La Présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne, le temps de l’action
03 March 2021 /
Arnaud De Meyer 6 min
Dans la suite du calendrier de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, la chancelière allemande Angela Merkel a passé le flambeau à la délégation portugaise en ce début d’année pour les six premiers mois de 2021. Le premier ministre portugais António Costa, dans son discours d’introduction à la présidence, annonçait le temps de l’action et de la mise en œuvre. Après de trois mois de présidence, je vous propose un retour sur les enjeux de la direction du Conseil de l’UE par la délégation portugaise ainsi que sur le contexte dans lequel elle conduit l’implémentation des outils de la relance européenne.
Le trio Allemagne-Portugal-Slovénie
Premièrement, il est important de s’intéresser à la prise de fonction portugaise dans la continuité de la présidence allemande au sein du trio Allemagne-Portugal-Slovénie. Chaque délégation a pour attribution de définir un agenda pour les six mois de présidence, agenda qui va porter à la connaissance des autres Etats membres les intentions de celle-cilors de la direction des différentes réunions avec les 27 ministres compétents en la matière (et les réunions des différentes instances préparatoires permanentes COREPER I et COREPER II).
De la même manière, les trois présidences consécutives déterminent un agenda commun de 18 mois reflétant les priorités du trio à la tête du Conseil qui met autour de la table les gouvernements des différents Etats membres, avec l’intention d’assurer une certaine continuité dans la planification et la communication. La définition d’un agenda commun prend dès lors tout son sens dans le cadre du Conseil de l’UE étant donné que le processus de décision au sein de cette institution est essentiellement modéré par des compromis et des accords réciproques ‘behind closed doors’ entre les différents Etats membres pour qui le président tournant joue un rôle de modérateur jusqu’à l’apparition d’un consensus. Dans le trio qui a démarré avec la présidence allemande en juillet 2020 et s’achève avec la slovène fin décembre 2021, le Portugal assure le deuxième volet durant le premier semestre de la même année.
Seule présidence dans le trio à ne pas devoir négocier le budget annuel européen entre les Etats membres, le Portugal prend ses fonctions dans un contexte favorable à l’implémentation des programmes de relance et en a d’ailleurs fait son cheval de bataille. A la suite de la ratification du cadre de financement pluriannuel 2021-27 (CFP 2021-27) et la signature de l’accord de retrait du Royaume-Uni sous la présidence précédente, le Portugal s’est donné pour mission de lancer le cadre européen d’investissement en Recherche et Innovation Horizon Europe et l’instrument principal de la relance économique NextGeneration EU. Dans cette optique, António Costa a affirmé le passage du leitmotiv de la présidence allemande « Tous ensemble pour relancer l’Europe » à la devise « Le temps d’agir : pour une reprise juste, verte et numérique ».
Une relance équitable pour une Europe résiliente
La feuille de route de la présidence portugaise comprend trois piliers principaux, associés à un calendrier et différentes échéances tout au long du premier semestre 2021. Comme évoqué précédemment, l’amorçage du cadre de financement pluriannuel 2021-2027 et l’application de l’instrument de relance NextGeneration EU constituent les principales priorités. Le Portugal s’engage à ratifier les plans de relance nationaux des différents Etats membres, de concert avec l’adoption de la loi sur le climat qui offre un cadre législatif à l’objectif de la neutralité carbone pour 2050 et du paquet relatif aux services numériques afin de mieux appréhender la concurrence et des critères de sécurité sur les plateformes numériques.
Le deuxième appui majeur de leur programme est, au-delà d’assurer un rôle central au progrès social dans toutes les négociations, la mise en place du ‘Pilier Européen des Droits Sociaux’, une série de 20 principes en matière de protection des citoyens et de réduction des inégalités qui nécessitent d’être transposés dans des législations nationales. Cette détermination sociale se précisera au cinquième mois de la présidence avec la tenue d’un ‘Sommet social’ à Porto le 7 Mai 2021 dans l’optique d’un allègement des mesures sanitaires liées à l’épidémie de Covid-19. Sommet qui réunira les représentants des institutions européennes, des différents Etats membres et les partenaires sociaux européens.
Enfin, la délégation portugaise s’est engagée à défendre une Europe résiliente et plus autonome, par la promotion d’un marché unique convalescent suite aux conséquences de la récente crise. Elle met également l’accent sur l’apport de la transition numérique dans l’adaptation des petites et moyennes entreprises (PMEs) aux réalités du marché intérieur européen, autant que sur la place de l’investissement dans la recherche et l’innovation.
Définir un agenda cohérent
Lorsqu’on s’intéresse au calendrier de la présidence portugaise, on saisit rapidement que l’on est juste au début de la définition et de la concrétisation des investissements déterminés par le CFP 2021-27. Là où la présidence allemande pouvait présenter la ratification du cadre de financement comme un succès, les enjeux de la présidence portugaise sont ailleurs. La présidence portugaise joue un rôle dans la continuité et la cohérence du projet européen. Son principal objectif est d’adapter les lignes directrices, négociées sous la présidence allemande à coup de compromis et de discussions bilatérales, à une réalité économique et sociale très différente d’un État à l’autre.
En d’autres mots, la présidence portugaise dépend invariablement de la ratification du CFP 2021-27 et de l’instrument de la relance NextGeneration EU. Elle peut autant surfer sur la vague du succès de l’aboutissement d’un accord entre les Etats membres (et c’est la voie qu’elle semble vouloir prendre en présentant un programme d’ambitions, tourné vers l’avenir) que perdre toute sa pertinence à partir du moment où des voix se lèvent pour critiquer le CFP 2021-27, le qualifiant d’accord a minima déconnecté des réalités économiques et sociales locales.
Un contexte national influent ?
Enfin, derrière le prestige que peut apporter la fonction de présidence du Conseil Européen au niveau national et une certaine crédibilité au gouvernement en fonction, un contexte national défavorable peut peser sur les atouts de cette fonction que sont la visibilité et la légitimité. La gestion de la crise sanitaire par le gouvernement du Président Marcelo Rebelo ou encore sa réélection le 24 Janvier 2021 à la tête du pays marquée par le résultat non-négligeable de 12% du parti d’extrême-droite Chega sont des éléments qui vont nécessairement affecter la position de la délégation à la présidence dans les négociations politiques au sein du Conseil. Il est toutefois nécessaire de relativiser l’influence du contexte national étant donné la difficulté de mesurer son importance normative ou rationnelle.
La présidence portugaise du Conseil Européen va donc essentiellement se concentrer sur le lancement des projets d’une Europe “sociale et résiliente”. Comme l’a annoncé António Costa dans son discours d’ouverture de la présidence portugaise, il est venu le temps de l’action et de la mise en œuvre. La présidence allemande était le temps des négociations et de la consultation citoyenne, la portugaise sera celle de la transparence et de l’implication citoyenne.
Pour analyser l’influence ou le succès de cette ‘présidence de l’action’ il ne faudra toutefois pas s’arrêter à la résonance dans les débats publics nationaux des différentes échéances du calendrier du premier semestre 2021, étant donné que l’agenda portugais est fortement influencé par les lignes directrices du CFP 2021-27 ratifié sous la présidence allemande. On mesurera plutôt la contribution de la délégation menée par António Costa dans la mise à l’agenda de la législation du Pilier Européen des Droits Sociaux et l’adéquation ou l’inadéquation des projets de la relance au niveau national avec les cadres européens.
Pour en savoir plus sur NextGeneration EU et les difficultés de répartition des Fonds, je vous conseille l’article de Alessandro Zappi dans le numéro 33 du magazine Eyes on Europe.
Arnaud De Meyer, MA1 Etudes Européennes