Et si la montée de l'euroscepticisme était un mythe ? Un constat.
23 August 2017 /
La crise de l’Union européenne est souvent présentée comme le résultat d’un euroscepticisme grandissant d’une part de la population européenne. L’article de Virginie Van Ingelgom “Ni Europhile, ni Eurosceptique” (2014) nuance une telle interprétation, soulignant que la crise est causée par l’indécision et l’indifférence, plutôt que par le désamour des européens pour la construction européenne.
Le mythe de l’euroscepticisme
Depuis le fameux discours de Margaret Thatcher du 18 septembre 1988 au collège d’Europe, introduisant au monde le terme d’euroscepticisme, les évènements marquant un ‘rejet’ de l’Europe sont de plus en plus fréquents, le référendum sur le Brexit étant seulement la dernière démonstration en date. Les européens seraient-ils de plus en plus eurosceptiques ?
Selon le récit conventionnel de l’intégration européenne, ce serait le cas. L’histoire de la légitimité du projet européen pourrait être divisé en deux périodes. La première aurait été l’âge d’or de l’intégration européenne, caractérisée par un consensus permissif parmi les européens (Lindberg and Scheingold 1970). Ceux-ci étaient soit en faveur du projet, soit ils n’étaient ni intéressés, ni affectés par celui-ci. En revanche, depuis le Traité de Maastricht, qui marque le début de la seconde période, le consensus permissif aurait laissé place à un dissensus contraignant (Fligstein 2008). Suite à une polarisation des opinions sur l’Europe, les rangs des eurosceptiques auraient gonflé, rendant la consolidation européenne de plus en plus difficile puisque la plupart des Etats membres requièrent un référendum pour pouvoir ratifier un nouveau traité.
Ce récit de la montée de l’euroscepticisme simplifie excessivement la réalité. Si, la polarisation des opinions sur l’Union européenne est exagérée, il y a malgré tout un renforcement de l’indécision et de l’indifférence vis-à-vis du projet européen. Il n’y a donc pas d’un côté les europhiles, et de l’autre les eurosceptiques. En revanche, une partie grandissante de la population européenne évalue l’appartenance de leur pays à l’Union ni comme une bonne chose, ni comme une mauvaise chose. Cette partie de la population représente à l’heure actuelle près de trente pourcents des européens (De Wide and Zürn 2012; Van Ingelgom 2012).
Ni europhile, ni eurosceptique
Qui sont ces européens qui ne sont ni europhiles, ni eurosceptiques ? Et, pourquoi occupent-ils cette position intermédiaire ? Il y a trois facteurs qui influencent l’indécision et l’indifférence de ces citoyens vis-à-vis de l’Union européenne: l’ambivalence, la distance, et l’inévitabilité.
Premièrement, ces européens sont ambivalents dans leur évaluation de l’Union, vécue comme avantageuse pour les élites économiques qui jouissent du plein potentiel du marché unique, mais dont les bienfaits sont marginaux, voire inexistants, en ce qui les concerne. Cependant, certaines considérations ont tout de même grâce à leurs yeux. D’abord, il y a la considération temporelle. Ils pensent que l’Union européenne jouera un rôle positif dans le future de leurs enfants. Ensuite, il y a la considération idéale. L’Union européenne reste un idéal pour nombre d’entre eux, bien que la réalité palisse souvent en comparaison avec leurs attentes.
Deuxièmement, ces européens sont indifférents vis-à-vis de l’Union européenne dans la mesure où ils se sentent incapables d’avoir un impact sur la construction de celle-ci. Ce sentiment d’impuissance se développe en raison de la distance entre l’Union européenne et ses citoyens, mais aussi en raison du sentiment d’inévitabilité de la construction européenne. Bien qu’il y ait une distance géographique entre Bruxelles et ses citoyens, le sentiment de distance découle plutôt d’une distance symbolique. Elle résulte de la complexité du système politique européen – en contraste avec celui de l’Etat-nation. Il est difficile d’aimer quelque chose que l’on ne comprend pas. Elle résulte également d’un sentiment d’aliénation par rapport à la politique européenne. Celle-ci reste pour beaucoup le privilège d’une élite politique et économique. Cette indifférence est d’autant plus renforcée que la construction européenne semble inévitable.
Conclusion
La crise de l’Union européenne est souvent présentée comme le résultat d’un euroscepticisme grandissant. Cependant, une telle interprétation ne prend pas en compte les 30 pourcents de la population européenne qui ne sont ni europhiles ni eurosceptiques. Ces européens sont indécis et indifférents vis-à-vis de l’Union européenne pour trois raisons: l’ambivalence, la distance, et l’inévitabilité. Identifier et comprendre ces européens est important pour comprendre la nature de la crise de légitimité de l’Union européenne. La deuxième partie de Et si la montée de l’euroscepticisme était un mythe ? tire de ce constat les enseignements nécessaires pour que l’Union se réinvente.
Marin Capelle est étudiant à l’Institut d’études européennes de l’ULB.
Bibliographie
De Wilde, P., and Zürn, M. (2012) “Can the politicization of European Integration be Reversed?”, Journal of Common Market Studies, 33(5), 559-575.
Fligstein, N. (2008) Euroclash. The EU, European Identity and the Future of Europe, Oxford: Oxford University Press.
Lindberg, L., and Scheingold, S. (1970) Europe’s Would-be Polity, Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall.
Van Ingelgom, V., (2012) “Mesurer l’indifférence. Intégration européenne et attitudes des citoyens”, Sociologie, 1(3): 1-20.
Van Ingelgom, V. (2014) “Ni europhile, ni Eurosceptique: comprendre l’indifférence des citoyens ordinaires à l’égard de l’intégration européenne”. Dans Integrating Indifference, édité par Van Ingelgom, ECPR group.