Možemo ! La vague rouge et verte qui émerge en Croatie
15 November 2021 /
Romain Biesemans 7 min
La Croatie, ses paysages pittoresques et ses îles à perte de vue. Paysage idyllique mais depuis quelque temps, la mer Adriatique est agitée par des vagues. Serait-ce dû à la Bura, ce vent froid vecteur de nombreux mythes dans la société croate ? Et bien non, la raison ne se situe pas au niveau météorologique mais bien au niveau politique. Dans un paysage politique marqué par deux grandes familles dominantes, les conservateurs du HDZ et les sociaux-démocrates du SDP, un nouvel acteur politique émerge depuis quelques années. Cet acteur, c’est la plateforme « Možemo ! ». En effet, cet ensemble de diverses forces politiques libérales, écologistes et de gauche ne cesse de gagner du terrain en Croatie. Cette tendance s’inscrira-t-elle sur le plus long terme ? Retour sur ce nouvel acteur politique et tentative de réponse dans cet article.
Aux origines
Pour remonter aux racines de Možemo, il faut remonter aux élections municipales de Zagreb en 2017. La capitale croate, alors dirigée par l’ancien social-démocrate et désormais indépendant Milan Bandić, est sujette à de nombreux maux. La ville subit un phénomène de gentrification et la corruption et le clientélisme gangrène les contrats signés par la municipalité. Face à cette situation, aucune opposition crédible n’existe au sein de l’hémicycle zagrebois. C’est dans ce contexte que diverses forces de gauche se coalisent pour tenter de briguer quelques sièges et de peser dans le jeu politique local. Sous l’étiquette « Zagreb je NAŠ ! » ou “Zagreb est NÔTRE !”, cette initiative obtient 4 sièges et entraîne ainsi la possibilité pour la gauche locale de faire entendre sa voix face aux dérives du mayorat. L’un de ces élus est Tomislav Tomašević, qui est devenu fin mai le nouveau maire de Zagreb. Ce résultat impulse la création de Možemo en février 2019, à la veille des élections européennes. Cependant, malgré son résultat d’1,8% obtenu grâce à une coalition avec d’autres formations de gauche, aucun siège n’est obtenu.
Le tournant des législatives de 2020
Les élections législatives croates de 2020, en pleine crise de la Covid-19, ont été déterminantes pour Možemo et plus largement la gauche environnementale en Croatie. Alors invisible dans les sondages d’une élection marquée une fois de plus par des narrations conservatrices autour de la nation et de l’identité croate, les attentes sontfaibles autour de cette coalition rouge et verte. Cependant, cette dernière est parvenue à décrocher 7 sièges au sein du Sabor, le parlement croate. Lors de ces mêmes élections, les sociaux-démocrates ont subi un revers électoral. La coalition menée par Možemo a ainsi fait office d’alternative pertinente à la gauche de l’échiquier politique. Attirant les voix d’anciens votants du SDP et des jeunes, ce résultat s’explique notamment par la présence sur les listes de personnalités connues à gauche ayant rejoint le mouvement. S’inscrivant désormais comme une force politique pertinente, la coalition entre alors au sein d’un parlement plus à droite que jamais avec un HDZ toujours aussi incontournable (62 sièges sur 151). A cela s’ajoute une nouvelle force d’extrême droite « au nom de la patrie » menée par le chanteur et nationaliste Miroslav Škoro (15 sièges).
La consécration à Zagreb
Les élections municipales de mai 2021 ont été précédées du décès de Milan Bandić, maire incontournable de Zagreb depuis 20 ans. Lors de la législature 2017-2021, les représentants de Možemo avec à leur tête Tomislav Tomašević, ont su faire vivre l’opposition à Zagreb. Dénonçant les politiques du pouvoir local et monopolisant le lead de la contestation dans la rue et au sein de l’hémicycle municipal, la plateforme politique a invisibilisé le SDP et fait office, à la veille des élections, de favori pour la mairie de Zagreb. Le tremblement de terre ayant secoué Zagreb en mars 2021, et endommageant de nombreux bâtiments, a également impacté la crédibilité des forces de Bandić et de leur partenaire du HDZ dans la gestion urbaine de la ville. Les deux grands partis nationaux, ainsi que les soutiens de l’ancien maire, ont dès lors été éclipsés au premier tour des élections municipales par Možemo et par l’extrême droite de Miroslav Škoro.
Face à deux tendances politiques opposées, progressiste et verte d’un côté et conservatrice et ethno nationaliste de l’autre, Možemo a rapidement pris l’avantage en obtenant 23 sièges sur 47 à la mairie et propulsant ainsi son candidat Tomislav Tomašević au poste de maire après un scrutin uninominal à deux tours. En effet, celui-ci est parvenu à largement s’imposer avec 67,3% des suffrages et 20 0000 voix devenant ainsi le premier maire écosocialiste de Zagreb. L’obtention de la mairie de Zagreb donne alors une toute autre dimension à Možemo et lui fournit désormais une visibilité non négligeable ainsi qu’une marge de manœuvre bien plus large. Après quelques mois seulement à la tête de Zagreb, les choses bougent déjà dans la capitale croate. Le nouveau mayorat s’attèle à revoir tous les contrats passés par la mairie et promouvoir la construction de logements sociaux. De plus, afin de faire de Zagreb un modèle de recyclage, le nouveau maire souhaite redéfinir la politique de traitement des déchets.
Možemo, une plateforme écosocialiste
Možemo adopte un modèle de plateforme politique regroupant une diversité d’acteurs de gauche et écologiste. Son modèle est similaire dans de nombreux points à Podemos avec un leadership horizontal. Možemo ne compte pas de leaders mais deux coordinateurs que sont Sandra Benčić et Teodo Celakoski. Se définissant comme écosocialiste, la plateforme est affiliée au niveau européen au Verts mais apporte également son soutien à diverses personnalités de la gauche comme ce fut explicitement le cas avec Yanis Varoufakis et Diem 25.
Concernant son programme, les problématiques traitées par Možemo ne s’arrêtent pas à celles de Zagreb. Le parti défend une diversité de thématiques plus globales telles que l’environnement et la défense de la biodiversité. Il prône également une position égalitariste au niveau des sexes et soutient l’inclusion, le respect et la tolérance des droits LGBT+. Au niveau socio-économique, Možemo adopte une position anti-austérité. Lutter contre le chômage et combattre les disparités régionales qui existent entre les régions les plus riches et les plus pauvres font partie de ses priorités. La plateforme soutient également l’entrée de la Croatie dans l’Espace Schengen et dans la Zone Euro mais tient à ce que l’adhésion à l’Union monétaire ne soit pas préjudiciable à la cohésion et au bien-être social dans ce pays d’un peu plus de 4 millions d’habitants. Enfin, Možemo rejette la cristallisation politique du passé croate et désire transcender les clivages ethno religieux en renforçant notamment le droit des minorités.
Un acteur politique ambitieux mais sur le long terme ?
La plateforme fait office aujourd’hui de troisième voie dans un pays longuement dominé par la dualité entre les conservateurs et les sociaux-démocrates. Forts de deux mayorats avec Zagreb ainsi que Pazin, petite ville de l’ouest de la Croatie, le parti ne cesse de convaincre comme l’illustre les sondages. En septembre dernier, le sondage Promocija Plus, du groupe médiatique public HRT, crédite Možemo à 19,3%, loin derrière le HDZ et ses 32,7% mais légèrement devant le SDP à 19,1%. Le fort de l’électorat de Možemo est aujourd’hui issu des milieux universitaires et militants de la capitale. Cependant, il semblerait que le parti rassemble plus largement aujourd’hui dans le Grand Zagreb, à Zagorje, en Istrie ainsi que dans certaines grandes villes comme Rijeka. En effet, ces espaces sont connus pour être traditionnellement plus progressistes. Le défi pour Možemo est dès lors de convaincre plus largement en Dalmatie, en Slavonie et dans les villes à tendance plus conservatrices que sont Split ou Osijek.
Les prochaines élections législatives auront lieu en 2024 et seront cruciales pour l’installation de la plateforme politique au niveau national. Cependant, selon les observateurs, il est difficile d’imaginer Možemo passer devant les conservateurs du HDZ. Ces derniers, malgré leur échec pour obtenir la mairie de Zagreb, dominent la sphère politique croate avec en figure de proue le Premier Ministre Andrej Plenkovic. Le pari de Možemo de s’imposer sur la scène politique croate n’est dès lors pas complètement rempli. Il faudra ainsi observer avec attention si ces derniers parviennent à s’imposer dans la durée et à tous les échelons du pouvoir. Parviendront-ils à redéfinir la gauche croate en passant devant le SDP et à gêner le HDZ ? Réponse en 2024.