La transparence au sein de la Commission européenne : fiction ou réalité ?
14 December 2016 /
La Commission européenne s’est retrouvée au cœur de plusieurs scandales qui ont fait les choux gras de la presse européenne mais aussi internationale. Certains commissaires entretenaient des liens trop ambigus avec certains lobbys et leur intégrité a été remise en cause. La Commission a réagi et de nouvelles mesures ont été prises pour limiter et contrôler ces relations. Mais plusieurs questions restent encore en suspens et l’opinion publique reste mitigée quant à l’éthique de certains commissaires.
La transparence, un concept-clé pour la Commission européenne ?
Il est impératif que les décisionnaires de l’Union soient au-dessus de tout soupçon et surtout lorsqu’on en vient au processus décisionnel européen même. Les commissaires jourent en effet un rôle très important au sein de ce dernier, il prennant des décisions qui peuvent influencer la vie de chaque citoyen européen, directement, par le biais de décision vis-à-vis des entreprises en marière de concurrence, ou indirectement en exerçant son pouvoir de proposition auprès du législateur européen.
La transparence, c’est-à-dire le fait de ne rien laisser secret et de ne pas passer certains éléments sous silence, est devenu le fer de lance de la Commission européenne. En effet, depuis plusieurs années, la Commission se bat pour la garder intacte, si ce n’est, tente de l’améliorer. Il est très important que les commissaires respectent une certaine distance éthique dans leurs relations avec les lobbys. Ceux-ci peuvent être de plusieurs types mais nous nous intéresserons dans cet article plus particulièrement aux entreprises privées. Les commissaires sont amenés, d’une manière quotidienne, à rencontrer des représentants de ces entreprises. Des liens se créent et certaines affinités se développent. Ce ne serait pas problématique dans un cadre moins formel mais dans le cadre de décisions politiques, cela peut causer énormément de troubles et diminuer l’authenticité du travail des commissaires, notamment lorsque des soupçons d’incitation économique dans la prise de décisions ce font sentir. Ces intérêts personnels peuvent ainsi se retrouver en première ligne lorsqu’il s’agit d’envisager l’avenir des citoyens européens. Cela est bien évidemment inadmissible et ne peut être toléré par une institution telle que la Commission. C’est pour cela que des mesures ont été prises, elles seront évoquées plus tard dans cet article. Mais penchons-nous à présent sur les lobbys et leurs relations complexes avec la Commission.
Les lobbys : bienveillants ou hostiles ?
« Un lobby est un groupe de pression. Il s’agit d‘une organisation regroupant des intérêts communs à des institutions ou entreprises. Un lobby défend ses valeurs et intérêts auprès des décideurs politiques » (définition L’internaute). Les lobbys peuvent être de plusieurs types comme les groupes de pression religieux ou encore les ONG.
D’après un article du journal Le Soir ( V. Lhuillier , Le Soir, 2016) , le nombre de lobbys à Bruxelles serait de plus de 20 000. Ces groupes se veulent pacifiques, leurs moyens de pression démocratiques et éthiques. Néanmoins, force est de constater que cette soi-disant étique n’a pas empéché les nombreux scandales qui ont éclaté ces dernières années. Les affaires Kroes ou Barroso ont défrayé la chronique et entaché la politique de transparence de la Commission européenne. Les relations entre ces commissaires et des entreprises privées soulevaient ainsi la question du conflit d’intérêts. En effet, comment être certain que le commissaire n’agissait pas dans l’intérêt de l’entreprise avec laquelle il était en contact ? Et comment s’assurer que cette même entreprise ne tenterait pas de l’influencer ? Autant de questions qui restent sans réponses.
Les affaires Kroes et Barroso
L’affaire Barroso a fait la une des tabloïds européens et internationaux durant le mois de juillet 2016. Le public apprenait alors que l’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait été engagé par la banque américaine Goldman Sachs. Les réactions ne se sont pas faites attendre et nombre de citoyens en colère se sont plaints du nouveau poste de l’ancien président. Des lettres ont même été envoyées à l’actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker. La raison ? Le manque d’éthique flagrant de cette démarche. José Manuel Barroso a effectué ce qu’appelle le chercheur Hemane Slimane « un pantouflage ». Il entend par là le fait qu’un agent de la Commission européenne parte travailler, à la suite de son mandat, dans le secteur privé. Certes, monsieur Barroso a rejoint la banque Goldman Sachs après que ses fonctions au niveau européen ont pris fin mais les conflits d’intérêt restent néanmoins flagrants. Le public peut ainsi se demandee s’il ne va pas fournir des informations confidentielles pour l’UE à la banque américaine, par exemple. D’autres se posent également la question de savoir si l’entreprise privée ne pourrait pas influencer l’ancien président qui est sans doute encore en contact avec énormément de personnes issues de la Commission.
Dans le même registre, l’ancienne commissaire Neelie Kroes aurait également dirigé une société offshore aux Bahamas de 2000 à 2009 tout en étant commissaire à Bruxelles à partir de 2004. Ce scandale suivant de près celui de l’ancien président Barroso vient encore ternir l’image de la Commission européenne en la matière. Selon l’article du journal Le Monde «les anciens commissaires sont notamment liés par des obligations de discrétion et d’intégrité et soumis à des règles strictes de transparence» (A. Alemanno, Le Monde, 2016). Il est clair que Neelie Kroes n’a pas respecté ces règles en matière de transparence et visant à éviter les conflits d’intérêts et qu’elle a sciemment enfreint le règlement qui lui était imposé. Au delà de l’étendue desdites règles se pose donc la question du contrôle quant à leur application.
Après de tels scandales, il est normal de se demander ce que met en place la Commission pour enrayer ces phénomènes, que ce soit le pantouflage de ses agents, leurs activités secrètes ou encore leurs relations ambigües avec les lobbys présents à Bruxelles.
Des mesures ambitieuses…
Pour contrer ce problème récurrent de transparence, la Commission a pourtant déjà mis en place nombre de mesures. La plus ambitieuse et celle qui semble la plus efficace est le référencement obligatoire dans un registre de tous les lobbys privés actifs auprès de la Commission (Site de la Commission). Même si cela est une bonne idée à la base et permet de répertorier les entreprises privées qui se considèrent comme des groupes de pression, cette mesure est difficile à mettre en pratique. En effet, toutes les entreprises considérées comme tels ne s’y déclarent pas forcément. De plus, tous les pays européens ne forcent pas les lobbys à s’inscrire dans ce registre.
Une autre mesure prise par la Commission est la règle des 18 mois. Ainsi, un ancien commissaire doit attendre 18 mois à la fin de son mandat avant de partir travailler dans le secteur privé. Cela permet de l’éloigner des sujets traités par la Commission et donc de réduire les conflits d’intérêts une fois qu’il intégrera une entreprise privée. Actuellement, faisant suite à l’affaire Barroso, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, souhaite étendre cette mesure à 2 ans pour les ex-commissaires et à 3 ans pour un ancien président (Sud Ouest, 2015). Là encore l’idée semble bonne et efficace mais quelque peu utopique. Il est extrêmement compliqué de vérifier si les commissaires attendent bien 18 mois pour entrer en contact avec le secteur privé et il est impossible d’être certain de quelles relations ils entretiennent avec ces entreprises.
Les mesures ayant d’ores et déjà été adoptées par la Commission européenne ont obtenu des résultats décevants comme le démontrent les affaires Barroso et Kroes et bien d’autres encore. Néanmoins, ces mesures n’ont peut-être pas étaient veines et certains chiffres appuient même une amélioration de la transparence…
Un léger progrès… Mais insuffisant?
Comme évoqué précédemment, certains chiffres offrent un aspect plus positif à la situation de la transparence au sein de la Commission européenne. En 2010, 6 anciens commissaires sur 13 se sont dirigés vers le privé à la fin de leurs mandats contre 9 sur 26 en 2014. Un léger progrès qu’il faut souligner.
Cependant ces progrès sont loin d’être suffisants. Au vu des faits et des analyses qui en découlent, plusieurs soucis au niveau de la transparence de la Commission européenne ont pu ainsi être mis en évidence. Tout d’abord, le manque d’éthique des commissaires. Les affaires Barroso et Kroes ne sont que la partie visible de l’iceberg. D’autres cas sont sans doute passés sous silence. Mais si nous nous en tenons aux faits, il est indéniable que le constat est inquiétant : plusieurs commissaires ne respectent pas les règles qui leur sont imposées. Cela créé un manque de confiance chez les politiciens mais également chez les citoyens européens. Comment conserver une transparence exemplaire si ses gardiens ne respectent pas l’éthique professionnelle ?
Ensuite, les nombreux lobbys présents à Bruxelles faussent cette transparence tant recherchée. 20.000 lobbys existent actuellement dans la capitale européenne et ils agissent en fonction de leurs intérêts propres. Ce n’est pas illégal, certes, mais leurs limites ne sont pas assez clairement définies. Nombre de commissaires peuvent être influencés chaque jour et agir ensuite dans l’intérêt d’un quelconque groupe privé plutôt que dans celui des citoyens européens. Cela est bien évidemment inadmissible. Le souci est que malgré les mesures prises, il est impossible de vérifier constamment ces relations qui existent entre les commissaires et ces fameuses entreprises privées et de traquer leurs moindres faits et gestes . Cela serait une atteinte à la vie personnelle des commissaires et cela serait bien évidemment illégal.
Ces problèmes ne vont pas disparaître de sitôt et la Commission européenne devra constamment se battre pour imposer la transparence au sein de l’institution. La bataille pour imposer cette transparence est bel et bien engagée depuis des années au sein de la Commission européenne et elle n’est pas prête d’être remportée.
Déborah Miller est étudiante à l’IEE