L’important c’est de participer… mais ailleurs
01 November 2023 /
Carmen Noviello 4 min
Le sport n’est plus simplement du sport, et ce non seulement selon la science et son discours glorificateur de l’activité… mais également selon l’Union Européenne.
Dans le Livre Blanc – documents contenant des propositions sur l’action de l’UE dans des secteurs spécifiques – sur le sport, l’Union nous rappelle que « L’idéal olympique consistant à développer le sport pour favoriser la paix et la compréhension mutuelle entre les nations et les cultures, ainsi que l’éducation des jeunes est né en Europe ». C’est dans ce dernier que la Commission traite la dimension sociale et économique du sport et sa pertinence pour les citoyens de l’Union. Nous pourrions également ajouter que ce texte représente une des plus importantes contributions de la Commission dans le domaine sportif.
L’éducation physique, fait donc beaucoup plus qu’augmenter les niveaux d’endorphine et sérotonine, elle a une valeur sociale indéniable : c’est un espace communautaire primaire. Après réflexion, l’Union Européenne n’est qu’un match où tous gagnent.
En reconnaissant sa valeur économique et sociale, et conformément à l’article 6 TFUE, la Commission encourage les institutions de l’UE à intégrer les efforts nationaux pour le secteur sportif et à véhiculer le support financier à travers des programmes et des fonds disponibles, notamment Erasmus +, le Corps européen de Solidarité, les fonds d’investissement de la Politique de Cohésion, les programmes de réponse au Covid.
Cependant, le sport touche aussi une autre sphère : la sphère politique. En fait, ces dernières années, les manifestations sportives sont progressivement devenues une occasion pour exprimer dissensus ou soutien politique. Prenons par exemple le pilote britannique de Formule 1 Lewis Hamilton, qui en 2021 a couru le Grand Prix en Qatar avec un « casque aux couleurs arc-en-ciel » pour montrer son soutien à la communauté LGBTQ+ dans un pays où l’homosexualité est encore illégale et passible de détention jusqu’à sept ans. Hamilton qui, déjà en 2020 après la mort de George Floyd, s’était agenouillé avant une compétition avec ses collègues en montrant « End racism » sur la poitrine.
En plus d’être un espace de dissensus, les compétitions font aussi échos à la politique. Les plus experts se rappellent sûrement plusieurs cas tirés par le football. Dès le début de la guerre en Ukraine, par exemple, la Russie est exclue des matchs UEFA. Également, en ligne avec les directives du Comité Olympique International, les athlètes russes ont concouru au nom de la Fédération Russe de football et pas sous le drapeau de leur pays.
Le sport est donc une fenêtre sociale de discussion politique. Et l’Union Européenne supporte, dans les limites de ses compétences, la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, et d’autres formes de crime financier, et s’oppose à la discrimination sportive.
En revanche, on peut constater que tout le monde n’accorde pas la même attention au sujet. Par exemple, de nombreuses plaintes avaient été déposées contre le Qatar, accusé de la mort d’ouvriers dans la construction du stade qui accueillera plus tard la Coupe du monde. Et ce n’est là qu’un exemple des différents cas de violation des droits de l’homme recensés dans ces pays.
Il semble ainsi légitime de se demander alors pourquoi la Coupe du monde 2022 a eu lieu au Qatar ? Et pourquoi, dans la même année, la Formule 1 s’est déroulée en Arabie Saoudite ? C’est un fait, les plus grands championnats du monde se déplacent progressivement vers les pistes lointaines des droits civils européens, et préfèrent les pays où la démocratie est réduite au silence et les violences passent inaperçues. Les exemples sont nombreux : la Russie qui accueille la Coupe du monde en 2018, la Chine les Jeux Olympiques d’hiver en 2022.
Peu de surprise : les agences qui gèrent ces évènements sont à la recherche de pays qui financent des projets millionnaires et leur offrent des infrastructures avant-gardistes, toujours avec l’objectif de répandre le sport dans le plus grand nombre de pays possible.
De l’autre côté, pourquoi investir dans le secteur sportif ? Une simple stratégie de géopolitique et de business. Il est de notoriété publique que les économies arabes se basent principalement sur les matières premières, et en particulier sur le gaz et le pétrole. Mais le parcours de décarbonisation entrepris au niveau international les a forcé à diversifier leurs financements et à chercher de nouveaux débouchés. Pour cette raison notamment, ils ont orienté leurs ressources vers différents secteurs jugés plus rentables, comme par exemple les secteurs du luxe et de l’immobilier, domaines dans lesquels le financement est encore plus important. C’est dans ces catégories que les compétitions sportives entrent en jeu : le sport devient l’occasion pour se racheter d’une conduite non démocratique et d’être accepté par les entreprises internationales.
Ce combo forme une combinaison parfaite : Nous avons d’énormes sociétés sportives qui se vendent à des pays qui couvrent leurs actions par l’argent, en nettoyant leur réputation aux yeux de la communauté internationale.
Mais le sport washing – c’est-à-dire la récupération, de part un événement sportif organisé par l’organisme concerné, d’une réputation compromise suite à un comportement fautif – n’est pas la seule folie de cette histoire. Le Qatargate, scandale qui a impliqué plusieurs députés européens accusés de défendre les intérêts qataris en échange d’argent, a démontré que parfois les européens eux-mêmes, au sein des institutions, masquent les crimes de ces pays et les favorisent comme vitrine internationale du sport. Une pratique outrageuse qui dénature le sport de sa veste sociale et politique. Peut-être que l’important c’est de participer… mais ailleurs.
Maria Carmela Noviello est étudiante à l’Institut d’Etudes Européennes et co-présidente d’ Eyes on Europe.
(Edité par Léa Thyssens)