La Roumanie Magyare, un parfum hongrois aux pieds des Carpates
10 April 2020 /
Romain Biesemans 6 min
Point de tension entre Budapest et Bucarest, la question de la minorité hongroise de Roumanie ne cesse de faire débattre dans les deux capitales. Forte de ses 1,4 millions d’habitants, cette minorité vivant majoritairement dans plusieurs provinces de Transylvanie revendique depuis des années plus d’autonomie face au pouvoir central roumain. Mais qui sont ces Magyars vivant à des centaines de kilomètres de Budapest, d’où viennent-ils et quelles sont leurs revendications ? Tentative de décryptage dans cet article.
De position dominante à minorité politique
La présence hongroise dans la Transylvanie ne date pas d’hier. La région fut rattachée dès l’an 1000 à la Hongrie. Peuplée alors déjà à l’époque d’une mosaïque de peuples, la Transylvanie voit s’établir sur son territoire les Hongrois. Pendant plusieurs siècles, elle fut sous domination hongroise. Cependant, lors des invasions ottomanes dans toute l’Europe du Sud-Est au XVème et XVI siècles, la Hongrie et la Transylvanie prirent des chemins différents. En effet, alors qu’une grande partie du territoire hongrois ayant été conquis et soumis au pouvoir ottoman avec la bataille de Mohács de 1526, la région quant à elle fut épargnée. Cette isolation de la région permit à une bourgeoisie hongroise au capital économique et culturel d’émerger. Rattachée par la suite à la couronne habsbourgeoise et à l’Autriche, la Transylvanie retrouva la Hongrie dans le cadre de la création de l’Empire austro-hongrois en 1867. Cependant, l’unité de la Hongrie et de la Transylvanie cessa au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le traité de Trianon, qui disloqua l’Empire austro-hongrois, fit passer la région aux mains de la Roumanie. Passant de position dominante à minorité politique, les Hongrois de Transylvanie revendiquèrent plus d’autonomie face à Bucarest.
Après la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement lors de l’arrivée au pouvoir de Nicolae Ceausescu en 1965, de nombreuses mesures furent misent en place pour assimiler la minorité hongroise via notamment la romanisation de l’éducation en plus de la destruction de nombreux villages par le dirigeant roumain. La fermeture de plus de 70% des écoles hongroises paupérisa cette communauté. Face à cette situation, de nombreux Hongrois de Roumanie émigreront (principalement vers la Hongrie). La résultante de cette migration fut la déculturation de la minorité magyare avec la fuite de nombreux intellectuels vers l’étranger.
Une transition démocratique bénéfique
Sortie du communisme en décembre 1989 avec la chute de Ceausescu, la minorité hongroise voit sa situation s’améliorer. En effet, grâce à la démocratisation du pays, la Roumanie met en place différentes politiques pour une meilleure protection et représentation des minorités. Dans le cas de la minorité hongroise, l’introduction de la démocratie parlementaire permet l’émergence de plusieurs partis représentant les Hongrois de Roumanie dont notamment l’UDMR (Union Démocratique des Hongrois de Roumanie). Ce parti est la principale force politique des Hongrois de Roumanie et obtient un peu plus de 6% des voix à chaque élection ; il est dès lors devenu un parti politique pivot dans le paysage politique roumain. Au niveau éducationnel et culturel, les Hongrois remettent en place un réseau d’enseignement fort et de qualité avec comme finalité la reformation de leur élite et une diversification de la communauté au niveau socio-professionnel. L’adhésion roumaine à l’Union européenne en 2007 joue également un rôle important au niveau des droits et libertés liés aux Magyars en offrant notamment la liberté de circulation transfrontalière et en facilitant les échanges entre la Hongrie et la Transylvanie.
La minorité hongroise aujourd’hui et l’autonomisme sicule
Selon le dernier recensement de la population roumaine de 2011, les Hongrois de Roumanie constituent la plus grande minorité ethnique du pays avec plus d’1,2 millions d’individus (6,5% de la population totale. La communauté hongroise est principalement représentée en Transylvanie et plus particulièrement dans le Sud-Est et dans les provinces limitrophes à la Hongrie. La minorité hongroise de Roumanie bénéficie aujourd’hui de nombreux droits fondamentaux. En plus de l’enseignement et de la représentation politique cités précédemment, les Hongrois de Roumanie ont la liberté de créer des médias (journaux, télévision, radio), bénéficient d’espaces sur les chaînes publiques de télévision et de radio, et peuvent utiliser leur langue maternelle devant les tribunaux…. Cependant, de nombreuses voix s’élèvent, notamment chez les Sicules.
La communauté hongroise de Roumanie est principalement composée de Sicules (sous-groupe de la minorité hongroise) peuplant majoritairement les trois provinces du Sud-Est Transylvanien à savoir les judets de Covasna, Harghita et Mures. Depuis maintenant des années les Sicules luttent, au sein des parlements avec l’UDMR et dans la rue, pour plus de concessions de la part de Bucarest.
Le souhait d’une grande partie de la communauté sicule est la création d’un Pays Sicule qui regrouperait les 3 provinces citées précédemment et aurait une autonomie plus large qu’aujourd’hui. Selon ses soutiens, ce territoire devrait devenir une région avec un organisme de décision ayant des compétences législatives et exécutives régionales dans les domaines de l’éducation, de la culture, de l’information, de l’économie et également la mise en place de son propre appareil d’administration publique.
Un allié de taille, Viktor Orbán
Le principal soutien de l’autonomie sicule ne se trouve ni à Satu Mare ou Targu Mures mais bien au bord du Danube. Une belle illustration du lien fort entre Budapest et les Sicules est visible sur le parlement de Budapest où le drapeau sicule domine la place Kossuth Lajos aux côtés de celui de la Hongrie. Cette relation est ardemment soutenue par le Premier Ministre hongrois Viktor Orbán.
Multipliant les apparitions dans les villes de Transylvanie et en naturalisant plus d’un million de Hongrois de la diaspora (dont une majorité de Hongrois de Roumanie), ce dernier a fait de la question sicule et hongroise de Roumanie le cœur de sa stratégie nationaliste pour favoriser ces Hongrois d’au-delà les frontières. Que cela soit dans le cadre de ses relations avec Bucarest ou au sein de l’hémicycle européen, le leader du Fidesz tente le tout pour le tout afin de soutenir la protection de cette communauté magyare quitte à se mettre en porte à faux avec le pouvoir roumain.
Quel avenir pour le Pays Sicule et les Hongrois de Roumanie ?
Cent ans après le traité de Trianon, la nostalgie de la Grande Hongrie et de l’appartenance des Magyars de Transylvanie à cet espace est toujours d’actualité. Cependant, il est difficile d’envisager au-delà des ambitions autonomistes une scission ou même une indépendance. En effet, au-delà des compétences culturelles et administratives que réclament les autonomistes sicules et l’UDMR, imaginer un État dans l’État est peu concevable aujourd’hui. De plus, comme l’illustre la célébration à Bucarest du centenaire de l’Union d’Alba Iulia qui avait marqué la réunification du vieux royaume de Roumanie avec la Transylvanie sur les ruines de l’Empire austro-hongrois, la Roumanie est déterminée à maintenir sa souveraineté sur ses territoires outre-Carpates.
Romain Biesemans, co-président de Eyes on Europe, étudie en première année de master en sciences politiques à l’ULB.