Relocalisation extérieure des réfugiés: aubaine ou désastre pour l'UE ?

01 February 2017 /

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Alors que l’UE souhaite parvenir à réaliser 160 000 relocalisations en deux ans, elle n’est parvenue à « relocaliser » temporairement que 9700 réfugiés, majoritairement en provenance d’Italie et de Grèce. Par conséquent, l’UE est à la recherche d’autres moyens afin de réguler la crise migratoire et d’assurer sa sécurité, notamment via des accords avec des États tiers. Cela n’est pas sans conséquences sur ces derniers ainsi que sur les conditions de vie des migrants.

© amykins (pixabay)
© amykins (pixabay)

La «tolérance ne peut se faire au détriment de notre sécurité. […] Nous devons savoir qui franchit nos frontières.[…] Nous défendrons aussi nos frontières par un contrôle strict de tous ceux qui les franchiront.» Tels sont les mots qu’utilise Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2016. En effet, suite à la crise Syrienne et la vague de réfugiés ayant atteint l’Europe, l’UE a dû prendre un certain nombre de mesures et a notamment décidé de revoir son système d’asile et d’immigration afin de mettre l’accent sur sa sécurité. L’agenda européen sur les migrations de l’UE de 2015 se fonde ainsi sur quatre piliers : réduire les incitations à l’immigration irrégulière, sauver des vies tout en assurant la sécurité des frontières extérieures, adopter une politique d’asile commune, et parvenir à une nouvelle politique en ce qui concerne les migrations légales. Si l’ambition est grande, les moyens sont relativement faibles et les États membres, notamment le groupe de Višegrad, peu enthousiastes ; l’UE boxerait-elle au dessus de sa catégorie? Les résultats s’en ressentent.

Alors que l’UE souhaite parvenir à réaliser 160 000 relocalisations en deux ans, elle n’est parvenue à « relocaliser » temporairement que 9700 réfugiés, majoritairement en provenance d’Italie et de Grèce. Par conséquent, l’UE est à la recherche d’autres moyens afin de réguler la crise migratoire et d’assurer sa sécurité, notamment via des accords avec des États tiers. Cela n’est pas sans conséquences sur ces derniers ainsi que sur les conditions de vie des migrants.

Accord UE-Turquie: une aubaine pour l’UE et la Turquie, une malédiction pour les réfugiés ?

Le premier accord de relocalisation passé par l’UE avec un État tiers, et sans doute le plus médiatisé, n’est autre que celui décidé avec la Turquie le 18 mars 2016. Par cet accord,  la Turquie accepte de reprendre des Syriens arrivés en Grèce de manière irrégulière. En retour, l’UE accepte de recevoir pour chaque réfugié relocalisé en Turquie, un Syrien qui était en Turquie dans un camp avec une procédure d’asile en cours. Ce principe s’applique depuis le 4 avril 2016. Ainsi, lorsque des migrants entrent dans l’UE de manière irrégulière, ils sont refusés. La priorité est donnée aux migrants légaux.

Mais quels bénéfices pour la Turquie ? Si cela permet à l’UE une meilleure sécurisation de ses frontières et une meilleure maîtrise de la crise des réfugiés, la Turquie y voit avant tout un avantage financier. Elle obtient trois milliards d’euros de soutien aux camps de réfugiés et trois milliards de plus en 2018 si le premier montant ne s’avèrent pas suffisant afin d’avoir des infrastructures adéquates. En outre, la Turquie a lié cet accord à une accélération de la libre circulation de ses citoyens dans l’UE et à l’abolition des formalités de voyage entre l’UE et la Turquie. Néanmoins, 75 conditions doivent être satisfaites par cette dernière afin que les visas soient supprimés. Bien que la Turquie ait fait des efforts pour remplir ces conditions, elle n’a, jusqu’ici, pas atteint le niveau requis par l’UE. Par exemple, elle n’a toujours pas révisé sa législation antiterroriste, trop floue aux yeux de l’UE. En effet, celle-ci peut être instrumentalisée à l’encontre de l’opposition politique. Ainsi, alors qu’en octobre 2015, l’UE était censée abolir les visas pour les Turcs, force est de constater que cela n’a pas été mis en œuvre. Si l’accord pourrait alors être remis en question, cela demeure néanmoins peu probable car cela nuirait aux deux protagonistes: tant bien à L’UE, qui devrait de nouveau faire face au flux de réfugiés illégaux, qu’à la Turquie, qui n’obtiendrait pas les trois milliards d’euros supplémentaires.

Si l’UE veut continuer à externaliser la relocalisation des migrants et la lutte contre l’immigration irrégulière, elle va devoir payer le prix fort.

Si l’accord semble remplir, au moins partiellement, sa fonction: il a découragé nombre de réfugiés syriens d’entrer en Europe de façon irrégulière, cela n’est pas sans faille. Ainsi, la pression migratoire semble s’être déplacée, au sein de l’UE, de la Grèce vers l’Italie et Malte. De même,  d’après un communiqué de presse de la Commission européenne du 15 juin 2016, «les progrès sont trop lents ». En effet, entre le 4 avril et le 15 juin 2016 seulement « 511 Syriens ont été réinstallés dans l’UE depuis la Turquie.» De plus, les hotspots, qui avaient pour objectif initial d’identifier et d’enregistrer les migrants, se focalisent à présent sur le retour des migrants dans leurs pays d’origine ou sur leur transfert vers un État tiers. Un rapport du Conseil de l’Europe a également souligné le fait que la Turquie n’est pas signataire de la Convention sur les réfugiés (Convention de Genève), ce qui peut se révéler problématique. En effet, la majorité des demandeurs d’asile ne sont que ‘tolérés’ en Turquie. Les droits et la protection accordés par la Convention de Genève ne s’appliquent pas dans le pays. L’accord UE-Turquie est, ainsi, avant tout une décision politique et non une décision à visées altruistes quelconques.

Accords dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage : vers un déclin de l’Europe ?

Pour lutter contre l’immigration, l’UE a passé des accords de réadmission dans le cadre du Partenariat Oriental et de sa politique de voisinage. Ainsi, quand des migrants irréguliers arrivent en Europe, ils peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine ou les pays de transit avec lesquels l’Europe a un accord. L’UE met donc l’accent sur sa sécurité avant tout et utilise son voisinage comme un rempart face à ‘l’invasion’. Or,  pour faire accepter à son voisinage ces accords de réadmission, l’UE doit leur offrir garanties et bénéfices d’autant plus importants. Elle doit les convaincre que leurs intérêts seront pris en considération. Une question se pose alors: du fait d’une contrainte budgétaire croissante, l’UE a-t-elle encore les moyens d’assurer la coopération des pays tiers ? En d’autres termes, parviendra-t-elle à les convaincre de poursuivre la mise en œuvre de ces accords ? La problématique du déclin de l’influence européenne est posée. Si l’UE veut continuer à externaliser la relocalisation des migrants et la lutte contre l’immigration irrégulière, elle va devoir payer le prix fort. En effet, elle sera tout d’abord obligée de débloquer des fonds (comme c’est le cas dans l’accord avec la Turquie). En outre, l’UE devra prendre davantage en compte les revendications des États voisins. Une des demandes du voisinage (oriental notamment) n’est autre que la libéralisation des visas, demande à laquelle les États membres peuvent difficilement faire faveur étant donnée la crise migratoire actuelle. Néanmoins, si l’UE ne répond pas à ces revendications, d’autres pays risquent de profiter de la situation pour se rapprocher du voisinage européen. Nous pouvons penser à la Russie, qui au travers de l’Union Eurasiatique, est plus encline que l’UE à libéraliser les visas avec le voisinage oriental de l’Europe afin d’accroître son influence déjà importante dans cette région.

Ainsi, l’externalisation de la lutte contre l’immigration illégale nécessite que l’UE fasse des compromis, qu’elle ne semble pourtant pas encore être prête à faire. De même, si l’UE veut accroître son influence, promouvoir ses valeurs et obtenir l’aide de pays tiers dans la gestion des migrants, elle doit être crédible auprès de ses voisins (conditions d’accueil respectueuses des droits fondamentaux qu’elle défend, système d’asile et d’immigration unifié), être à leur écoute et renforcer son attractivité.

Crise des réfugiés et sécurisation de l’Europe mettant en péril l’équilibre géopolitique de certains États tiers : l’exemple du Liban

Revenons brièvement sur l’histoire et la situation du Liban afin d’expliquer au mieux l’impact des migrations et des choix de l’UE sur ce dernier. Du fait de sa situation géographique, le pays a déjà été la cible de flux migratoires importants, notamment de réfugiés palestiniens qui sont arrivés après la formation de l’État d’Israël en 1948. Ces réfugiés sont des apatrides de génération en génération et représentent aujourd’hui près d’un demi-million de personnes. Le Liban est aussi l’un des premiers pays affectés par la crise Syrienne. Ainsi, l’État libanais accueille le nombre plus grand nombre de réfugiés proportionnellement à sa population dans le monde. Un habitant sur quatre est un réfugié. Pour faire face à cet afflux de migrants, le gouvernement libanais a fait le choix, en janvier 2014, de réglementer l’accès des réfugiés syriens à son territoire. Ces derniers doivent justifier leur visite. Cette mesure équivaut à une fermeture claire et nette des frontières pour les Syriens. Victime de la baisse des cours du pétrole, l’économie libanaise et ses infrastructures sont dépassées. D’après le Haut Commissariat aux Réfugiés, les réfugiés ont tout de même accès à la plupart des services de base. L’UE aurait déjà alloué « plus de 776 millions d’euros d’aide aux réfugiés syriens et aux communautés vulnérables au Liban » (article du Parlement Européen du 23/09/2016). Néanmoins, ces aides européennes et internationales ne sont pas suffisantes et, d’après Claude Moraes, président de la Commission des Libertés civiles, « l’aide humanitaire seule ne peut pas régler la situation : il faut des solutions politiques pour mettre un terme au conflit ».

Une fois de plus, l’UE ne semble pas prête à aider politiquement le Liban. Nabil de Freij, ministre de la Réforme Administrative Libanaise, dans un article de L’express du 03/07/2016 se pose la question suivante :  « Pourquoi l’Europe a-t-elle fait tant de cas des réfugiés syriens installés en Turquie, avec ses 80 millions d’habitants, et parle-t-on si peu de ceux du Liban. » L’UE semble préférer des accords avec ses voisins proches tels que la Turquie aux dépens d’autres États tiers. Quelles raisons à cela ? Économiques, politiques ? Non. Sécuritaires.

Quelles conséquences pour le Liban ? L’afflux de réfugiés a affecté les infrastructures sanitaires (approvisionnement en eau et en électricité) et éducatives libanaises, ce qui impacte directement les réfugiés qui vivent dans des conditions de plus en plus précaires : ils sont vulnérables. Ainsi, moins d’un tiers des ménages a accès à l’eau du robinet et près de la moitié des enfants syriens réfugiés au Liban n’a accès à aucune forme d’éducation. Ces conditions de vie nourrissent des tensions entre les communautés libanaises et les réfugiés syriens et peuvent déstabiliser le pays.

L’Europe fait une fois de plus preuve d’une obsession sécuritaire aux détriments des valeurs qu’elle défend

Quelles solutions pour l’UE, pour le Liban et pour la Communauté internationale ? Du 19 au 22 septembre 2016, les membres de la Commission des libertés civiles de l’UE ont visité le Liban afin d’observer les difficultés de la réinstallation des réfugiés dans le pays. Claude Moraes a conclu que le « Liban a de loin surpassé les efforts du reste de l’Union européenne dans sa réponse à la crise et s’en est remarquablement bien sorti dans des circonstances très difficiles » (Communiqué de presse du Parlement Européen, 21/09/2016). Néanmoins, les problèmes demeurent et le Liban aurait besoin d’un soutien et d’une solidarité internationale afin de résister à la crise syrienne et faire preuve de résilience. Si l’UE s’engage à s’assurer « (…) que le fonctionnement du système de réinstallation soit optimisé pour adopter des outils législatifs qui fonctionnent et contribuent à soulager la pression démographique » (Claude Moraes, Communiqué de presse du Parlement Européen, 21/09/2016), les mesures qui vont dans ce sens sont pour le moment insuffisantes.

Accuser l’UE d’immoralité dans sa gestion de la crise migratoire est peut être exagéré. Cependant, si le Liban voit sa situation se détériorer et que la région se déstabilise, l’UE aura sa part de responsabilité. Effectivement, comme l’UE ne parvient pas à régler la crise migratoire au niveau interne (dissension entre les États membres et problème du système européen d’asile), elle a choisi d’externaliser et de sous-traiter la relocalisation des migrants. L’Europe fait une fois de plus preuve d’une obsession sécuritaire aux détriments des valeurs qu’elle défend (droits fondamentaux, droits de l’homme, état de droit etc.). L’UE prend des décisions avant tout pour protéger ses citoyens (accord avec la Turquie, avec ses pays voisins, etc.) aux dépens des réfugiés eux-mêmes et aux dépens des pays tiers comme le Liban.

Blandine Malvault est étudiante en Master 2 Sécurité Extérieure et Sécurité Intérieure de l’UE à Science Po Strasbourg

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