La partie immergée des accords de libre-échange en cours de négociation : l’exemple indonésien
11 November 2016 /
Le 18 juillet 2016, le Conseil a autorisé la Commission à ouvrir les négociations avec l’Indonésie afin de discuter d’un accord de libre-échange. Ce projet s’inscrit dans une volonté des institutions européennes de connecter deux marchés économiques regroupant 750 millions d’habitants malgré un environnement politique défavorable .
L’échec des négociations avec l’ASEAN comme point de départ
Aujourd’hui, l’Union Européenne négocie une quinzaine de traités concernant le libre-échange et dont le plus emblématique est le traité transatlantique avec les Etats-Unis. La Commission ainsi que le Parlement européen sont tournés vers une optique libérale et continuent à vouloir négocier des traités afin de « développer des synergies » comme l’a évoqué Cecilia Malström, commissaire européenne au commerce lors de sa rencontre avec le ministre du commerce indonésien, Tom Lembong.
Malgré l’optimisme affiché par les parties indonésienne et européenne, cet accord fait suite à l’échec des pourparlers de 2007 à 2009 avec l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est. Les disparités entre les différents membres de cette association, dont l’Indonésie est membre, a été l’une des raisons principales à cet échec (europa.eu, 2016).
Ce contexte et, préalablement, l’échec des premières négociations avec l’ASEAN n’offrent pas un environnement serein pour ouvrir les négociations euro-indonésiennes
L’Union Européenne a donc décidé de négocier pays par pays. Actuellement la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande sont en négociations alors que des pourparlers avec Singapour (2014) et le Vietnam (2015) ont été couronnés de succès et attendent leurs ratifications par les différentes instances compétentes. Chaque traité assurera « une brique » et un plancher, c-à-d un exemple, pour construire un éventuel accord bilatéral avec l’ASEAN selon, le communiqué des institutions européennes (rtbf.be, 2016).
Un scepticisme ambiant en Europe vis-à-vis des traités de libre-échange.
Le choix de la Commission de faire valider le CETA selon la procédure d’un accord mixte, et non relevant de la compétence exclusive de l’Union Européenne, illustre ce scepticisme ambiant (europaforum.lu, 2016). Le président de la Commission a d’ailleurs souligné ce fait politique lors de son allocution du 28 juin 2016. Le vote du parlement wallon à l’encontre du traité de libre-échange avec le Canada est une illustration des contestations au sein des pays membres. Il constitue la première remise en cause des traités au niveau institutionnel rappelant le manque de démocratie et de transparence dans les négociations. La société civile n’est pas en reste. Plusieurs manifestations ont eu lieu contre le CETA et le TTIP dans différentes villes européennes telle que Bruxelles en septembre 2016 (RTBF, 2016).
La mondialisation et donc ses bénéfices sont contestés en Europe. Ce contexte et, préalablement, l’échec des premières négociations avec l’ASEAN n’offrent pas un environnement serein pour ouvrir les négociations euro-indonésiennes. L’objectif visé par les deux parties d’avoir une « approche ambitieuse » risque d’être tourmentée.
Une reconquête d’influence de la part de l’UE: plus qu’une question économique
Ce projet de traité se veut « ambitieux » et instituera des facilités principalement pour le commerce et l’investissement. Ce dernier point fut ajouté en 2013. Il a vocation à réduire les droits de douanes, accroître le commerce et l’échange de services ainsi que réglementer les questions de propriété intellectuelle, les règles de compétences et le développement durable. Il s’inscrit dans la continuité des relations EU-Indonésie qui avaient été encadrées par un accord de partenariat et de coopération en 2014 (Europe.eu, 2016).
Plus largement, les relations EU-ASEAN ont étaient institutionnalisées autour de réunions. Mais leur intérêt a vite diminué. Elles jouent davantage un rôle de forum entre les deux régions qu’un réel lieu d’influences réciproques et de constructions politiques (Evi Fitriani, 2014) malgré des accords économiques précédents, comme en 1980. Cette déception peut être interprétée comme la perte d’influence de l’Europe dans la région de l’Asie du Sud-Est.
Ainsi, l’intérêt de ce contrat serait plus d’ordre politique pour l’UE : ne pas perdre une influence dans la région Sud-Asiatique à la suite de l’accord avec les Etats-Unis et la proximité de la grandissante économie chinoise
Cependant, si l’Union Européenne est le quatrième partenaire de l’Indonésie, cette dernière n’est que le trentième pour les 28 en 2015. Les exportations européennes sont principalement agricoles et donc restent limitées à un secteur. De plus, la balance commerciale entre les deux pays reste l’une des plus déficitaires de l’Union européenne (europa.eu, 2016). Or l’ouverture du marché indonésien et des investissements faciliteraient les délocalisations mais surtout une baisse des prix. La restructuration de l’économie due à un nouveau traité de libre-échange avec un pays dont le niveau de vie est bas en comparaison à l’UE accentuera cette restructuration.
Ainsi, l’intérêt de ce contrat serait plus d’ordre politique pour l’UE : ne pas perdre une influence dans la région Sud-Asiatique à la suite de l’accord avec les Etats-Unis et la proximité de la grandissante économie chinoise. Du point de vue de l’Indonésie, cet accord répondrait aux besoins du gouvernement Jokowi d’investissements. Cependant, l’environnement peu favorable en Europe pourrait être un frein à ces futures relations contractuelles malgré la volonté des acteurs politiques institutionnels.
Loïc Charpentier est étudiant en 1ère année en master en relations internationales, finalité sécurité, paix et conflit et est diplômé en master en études européennes (IEE).