Le « Mini Schengen des Balkans », une région plus prospère demain ?
06 December 2019 /
Romain Biesemans 6 min
Le 9 novembre dernier, plusieurs pays des « Balkans occidentaux » se sont rencontrés à Ohrid dans le cadre de la création d’un espace de libre échange. Quelques semaines après le blocage du lancement des pourparlers pour une adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord à l’Union Européenne, ces deux derniers en plus de la Serbie ont marqué leur volonté de concrétiser cet accord de libre-échange. Sommes-nous en train d’assister à un tournant dans la région ?
Ohrid ; son monastère, son lac et ses rives entourées de somptueuses montagnes. Lieu tant stratégique qu’à l’énorme poids historique. Stratégique, cette petite ville à l’Ouest de la Macédoine du Nord fait face au voisin albanais et se trouve à une dizaine de kilomètres du Kosovo. Historique car c’est dans cette dernière qu’ont été signés les accords d’Ohrid le 13 août 2001 entre la minorité albanaise et l’ancienne République de Macédoine pour une meilleure représentation des Albanais au sein de la société macédonienne.
18 ans plus tard, sous un ciel automnal n’enlevant rien à la splendeur du lac, se sont rencontrés dans le cadre d’un nouvel accord de libre-échange nommé à la hâte le « mini Schengen des Balkans » plusieurs acteurs de la région. Parmi ceux- ci, les Premiers ministres albanais et nord macédonien, Edi Rama et Zoran Zaev, le président serbe Aleksandar Vučić, le président du Conseil des ministres bosnien Denis Zvizdić et la ministre de l’Économie monténégrine, Dragica Sekulić. La rencontre d’Ohrid est la résultante de la rencontre du président serbe et du premier ministre nord macédonien le 11 octobre dernier à Novi Sad (Serbie). Ce pas en avant vers un accord de libre-échange a dès lors été soutenu par la Macédoine du Nord, l’Albanie et la Serbie.
A quoi ressemblerait ce « Mini Schengen des Balkans » ?
Les différentes propositions qui découlent de cette rencontre à Ohrid concernent la liberté de circulation des biens, des personnes, des services ainsi que des capitaux.
Plusieurs avantages sont mis en avant pour défendre ce projet. Le président serbe a notamment avancé le chiffre de 220 millions d’économies par la création d’un marché commun permettant une simplification des échanges sans tarifs douaniers et avec une diminution des frais administratifs.
Au niveau de la circulation des personnes, chaque ressortissant des pays partenaires de l’accord pourra voyager librement au sein de la zone à l’aide d’une simple carte d’identité. D’autres avantages sont également avancés comme une meilleure coordination contre le crime organisé, l’échange d’étudiants et de main d’œuvres qualifiées ou encore une simplification des documents liés au transport de biens. D’un point de vue général, cette zone de libre échange serait, selon ses défenseurs, une aubaine pour le développement des pays des Balkans occidentaux.
Qui est concerné par ce projet ?
Malgré sa dénomination et son objectif de regrouper au sein d’une zone de libre échange tous les pays des Balkans occidentaux, il est important de revenir sur quelques éléments. Pour rappel, lorsque l’on parle des Balkans occidentaux, il s’agit des pays qui découlent de l’ex- Yougoslavie (en plus de l’Albanie). Cependant, la Slovénie fait déjà partie de l’espace Schengen et la Croatie se rapproche de plus en plus d’une adhésion à ce grand espace européen sans contrôle douanier. Les acteurs étant donc potentiellement visés par ce projet sont : la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, l’Albanie et le Kosovo. Cependant, tous ne sont pas du même avis sur la question.
Inconcevable de rejoindre cet espace de libre échange pour Pristina
Certaines réticences se sont fait ressentir par plusieurs acteurs avec pour commencer le Kosovo. Non représenté à Ohrid le 9 novembre dernier et malgré les appels du pied du premier ministre albanais Edi Rama, Pristina ne compte pas prendre part à ce projet. Les arguments avancés sont divers comme illustrés par le président Hashim Thaçi. Tout d’abord, le Kosovo n’est toujours pas reconnu comme un Etat indépendant par la Serbie et par la Bosnie-Herzégovine ; il est inconcevable pour lui que le Kosovo fasse partie d’un espace où les États ne sont pas égaux. Ensuite, le Kosovo doit selon lui privilégier l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne et ne pas remplacer ces objectifs par un projet de libre échange de ce type.
Enfin, un dernier argument avancé par l’ancien premier ministre kosovar Isa Mustafa est que ce projet sera plus bénéfique pour certains : “Such projects seem attractive at first glance, but in essence lead to a new Yugoslavia, with Albania, without Croatia and without Slovenia… Serbia and some other countries in the region are the ones who benefit from agreements like that of the Mini-Schengen”. Face à cette critique de créer une « nouvelle Yougoslavie », la réponse du président serbe ne s’est pas fait attendre. Ce dernier explique sa volonté d’améliorer la vie des citoyens dans la région.
Du coté de Podgorica et de Sarajevo, on botte en touche
Malgré sa participation à cette rencontre, la ministre de l’économie du Monténégro Dragica Sekulić ne fera pas participer son pays à cette zone de libre-échange : ”I understand the initiators. These are the countries that, because of the various trade barriers they have placed on each other, may need a new initiative to promise again that they will do what we have long done.”. Cette déclaration fait référence au CEFTA, accord garantissant la libre circulation des personnes et des biens dans les pays d’Europe du Sud-Est dont le Monténégro fait partie. La Bosnie-Herzégovine est également méfiante et n’ose pas encore se prononcer si oui ou non elle rejoindra ce « mini Schengen » des Balkans. Cependant, Mirko Šarović, ministre du commerce extérieur voit d’un bon œil ce projet et pense qu’il aura une influence positive pour l’économie de la région.
La suite du processus
Pour résumer, cette seconde rencontre autour de la question du « mini Schengen » des Balkans aura permis d’avancer sur de nombreuses propositions et a confirmé la volonté de la Macédoine du Nord, de l’Albanie et de la Serbie de mettre tout en œuvre pour mener à bien ce projet. Cette zone de libre échange serait d’application selon le président serbe pour 2021. La prochaine réunion sur le sujet aura lieu le 21 décembre à Durrës, ville côtière albanaise. Lors de cette prochaine réunion, le focus sera mis sur la concrétisation des différentes propositions mises sur la table à Ohrid, en plus d’autres, dont notamment la simplification de la mobilité dans « l’espace mini Schengen » pour les étrangers.
De nombreuses questions restent donc sans réponses pour le moment. Le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine rejoindront-ils l’initiative ? Qu’en est-il du Kosovo ? A quoi ressemblera cet espace de libre échange ? Est-ce que cette initiative pèsera dans la balance quant à une future adhésion de ces pays à l’Union européenne ? La région des Balkans occidentaux, plus prospère demain ?
Romain Biesemans, co-président de Eyes on Europe, est étudiant en première année de master en sciences politiques à l’ULB.