La « finlandisation », une solution pour la crise ukrainienne ?
03 March 2022 /
Marie Pignot 5 min
Officiellement depuis le 24 février 2022, mais en réalité depuis des mois, la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine. Envahissant d’abord les régions du Donbass, elle est aux portes de la capitale, Kyiv. La guerre se rapproche de l’Union européenne et peu de solutions semblent pouvoir arrêter le Kremlin. Et pourtant, une idée un peu oubliée se rappelle maintenant à nos esprits. Surtout portée par la droite et l’extrême gauche, la « finlandisation » de l’Ukraine est présentée comme une solution.
La Finlande sous influence russe
Mais qu’est-ce que la « finlandisation » ? Remontons un peu dans le temps pour raconter rapidement l’histoire de la Finlande. De 1809 à 1917, la Finlande est sous domination russe avec un grand-duc à sa tête, qui n’est autre que l’empereur russe. Cependant, la Finlande jouit à l’époque d’une certaine autonomie, avec un gouvernement composé exclusivement de locaux. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays nordique mise sur le mauvais cheval et se rallie à l’Allemagne nazi, contre sa grande voisine la Russie. En 1945, lors de la victoire des Alliés, elle craint alors pour sa sécurité et accepte certains compromis avec le Kremlin. En effet, la Russie a déjà essayé plusieurs fois auparavant d’envahir sa voisine, dont la dernière fois en 1940. Helsinki accepte de mettre en place un « neutralisme actif » vis-à-vis de la Russie. Le pays nordique s’aligne avec la politique extérieure de la Russie tout en restant souverain de sa propre politique interne. La démocratie reste en place ainsi qu’une économie libérale. Aucun parti antisoviétique ne fait partie de la coalition gouvernementale. Enfin, aucune hostilité publique dans les médias ne se manifeste envers la Russie. La neutralité forcée de la Finlande l’empêchait donc d’adhérer à l’Union européenne et à l’OTAN. Nous étions ici face à une emprise institutionnalisée de la Russie sur la Finlande, qui permettait à cette dernière de garder son indépendance et de gagner le respect des Russes.
Cet état de fait a été remis en cause en 1991, lors de l’effondrement de l’Union soviétique
Finlandisation de l’Ukraine, une solution au conflit ?
Mettre en place une finlandisation de l’Ukraine, évoquée notamment par Emmanuel Macron et réclamée par le Kremlin, apparait alors pour certains comme une solution au conflit. Avec une neutralité contrainte, l’Ukraine s’engagerait à ne pas adhérer ni à l’OTAN ni à l’Union européenne, ce qui pourrait être de nature à calmer Vladimir Poutine. Même si une grande partie de la population ukrainienne serait favorable à ces adhésions. Pour les partisans de cette solution, il est important de ne pas s’enfermer dans une alternative « adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou la guerre », qui ne mènerait qu’à une escalade des violences.
Pour d’autres, comme Jussi Hanhimäki, professeur d’histoire et politique internationale finlandais, la finlandisation de l’Ukraine est une utopie. Le concept de finlandisation n’est applicable qu’à la Finlande dans le contexte de la Guerre froide. La situation ukrainienne aujourd’hui n’a rien à voir. Si la Finlande a fait partie de l’empire russe jusqu’en 1917, tout comme l’Ukraine jusqu’en 1991, elle a réussi à maintenir sa démocratie parce qu’elle n’était pas très importante pour la Russie en termes de politique étrangère. Ses pays voisins n’étaient pas perçus comme une menace pour l’URSS à l’époque.
En Ukraine, la situation est différente. Tout d’abord, les Ukrainiens refusent de faire partie de la sphère d’influence russe, même si certaines régions à l’Est sont pro-russes, ce qui n’a pas été le cas des Finlandais pendant la Guerre froide. De plus, l’Ukraine est déjà neutre, car n’appartenant à aucune alliance militaire ou politique. Et cela n’a pas empêché la situation de dégénérer dans le pays. Enfin, l’Ukraine est aujourd’hui au portes de l’Union européenne, avec nombre de ses pays voisins faisant partie de l’Organisation transatlantique. Si l’Ukraine adhérait à l’OTAN, les USA, grand ennemi de Moscou, seraient à la frontière russe. La Russie avait plusieurs fois fait preuve d’ingérence dans la politique finlandaise après la Seconde Guerre mondiale, mais le pays avait réussi à garder en place sa démocratie. Il semble difficile d’imaginer le même scénario pour l’Ukraine aujourd’hui.
Comme le fait remarquer Tytti Tupparainen, ministre finlandaise des affaires européennes, « évoquer le concept de finlandisation est totalement inutile » concernant l’Ukraine. Ce concept appartient au passé, à la Guerre froide. « Les choses ont beaucoup changé depuis, il ne faut pas essayer de redonner vie aux fantômes du passé ».
Chute de l’URSS et fin de la finlandisation
En 1991, avec la chute de l’URSS, la Russie perd son influence sur la Finlande qui devient de nouveau libre de choisir son destin. Le pays s’empressera d’ailleurs d’adhérer à l’Union européenne en 1995. Cependant, de par son histoire particulière et ses plus de 1300 km de frontière avec la Russie, la Finlande a décidé de garder sa neutralité historique pour ne pas froisser son voisin russe. En effet, la Russie s’oppose depuis longtemps à un quelconque élargissement de l’OTAN, surtout avec des pays frontaliers. La Finlande ne fait donc toujours pas partie de l’Organisation transatlantique, même si des discussions sont ouvertes à ce sujet.
Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie, la Finlande commence à remettre en question sa neutralité historique. Et cela s’est fortement accentué depuis quelques jours avec la guerre en Ukraine. Ce lundi 28 février 2022, la Finlande a en effet pris la décision « historique » de fournir des armes à l’Ukraine. Jusqu’à présent, la Finlande n’envoyait jamais d’armes dans les zones de conflits. Elle se contentait d’apporter un soutien humanitaire et de fournir du matériel de défense comme des gilets pare-balles. De plus, alors que l’adhésion à l’OTAN n’était pas forcément très populaire parmi la population finlandaise, le conflit ukrainien a vivement relancé le débat. Un récent sondage, commandé par la télévision publique Yle, montre qu’aujourd’hui, 53% des Finlandais sont favorable à une adhésion à l’alliance militaire. La Finlande a déjà un partenariat important avec l’Organisation transatlantique. Elle ne bénéficie cependant pas de la « clause d’assistance mutuelle en cas d’agression extérieure » présente dans l’article 5. La guerre en Ukraine peut alors changer la donne et il n’est pas exclu aujourd’hui de voir une adhésion de la Finlande à l’OTAN. Ce qui ne ferait que renforcer l’agressivité du Kremlin.
La solution « Finlandisation » n’est peut-être pas à écarter, mais son parcours semble parsemé de bien des embûches.