La montée de l’extrême droite : un danger pour la démocratie en Europe
16 June 2022 /
Elisa Gutowski 5 min
Alors que l’Europe aspirait à une paix politique durable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la résurgence de discours nationalistes fait craindre le pire à la communauté européenne. Ces dernières décennies, les partis d’extrême droite ont gagné du terrain dans les sondages et les gouvernements populistes représentent une menace pour nos démocraties. A quoi ce phénomène est-il dû ?
Un modèle à bout de souffle
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre de pays ayant accédé à un régime démocratique n’a fait que croître. Avec la chute de l’URSS dans les années 1990, nombreux étaient ceux qui pensaient que le modèle démocratique allait s’imposer au plus grand nombre d’États. Malheureusement, force est de constater que nous assistons à un recul de nos droits depuis quelques années. Que ce soit avec le Front National en France, l’AfD en Allemagne ou la Ligue en Italie menée par Matteo Salvini, les partis européens d’extrême droite n’ont jamais été autant plébiscités.
Cette dynamique présente en Europe n’est pas sans nous rappeler le fascisme de l’entre-deux-guerres. Ce dernier avait réussi à s’imposer dans la sphère politique en grande partie à cause de la crise économique mondiale de 1929. La dévalorisation de la monnaie, le chômage et l’augmentation du coût de la vie avaient été dévastateurs dans la vie de millions d’individus, lesquels s’étaient alors tournés vers des leaders populistes leur promettant une vie meilleure.
En 2008, la crise économique frappe de plein fouet le continent européen. En 10 ans, l’extrême droite a progressé dans tous les pays. Cette fois encore, des conséquences économiques sont à l’origine du regain du populisme. Mais ce n’est pas la seule raison. Aujourd’hui, la question migratoire et le rejet de l’islam jouent également un rôle crucial dans la montée de l’extrême droite.
En effet, la droite populiste s’oppose à l’ouverture des frontières, de peur de voir décliner l’identité sociale et culturelle du pays à cause de l’immigration. Les partis populistes d’extrême droite axent leurs discours sur les menaces de l’identité nationale et plaident pour un retour de valeurs telles que l’autorité au sein de nos sociétés.
Nonna Mayer, chercheuse en sciences politique et spécialiste de sociologie électorale, notait il y a quelques années que l’on assistait en France à un nouveau clivage idéologique, “opposant un universalisme humaniste, postulant l’égalité, la solidarité des êtres humains et leur dignité intrinsèque, à un anti-universalisme de repli, antieuropéen, autoritaire et xénophobe, qui est essentiellement l’apanage de l’électorat lepéniste et transcende le traditionnel clivage gauche-droite.” Les valeurs universelles, socles de nos démocraties, sont mises à mal au profit d’idées que l’on pensait disparues et rejetées pour de bon.
Les partis d’extrême droite tiennent un discours antisystème et anti-élite, qu’ils désignent comme la cause du déclin de la nation. Ces élites n’auraient pas su protéger cette dernière et la placer au cœur de leur politique nationale. Au lieu de cela, ils auraient priorisé un ordre mondialisé et européanisé. En réponse à cette priorisation, on assiste dans plusieurs pays européens à un rejet des partis dits “mainstream” du clivage droite/gauche traditionnel qui ne parviennent plus à autant mobiliser leurs électeurs. L’électorat se sentant abandonné finit par se tourner vers d’autres alternatives politiques qui semblent répondre davantage à leurs besoins et leurs préoccupations tels que le pouvoir d’achat ou l’insécurité.
Un euroscepticisme marqué
L’extrême droite se positionne également défavorablement face à l’Europe, et à l’Union Européenne de manière plus générale. Après le Brexit, plusieurs partis d’extrême droite ont appelé à des référendums au sein de leurs pays pour quitter l’UE, tels que le Rassemblement National en France qui souhaitait le Frexit. Ces projets de sortie de l’UE sont cependant moins d’actualité en ce moment. Pour les partis d’extrême droite, la construction européenne dessert les États en les privant de leur souveraineté, notamment en matière économique. Ces partis remettent en cause la libre circulation des individus au sein de l’UE, responsables selon eux d’un flux trop important d’immigrés. La monnaie commune est également vivement critiquée au profit de monnaies nationales. Dans l’ensemble, ces partis d’extrême-droite prônent donc un repli national.
Cependant, bien que critiques à leur égard, les partis d’extrême droite en Europe ont parfaitement saisi les mécanismes décisionnels et le fonctionnement des institutions européennes. De fait, des élus issus de ces partis siègent notamment au Parlement Européen et s’accordent sur les thématiques de contrôles migratoires. Mais, dès lors que les questions nationales sont abordées, l’esprit de coopération entre ces derniers et leurs intérêts communs ne priment plus. Seul l’État-nation compte alors. Loin du rapprochement des peuples que prône le projet européen commun, les partis d’extrême-droite jouent sur les distinctions entre les pays, cultures et religions des individus.
Quels risques directs pour nos démocraties ?
Les exemples les plus significatifs de l’extrême-droite au pouvoir sont ceux de Viktor Orban en Hongrie et de Andrzj Duda en Pologne. Nous assistons à une montée de l’autoritarisme dans ces pays qui se traduit par des lois toujours plus liberticides notamment à l’égard des minorités, d’un contrôle prégnant voire d’une censure des médias et de la presse. Or, sans relai informationnel indépendant, la population ne peut pas être correctement informée, penser de manière libre et prendre les décisions justes qui lui incombent. Le 3 avril dernier, Orban à la tête de la Hongrie depuis 12 ans s’est fait réélire pour un nouveau mandat, à l’ombre de la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine, jouant sur les peurs de la population hongroise, en se positionnant comme un protecteur de la Hongrie.
Les droits des femmes sont également menacés. Un projet de loi, finalement abandonné après des mois de protestation des polonaises, prévoyait de supprimer complètement le droit à l’avortement, déja soumis à de nombreuses restrictions dans ce pays, en criminalisant les femmes et médecins qui y auraient recours.
Covid 19 : créneau de l’extrême droite
Plus récemment, de nombreuses figures politiques des partis d’extrême-droite ont trouvé un créneau de contestation dans la gestion de la pandémie. Une accointance a été relevée entre les mouvements anti-vaccins et les mouvements d’extrême droite, et ce, dans toute l’Europe. La crise sanitaire et les restrictions de libertés ont servi les politiques en faveur d’un rétablissement des frontières ou encore de la fin d’une économie mondialisée.
Dans la perspective d’accroître leur popularité, des militants d’extrême-droite n’ont pas hésité à mobiliser des théories complotistes pour renforcer leurs positions. Des messages de haine à l’égard des Juifs, des Asiatiques et d’autres minorités ont été publiés par milliers sur les réseaux sociaux durant la pandémie, leur imputant la responsabilité dans la diffusion du virus. Sous couvert d’anonymat, il a été difficile pour les gouvernements de faire retirer ces messages haineux en ligne tout en garantissant une liberté d’expression.
Finalement, ces crises ont été particulièrement révélatrices du champ d’action dont dispose l’extrême droite. C’est via de tels dérives et comportements que nous saisissons l’ampleur du danger que constituent ces partis dans nos sociétés démocratiques. Si les partis de tradition démocrate devaient remporter les prochaines échéances électorales sur le territoire européen, l’enjeu pour ces derniers sera de trouver les stratégies pertinentes pour juguler l’émergence de cette sensibilité extrémiste inquiétante.
[Cet article est paru dans le numéro 36 du magazine]