L’Europe à la conquête de l’eldorado militaire indonésien ?

20 December 2016 /

L’Union Européenne s’intéresse de plus en plus aux politiques de défense en Europe. Des projets comme une armée européenne ou un budget défense commun reviennent régulièrement sur la table. En attendant des résultats dans ces possibles réformes les complexes militaro-industriels se tournent vers la vente d’armes à l’étranger. Et, ces derniers temps, l’Indonésie semble être un nouvel eldorado pour ces derniers. La nouvelle doctrine de Joko Widodo, dit Jokowi, président indonésien élu en 2014, tend à favoriser les investissements dans les trois armées indonésiennes (navale, aérienne, terrestre). Quelle est la situation actuelle ? Quelles sont les raisons de cette demande ? Quelles sont les perspectives réelles pour les industriels européens ? Nous avons tenté de trouver des réponses auprès de Bruno Hellendorff, chercheur spécialiste des questions de paix et sécurité en Asie du Sud-Est au GRIP. Compte rendu de notre entretien.

Une série de trois articles sur le sujet a été écrite. Ce premier article dresse un état des lieux de la situation actuelle: l’environnement indonésien et la place toute relative des européens sur le marché de l’armement dans cet état.

DES BESOINS INDONÉSIENS « CONSIDÉRABLES »

Selon les mots de B.  Hellendorff, les besoins de l’Indonésie dans le domaine de la défense sont « considérables » et « multiples ». Ils sont pas limités à l’achat d’équipements, mais, de manière plus générale, concernent également des réformes institutionnelles ainsi que le respect du « welfare » des populations.

Jokowi a porté la réforme de l’armée  comme une des priorités de son mandat. En particulier, il tient à renforcer l’économie maritime de l’Indonésie au travers de la doctrine : poros maritim dunia (ndlr. axe maritime global). Cependant, il est difficile de chiffrer les besoins de l’armée de l’archipel. Le crash d’un Hercules C-130 de l’armée indonésienne sur la ville de Medan en 2015 illustre cependant bien la vétusté des équipements et, par là même, l’immensité des besoins à couvrir (le monde, 2015).  «  Le constat est qu’effectivement une énorme partie de leurs équipements dans les trois services sont obsolètes et ont été mals entretenus »  confirme B. Hellendorff. L’Indonésie s’est d’ailleurs fixé des objectifs au travers d’un plan – Minimum Essential Forces – afin de moderniser les armées navale, aérienne et de terre.

L’Indonésie fait néanmoins également face à un besoin de réformes institutionnelles. B. Hellendorff l’évoque : « il y a un besoin criant de modernisation […] au niveau de la paie des soldats, au niveau du welfare, de la couverture sociale… ». Dans un premier temps il convient de clarifier la répartition des rôles entre les trois armées et, découlant de cela, la répartition des responsabilités  et  instaurer une réelle coopération entre les différentes armées mais aussi avec le ministère de la défense. En dehors du fonctionnement des armées, l’organisation militaire de l’Indonésie doit également tendre à plus de transparence: transparence vis-à-vis de ses liens avec les activités civiles et économiques et transparence vis-à-vis des moyens mis à sa disposition. Il est effectivement de tradition en Indonésie que les fonctions politiques et militaire soient imbriquées et ce depuis les premiers empires de l’archipel (Romain, Rickefs ?)

Il y a un besoin criant de modernisation des forces au niveau de l’équipement, au niveau de la paie des soldats, au niveau du welfare, de la couverture sociale…

Enfin, il existe un besoin de « welfare ». « Le welfare, c’est surtout la capacité de l’Etat et de ses émanations, qu’il s’agisse du ministère de la défense, des forces armées elles-mêmes (TNI), d’assurer à chacun des soldats un salaire correct, décent qui arrive en temps et en heure, mais aussi la possibilité pour eux d’allier vie professionnelle et vie de famille… » (B. Hellendorff). Or cette question est liée au budget dévolu à l’armée et donc à la performance de l’économie nationale.  Malgré les réformes macroéconomiques de Jokowi, l’économie indonésienne demeure sous-performante. Elle impacte donc le budget de l’Etat indonésien en matière militaire brisant ainsi l’élan d’investissements indonésien et l’eldorado pour les investisseurs européens du domaine militaire. En 2016, malgré une augmentation budgétaire voulue par le Parlement indonésien, l’exécutif a dû demander à l’armée de restreindre ses financements en cette fin d’année pour contribuer au comblement du déficit budgétaire.

UNE DIVERSIFIT MAIS ENCORE BIEN PEU NOMBREUX

Malgré le renouveau de la question d’une défense communautaire au sein de l’Union Européenne (armée, budget commun, investissement commun…), les institutions demeurent peu impliquées. L’Union a simplement établi  huit critères communs afin d’établir des positions étatiques parallèles  sur les autorisations de vente d’arme. Cependant l’interprétation de ces derniers reste à la discrétion des Etats Membres et donc il existe toujours 28 positions divergentes.  La vente de chars Léopard II par l’Allemagne à l’Indonésie à la suite d’un refus néerlandais illustre parfaitement cette diversité de positions européennes (B. Hellendorff).

Mosquée de Jakarta © Pixabay
Mosquée de Jakarta © Pixabay

Par là même, on arrive donc à une diversité de positionnement entre les différentes entreprises européennes, selon leur “nationalité”. Ainsi par exemple Thalès, Airbus sont très bien positionnés sur le marché indonésien tout comme Damen avec la vente de frégates ou encore Nexter qui a vendu une trentaine de canons CESAR (B. Hellendorff & UsineNouvelle, 2013). En dehors de ces entreprises principalement néerlandaises et françaises, il existe certains acteurs publics: rappelons ainsi le choix allemand de vendre des chars Léopard II à l’Indonésie.

Cependant les Européens doivent faire face à deux limites. La première est la concurrence rude des entreprises chinoises, américaines et russes. La Russie a pu remporter le marché des  avions  de chasse. L’Europe est connue pour produire des biens de bonne qualité mais dont la compétitivité-prix est plus relative. De plus, le fait que l’Indonésie, comme tout pays émergent, demande à ce que les achats s’accompagnent de « partenariats locaux » afin de « dynamiser la base industrielle et technologique de la défense » peut susciter des réticences de la part des investisseurs à l’égard de ces marchés (B. Hellendorff).

Aujourd’hui s’il y a une volonté indonésienne d’investir dans son armée, la réalité budgétaire et économique de l’Indonésie ne lui permet pas de se moderniser aussi rapidement que voulu. Différents obstacles restent toujours présents en particulier en matière d’investissement.  De plus, les acteurs européens du marché de l’armement demeurent diverses et peu présents sur le marché malgré une volonté affichée d’y gagner des parts de marché. Mais quelles sont les motivations de l’Indonésie aujourd’hui pour justifier un tel investissement ? C’est une question à laquelle nous tenteront de répondre dans un article prochain.

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