La nouvelle PAC 2023-2027 : l’enjeu écologique au cœur des plans stratégiques nationaux
03 January 2022 /
Auriane Giorgalla 7 min
Mardi 23 novembre 2021 marquait un nouveau tournant pour l’agriculture en Europe avec l’adoption de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) par les eurodéputés, réunis au Parlement de Strasbourg. Considérée comme l’un des piliers de la construction européenne, la PAC est l’une des plus anciennes et des plus conséquentes politiques de l’UE. Elle fait l’objet d’un processus continu de réformes depuis les années 1980. Quarante ans après, elle se trouve toujours au centre de vifs débats au sein des arènes politiques européennes et des Etats membres. L’année 2021 marque ainsi l’adoption de cette nouvelle réforme de la PAC pour la période 2023-2027. Après trois ans et demi de débats controversés, le Parlement européen vote ce nouveau paquet législatif, qui entrera en vigueur dès janvier 2023 avec deux années de retard. Verdissement de la PAC et plus grande marge de manœuvre accordée aux Etats sont au cœur du projet. Avec une enveloppe budgétaire s’élevant à 387 milliards d’euros jusqu’en 2027, la PAC représente près d’un tiers du budget de l’UE, la France restant le premier bénéficiaire, suivie de l’Espagne.
Alors que les libéraux du groupe Renew et les conservateurs du PPE ont largement voté en sa faveur, les Verts et les socio-démocrates du groupe S&D s’y sont opposés. Pour eux, cette nouvelle PAC n’était pas assez ‘verte’ (3). Ils regrettent le manque d’ambition de la réforme en matière environnementale, pas assez en ligne avec les objectifs climatiques fixés notamment lors de l’accord de Paris.
Les éco-régimes, symbole d’une PAC qui souhaite se verdir
Pourtant, il s’agirait d’une PAC s’affirmant « plus verte ». Les aides et les paiements directs conditionnés au respect de mesures environnementales en sont l’une des illustrations mises en avant. Cela signifie qu’une partie de ces aides doit aller vers des projets écologiques, respectueux de l’environnement. Ainsi, les aides seront allouées par les Etats aux agriculteurs qui se concentrent sur des techniques agricoles en accord avec la transition écologique et le respect du bien-être animal (1). On parle donc de programmes ‘éco-régimes’. Ces aides directes ne sont pas sans importance à l’heure où elles représentent 270 milliards d’euros sur les 387 milliards du paquet. La part des paiements directs consacrés aux programmes environnementaux accordée aux agriculteurs s’élèvera à 25% par an. Autrement dit, 25% des aides directes sont réservées aux éco-régimes. Afin de permettre un temps d’adaptation, cette part s’élèvera à 20% les deux premières années. Telle semble être l’illustration d’une PAC qui souhaite se verdir. L’eurodéputé allemand Peter Jahr, rapporteur pour le volet dédié aux plans stratégiques l’affirme : « C’est une première ».
C’est aussi une PAC qui se dit « plus juste et équitable ». Soutenir l’emploi des jeunes agriculteurs, les petites exploitations et les revenus des agriculteurs est réaffirmé au cœur de cette nouvelle PAC. Finalement, la volonté de la nouvelle réforme serait d’accroître la compétitivité tout en assurant la préservation de l’environnement.
Les plans stratégiques nationaux, une innovation majeure
Mais une question suscite ici un vif intérêt : à quoi les Etats doivent-ils ce large champ des actions possibles au sein de la nouvelle PAC ? La réponse tient dans la nouveauté majeure de la réforme, propre aux plans stratégiques nationaux. En effet, si des programmes nationaux existent déjà pour des mesures appartenant au second pilier de la PAC (comme pour le Fonds européen agricole pour le développement agricole – FEADER), ce qui change avec cette nouvelle PAC est que ces plans nationaux se voient étendus au premier pilier de la PAC également. Si Bruxelles doit valider ces plans stratégiques, chaque Etat dispose du pouvoir de décider seul de la répartition des fonds sur son territoire, que ce soit dans le cadre du second pilier comme c’était déjà le cas auparavant, ou du premier pilier.
Les Etats doivent remettre leur plan à la Commission à partir du 31 décembre 2021. Cette dernière doit ensuite les examiner pour valider leur concordance avec plusieurs dimensions : protection de la biodiversité, cohérence avec les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique ou encore alignement avec la stratégie « de la ferme à la table ». Chaque pays adapte ensuite les politiques communautaires à l’échelle nationale à travers ces fameux plans stratégiques nationaux… Une mesure qui ne fait pas l’unanimité parmi les différents groupes et partis politiques (1). L’objectif initial de ces plans est le pouvoir d’adaptation aux particularités de chaque Etat en matière agricole (2). Avec le plan national, l’Etat pourrait ainsi adapter la PAC selon ses propres besoins. Cependant, tout l’enjeu réside dans le fait de ne pas tomber dans une renationalisation où chaque Etat adapterait la PAC par une formule à la carte dans son plan national stratégique. Cependant, dans la mesure où les Etats seront évalués à travers leurs résultats par la Commission, un espoir persiste quant à l’évitement de ce risque.
Tous les pays de l’UE seront donc amenés à soumettre prochainement leur plan respectif, déjà largement dessiné en ce début décembre 2021. Nous faisons le choix de mettre en perspective les plans stratégiques de quatre États que sont l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande et la France. Notons que les plans recouvrent le 1er et le 2e pilier de la PAC, ce qui ne signifie pas l’ensemble de la PAC. Le focus plus particulier sur les éco-régimes est intéressant dans la mesure où on observe des similarités et des différences entre les Etats.
France, Allemagne, Irlande, Espagne : une intégration croissante de la dimension environnementale dans les plans stratégiques
Dans le cadre du pilier 1, la France dessine trois voies d’accès pour le programme ‘éco-régime’. La première concerne la voie des pratiques agroécologiques avec un système à point où les agriculteurs doivent obtenir un score minimal pour être éligible à l’éco-régime. Plusieurs pratiques propres à cette voie permettent aux agriculteurs d’accéder aux aides : diversification des cultures, maintien des prairies non labourées permanentes ou encore un éco-régime cultures pérennes. La seconde voie est celle des certifications. Il s’agit de financer les agriculteurs qui se consacrent à des systèmes d’exploitation certifiés « Agriculture Biologique » ou « Haute Valeur Environnementale ». Enfin, tout l’objet de la dernière voie est de verser des aides financières aux agriculteurs qui consacrent des éléments bénéfiques à la biodiversité et aux paysages dans leur exploitation agricole : maintien des haies, présence de bosquets, mares, jachères ou encore présence d’arbres alignés ou isolés. La situation de l’Allemagne offre des caractéristiques similaires avec des primes accordées dans le cadre de l’éco-régime : diversification des cultures avec un minimum de 5 cultures; augmentation de l’exploitation des prairies permanentes tournée vers des pratiques écologiques, ou encore exploitation des terres arables et des prairies permanentes sans utiliser de produits chimiques de synthèse . Toutefois, l’Association des agriculteurs allemands se montrerait relativement pessimiste quant aux gains générés par les éco-régimes, qui s’avèreraient faibles pour la majorité des exploitations. Les éco-régimes du plan espagnol, eux, se concentrent, en plus d’autres dimensions, sur une différenciation des cultures annuelles et des cultures permanentes. Afin de recevoir des aides financières, les premières doivent faire l’objet d’une rotation des cultures et les secondes doivent maintenir une couverture végétale vivante ou dormante. L’Irlande, quant à elle, souhaite distribuer les éco-régimes notamment aux personnes s’investissant dans la plantation d’arbres indigènes.
Mais si les éco-régimes du pilier 1 de la PAC sont au cœur des plans stratégiques des Etats membres, le pilier 2 y occupe également une place majeure. La dynamique environnementale se voit renforcée dans plusieurs plans nationaux à travers le budget consacré au bio ou encore les mesures climatiques et agro-environnementales accrues. La France et l’Irlande font par exemple partie des Etats qui présentent une augmentation du budget des aides pour le bio. L’Agriculture Biologique continue également à être soutenue par le pilier 2 dans le plan espagnol mais on observe un soutien différent selon les régions dans cet État. Concernant les mesures écologiques, l’Irlande s’axe sur l’adaptation au changement climatique, la lutte contre la baisse de la biodiversité ou encore l’utilisation croissante des ressources naturelles. Le pays ajoute que les nouveaux programmes environnementaux dans le cadre du pilier 2 feront en partie l’objet d’un financement provenant de la taxe carbone.
Une analyse comparée des plans des quatre États, illustrant des différences de priorités
Ce panorama général mais non exhaustif concernant différents plans nationaux permet de saisir les priorités des Etats et l’intégration croissante du défi climatique dans l’ensemble des plans. Toutefois, l’Académie d’agriculture de France a su soulever des différences de priorités et de budget selon les Etats et a relevé des questionnements et conclusions propres à chaque plan. Si le plan de la France présente des nouveautés, on retrouve un certain nombre de similarités avec la précédente PAC. Ainsi, les mesures et les ambitions environnementales et socio-économiques restent à nuancer. En Allemagne, il y aurait finalement un conflit persistant entre les objectifs environnementaux fixés et l’obtention de revenus agricoles appréciables. La préoccupation de l’Irlande reste l’avenir du secteur de la vache allaitante dans la mesure où on assiste à une baisse des marges réalisées en raison d’une baisse de la consommation de viande rouge. Enfin, tout le débat en Espagne se situe sur les différences de traitement entre les régions, posant sur la table la question de l’existence ou non d’une « distorsion de concurrence ».
Il ne nous reste plus qu’à se donner rendez-vous au début de l’année 2022 pour découvrir les plans nationaux finaux. Mais le moment le plus attendu sera nécessairement l’année 2023 !