afin que ces derniers soient encore plus représentatifs de la population européenne, une des volontés majeures qui est ressortie des consultations citoyennes et des débats est d’accorder le droit de vote aux élections européennes aux mineures de plus de 16 ans.
Plusieurs pays européens le font déjà, , comme l’Autriche ou Malte, pour l’ensemble des élections nationales et locales, ainsi que l’Estonie, l’Allemagne dans certaines régions, l’Ecosse et le Pays de Galle, pour les élections locales. Plusieurs candidats à la présidentielle française de 2022 avaient d’ailleurs inscrit le droit de vote à 16 ans dans leur programme, comme Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou encore Jean-Luc Mélenchon. Des études effectuées en Autriche ont aujourd’hui démontré l’impact positif de l’abaissement de l’âge légal du droit de vote. Les jeunes s’intéressent plus à la politique et sont plus engagés lors des élections. Parfois même moins abstentionnistes que les plus de 18 ans. Cela pourrait ainsi relancer l’intérêt des Européens pour l’Union européenne et la participation à l’élection de ses députés.
Enfin, pour plus d’efficacité de l’Union européenne, les Européens souhaitent mettre fin au droit de veto au sein du Conseil européen. En effet, ce droit de véto pour chaque chef de gouvernement existe depuis la création du Conseil européen, afin de favoriser le dialogue et le consensus, socle de la politique européenne. Mais ce dernier ralentit considérablement la prise de décision et entraine parfois des blocages importants. Dernier exemple en date : l’embargo sur le pétrole et le gaz russe auquel la Hongrie a mis son veto. Impossible alors pour l’Union européenne d’appliquer ces nouvelles sanctions et tenter de fragiliser un peu plus la Russie dans la guerre en Ukraine. Dès lors, pour que l’UE puisse avancer dans de telles décisions et ne soit pas bloquée systématiquement par quelques pays minoritaires, étendre le vote à la majorité qualifiée, comme cela se fait au Conseil de l’Union européenne qui réunit les ministres des États membres, est une proposition avancée.
Révision des traités européens
Plusieurs des mesures citées précédemment nécessitent une révision des traités européens. Cette révision est soutenue par les députés qui ont voté lors de leur session plénière du 2 au 5 mai 2022 une résolution allant dans ce sens. Révision également soutenue par le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre italien Mario Draghi. Pour ses partisans, modifier les traités rendra l’Union plus transparente, plus efficace en temps de crise et plus responsable devant ses citoyens. Mais depuis quelques jours, au moins 13 États membres (principalement du Nord et de l’Est de l’Union européenne) s’opposent fermement à cette mesure. Sans surprise, nous retrouvons parmi eux la Pologne et la Hongrie, qui sont coutumiers du droit de véto au Conseil européen. Mais la Suède et la Finlande par exemple ont également exprimé leur désaccord. Pour eux, l’Union fonctionne bien avec les traités actuels et il serait prématuré de vouloir les changer aujourd’hui. En effet, la révision des traités est une tâche laborieuse et très longue, qui risquerait de prendre le dessus sur de nombreux autres points soulevés lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
De plus, tenter de réviser les traités européens n’est pas sans précédent. Rappelons-nous de 2005 et le référendum sur le traité constitutionnel européen ! Les Français, ainsi que les Néerlandais, s’étaient majoritairement prononcés contre la réforme des traités, fragilisant l’Union. Pour les pays réfractaires à la modification des traités, proposer de tels changements aujourd’hui serait prendre le risque de replonger l’UE dans une crise politique.
Transformer les idées en réalités
La Conférence sur l’avenir de l’Europe est un projet ambitieux et les représentants des panels européens ayant participé à l’élaboration de ces conclusions souhaitent maintenant que les propositions faites se transforment en réalités et actions concrètes. Leurs attentes sont fortes après une année entière à se pencher sur le sujet.
Si certains peuvent avoir des doutes sur les intentions des institutions européennes quant aux résultats de cet exercice de démocratie participative jamais vu auparavant sur le territoire européen, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s’est déjà engagée à reprendre certaines mesures dans son prochain discours du l’état de l’Union. Toutes les autres institutions européennes ont également affirmé leur engagement à prendre en considération les souhaits des Européens et à agir dans leur sens. Reste à savoir quand… Nous savons que le temps de l’Union européenne est un temps long. Si certaines mesures peuvent être mises en place rapidement, cela prendra probablement des années pour d’autres.