L’UE et le Pacifique : Relever le défi mondial entre la Chine et les États-Unis
16 May 2024 /
Filippo Segato 5 min
Le Pacifique, souvent négligé, est une région stratégique convoitée par les grandes puissances mondiales comme les États-Unis et la Chine. L’Union européenne tente de s’insérer dans cette dynamique en offrant une aide au développement, mais sa présence reste encore trop limitée. Les récents accords de l’UE visent à renforcer son rôle en tant qu’investisseur direct mais des défis persistent en termes de visibilité et de bureaucratie. L’UE doit renforcer ses politiques et son engagement dans la région pour jouer un rôle significatif dans la rivalité géopolitique en cours.
Le Pacifique est l’une des régions du monde dont on entend le moins parler, si ce n’est dans le cadre de voyages de rêve avec des mers turquoises et des animaux exotiques. Mais sous ce cadre idyllique se cache une région bien plus stratégique qu’il n’y paraît. Les 22 États et territoires membres de la Communauté du Pacifique comptent une population de 13 millions d’habitants et possèdent une zone économique exclusive de près de 40 millions de kilomètres carrés. Du fait de leur situation stratégique et de leur proximité avec l’Extrême-Orient, les ressources qu’ils possèdent les rendent extrêmement attractifs pour les différentes puissances mondiales.
S’il est vrai que l’Europe et le Pacifique sont d’un point de vue géographique distants l’un de l’autre, il existe néanmoins une profonde interconnexion politique et économique entre les deux. Par exemple, la moitié du thon consommé dans l’UE provient de la région et la Nouvelle-Calédonie est le troisième producteur mondial de nickel.
Les territoires du Pacific font actuellement partie d’un conflit géopolitique entre la Chine et les États-Unis. Washington a toujours maintenu une forte présence dans le Pacifique notamment en signant des traités avec ces pays. Par exemple, le Traité de Libre-Association signé entre les États de Palau, de Micronésie et des Îles Marshall permet aux États-Unis d’établir des bases militaires sur ces archipels. Pékin tente aussi d’accroître sa présence dans la région à la fois pour exploiter les ressources naturelles et surtout les infrastructures – comme des ports – afin de bloquer un éventuel mouvement militaire de Taïwan. En fait, le Pacifique reste l’une des rares régions du monde où les États souverains reconnaissent Taipei comme un véritable État Chinois, un État distinct de la République Populaire de Chine.
L’UE a donc l’occasion de s’insinuer dans cette rivalité entre les deux puissances en s’opposant aux initiatives de la Nouvelle Route de la Soie. L’UE soutient largement les économies des îles du Pacifique par le biais d’une aide directe et privée. Malgré cela, la présence de l’UE reste limitée, en particulier dans l’opinion de la population du pacifique qui considère toujours l’Occident comme une puissance colonisatrice. La Chine a beaucoup exploité ce point de vue au cours des dernières décennies et s’est positionnée comme une puissance bienveillante justifiant, par la même occasion, le renforcement de sa présence dans la région.
En 2022, Pékin et les îles Salomon signaient un accord de sécurité. Accord défini par de nombreux experts comme dangereux pour la stabilité de la région car il ouvre la voie à la Chine pour disposer d’une base militaire dans un endroit stratégique proche de l’Australie et lui permettant de disperser sa puissance maritime bien au-delà de ses frontières. Ce qui permettrait facilement un blocage de la route vers Taïwan.
La forte présence française dans la région du Pacifique, grâce à ses dépendances telles que la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, confirme cette idée de l’occident impériale.
Comme mentionné précédemment, à cause du nickel, un composant clé pour la construction de batteries, cette collectivité d’outre mer à statut particulier, qu’est la Nouvelle Calédonie, s‘est retrouvée au centre d’une controverse entre la France, désireuse de garder le contrôle sur ce matériau, la Chine et l’Australie. Ces dernières années, nous avons assisté à trois référendums sur l’indépendance, qui se sont tous soldés par la défaite des autonomistes. Le troisième, qui a eu lieu en 2021, a été boycotté par la grande majorité de la population autochtone pour protester contre le gouvernement de Paris, qui en plus de convoquer la population aux urnes pendant la pandémie, a fait tomber le gouvernement indépendantiste de l’île. La tension persiste car Paris a obtenu avec cette victoire la livraison de 42 000 tonnes de nickel pour la marque Teslas appartenant au multi milliardaire Elon Musk, malgré les protestations de la population autochtone concernant la répartition des bénéfices et les dommages causés à l’environnement par cette mine.
La position de L’EU
En guise de stratégie commune dans la région, l’UE s’est engagée pour l’instant dans la facilité NDICI-Global Europe, établie en juin 2021 et qui alloue 80 milliards d’euros à l’aide au développement, dont 600 millions d’euros pour les îles du Pacifique.
Cette structure comprend le Fonds européen de développement, désormais intégré au budget de l’UE, avec une allocation spécifique pour le Global Gateway, l’ambitieux programme européen de financement du développement des infrastructures et de la coopération numérique avec l’Europe.
Fin 2021, l’UE a mis en place l’Alliance verte et bleue UE-Pacifique16, basée sur le Green Deal européen, le cadre de coopération post-Cotonou entre l’UE et l’Organisation des Nations unies pour les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OACPS) (2021-2027) et la Stratégie pour le continent bleu Pacifique 2050.
Avec ce dernier accord, l’UE cherche désormais à se positionner non seulement comme fournisseur d’aide au développement mais aussi comme investisseur direct. Le champ d’action du Fonds européen pour le développement durable (EFSD), qui offre des prêts et des garanties aux entreprises, sera élargi aux régions suivantes Asie-Pacifique, comme l’a expliqué Bart Missinne, secrétaire de l’Institut du dialogue stratégique de l’Union. Toujours dans le domaine de la sécurité, il existe un plan d’action européen, le programme CRIMARIO, pour que les États côtiers développent la connaissance de leur zone maritime. Ce dernier, créé en 2015 pour les côtes de l’océan Indien occidental, a été pensé pour être étendu au Pacifique Sud afin de protéger les eaux territoriales des États pacifiques.
Malgré tout, l’action de l’UE dans la région, bien que réelle, manque de visibilité et de lisibilité. Plus d’un tiers des fonds sont acheminés par l’intermédiaire d’organisations multilatérales et nécessitent parfois des procédures bureaucratiques excessivement complexes.
Comprendre comment l’UE peut étendre son influence dans une région aussi éloignée peut être un test pour vraiment comprendre le véritable poids de l’Europe dans le monde. La force du Green Deal européen pour une région où le changement climatique est immédiatement visible peut être l’une des clés pour réussir dans la confrontation actuelle entre les États-Unis et la Chine. Pour ce faire, il est toutefois nécessaire de renforcer les politiques entreprises et de donner à l’UE toute sa force.
Filippo Segato est étudiant en master à l’Institut d’études européennes et est le Responsable des relations publiques et des événements d’Eyes on Europe.
(Edité par Léa Thyssens)