Et si la montée de l'euroscepticisme était un mythe ? II

02 September 2017 /

La première partie de Et si la montée de l’euroscepticisme était un mythe ? offre une interprétation alternative de la crise de légitimité de l’Union européenne. Au lieu de se contenter du récit traditionnel de la montée de l’euroscepticisme, il faut regarder du côté de l’indécision et l’indifférence de certains européens par rapport au projet européenne. Une telle réinterprétation suggère qu’il faut également revoir les moyens utilisés pour lutter contre la crise.

Les conséquences de l’indécision et de l’indifférence

L’indécision et l’indifférence des citoyens ni europhiles ni eurosceptiques ont un impact direct sur la construction européenne. L’indécision est source d’instabilité. Ces européens n’ont pas une opinion claire sur la question européenne, ce qui fait que leur comportement électoral n’est pas constant. Ils peuvent voter pour l’Union lors d’un vote, et voter contre lors d’un autre. L’indifférence est source d’aliénation. Ces européens ont tendance à ne plus participer aux votes qui concernent l’Europe. Les taux de participation très faibles aux élections européennes sont des bons indicateurs du désengagement d’une partie de la population de la question européenne. Face à un tel constat, il faut se poser la question suivante: est-ce que les initiatives de l’Union pour se relégitimer sont adéquatement conçues pour réduire l’indécision et l’indifférence des citoyens européens ? Ces initiatives peuvent être réparties en trois grandes catégories: (1) la politique d’information; (2) la participation citoyenne; (3) les programmes de redistribution.

La politique d’information

La politique d’information a pour objectif d’expliquer aux citoyens européens le fonctionnement de l’Union, ses politiques, ainsi que la signification plus large de ce qu’est l’intégration européenne. Dans le contexte de la crise, elle est devenue une initiative centrale de l’Union pour lutter contre l’instabilité à laquelle fait face la construction européenne. L’instabilité est conceptualisée comme un manque d’information de la part des européens. Ceux-ci ne disposant pas d’informations nécessaires, ne sont pas capables de voter en connaissance de cause. S’il est vrai qu’une meilleure communication européenne peut permettre sur le court terme d’assurer le soutien de ces européens, comme l’a montré le deuxième référendum irlandais sur le Traité de Lisbonne ; sur le long terme, une telle politique est vouée à l’échec. Le problème n’est pas que ces européens manquent d’information, mais plutôt que ceux-ci n’arrivent pas à  décider si l’Union européenne est une bonne ou une mauvaise chose. Davantage d’information ni changera rien, et cela est prouvé par les sondages. Après que leur nombre augmente ou diminue suite à une période de forte médiatisation de la question européenne, il retourne systématiquement aux niveaux antérieures.

Il se peut donc que l’Union européenne, avec une bonne stratégie d’information et de communication, puisse s’assurer sur le court terme le soutien suffisant des européens pour approfondir son intégration. Cependant, une telle tactique est dangereuse car elle ne prend pas en compte le sentiment d’impuissance de certains citoyens européens. Ceux-ci vivront une telle stratégie comme de la propagande (Valentini 2008), renforçant leur impression que l’approfondissement de l’Union européenne est inévitable, et donc leur indifférence vis-à-vis de l’Europe.

La participation citoyenne

Il y a de nombreuses initiatives qui ont pour objectif de promouvoir la participation des citoyens européens dans la prise de décision de l’Union européenne. Parmi celles-ci, les plus notables sont le dialogue ouvert et transparent avec les représentants de la société civile, les initiatives citoyennes européennes (ICE) et les consultations publiques (art. 11 TUE). De telles initiatives sont importantes pour lutter contre l’indifférence que l’Union suscite. En impliquant les européens dans le processus décisionnel, l’Union réduirait la distance symbolique entre elle et ses citoyens, et de ce fait elle réduirait leur sentiment d’impuissance. Cependant, ces initiatives ne permettent pas encore d’atteindre un tel objectif. La société civile européenne est peu représentative des citoyens européens. Beaucoup d’entre elles n’existent que dans la bulle bruxelloise, et les autres peinent à établir un lien entre les citoyens et l’Union (Bouza Garcia 2014). Les ICEs et les consultations publiques éprouvent de grandes difficultés pour remplir leur fonction première étant donné la complexité de l’Union européenne et des thématiques abordées par celle-ci.

Néanmoins, actuellement, il n’existe pas de solution rapide pour promouvoir la participation citoyenne au niveau européenne. Le problème est d’autant plus compliqué qu’il existe également un ‘déficit démocratique’ au niveau national où l’indifférence pour la politique est également croissante.

Les programmes de redistribution

Les nombreux programmes redistributifs, tels que Erasmus+ ou les fonds structurels, permettent à l’Union de revendiquer le rôle positif et concret qu’elle joue dans la vie de ses citoyens. De tels programmes permettent donc de rééquilibrer le calcule coût/bénéfice des citoyens européens et de lutter contre le sentiment d’indécision. Cependant, ces programmes sont actuellement trop marginaux que pour fournir l’effet escompté. Erasmus+ touche surtout des étudiants qui sont déjà socialisés dans un environnement européen ou international. Par contre, le programme peine à attirer la participation des individus les moins éduqués (Kuhn 2012), et donc les plus enclins à l’indécision et l’indifférence par rapport à l’Union européenne. Les fonds structurels manquent d’établir un lien direct entre l’Union et ses bénéficiaires. Par exemple, lors du référendum pour le Brexit, les régions qui ont le plus profité des fonds structurels étaient également celles qui ont le plus massivement voté pour le Brexit. Ce qui démontre l’incapacité des fonds structurels à influencer l’indécision des citoyens européens. Une Europe sociale serait sans doute l’idéal car elle établirait non seulement un lien direct avec ses citoyens, mais surtout, elle toucherait ceux qui jusqu’ici bénéficient le moins de l’intégration européenne.

Conclusion

Afin de mettre un terme à la crise de légitimité de l’Union européenne, il faut ramener ces européens ni europhiles ni eurosceptiques dans le giron du projet européen. En examinant les initiatives actuelles de relégitimation de l’Union, en prenant en compte leurs capacités respectives à mettre à mal l’ambivalence et l’indifférence que l’Union suscite, il est possible d’évaluer la capacité de l’Union à sortir de la crise. Si, à l’heure actuelle, aucune d’entre elles n’en a le potentiel, la construction d’une Europe sociale semble la solution la plus prometteuse.

Marin Capelle est étudiant à l’Institut d’étude européenne de l’ULB.

Bibliographie

Bouza Garcia, L. (2014) “Linking disconnected spaces or venues shopping? Trade-offs in participatory opportunities in the EU”, Social Movement Studies.

Kuhn, T. (2012) “Why educational exchange programmes miss their mark: Cross-border mobility, education and European identity”, Journal of Common Market Studies, 50(6), 994-1010.

Valentini, C. (2008) “EU Communication in the Member State: Comparative Analysis of Finnish and Italian Communication Strategies”, International Journal of Strategic Communication, 2(4), 216-243.

Van Ingelgom, V. (2014) “Ni europhile, ni Eurosceptique: comprendre l’indifférence des citoyens ordinaires à l’égard de l’intégration européenne”. Dans Integrating Indifference, édité par Van Ingelgom V., ECPR group.

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