Nouveau Pacte pour la migration et l’asile: divergences entre objectifs annoncés et réalité

11 February 2021 /

6 min

Le 23 septembre 2020, la Commission a présenté le nouveau pacte sur la migration et l’asile Si elle le décrit comme « un nouveau départ » dont les objectifs sont de « renforcer la confiance grâce à des procédures plus efficaces et de trouver un nouvel équilibre entre responsabilité et solidarité » il est bien moins ambitieux qu’il n’y paraît. De nombreuses règles qui y sont formulées viennent contredire l’affirmation du nouveau départ et l’équilibre entre responsabilité et solidarité n’est pas atteint. Intéressons-nous à quatre “avantages” de ce nouveau pacte prônés par la Commission.

«Renforcement de la confiance favorisée par l’amélioration et l’efficacité accrue des procédures»

Filtrage préalable à l’entrée

La Commission prône tout d’abord un « renforcement de la confiance favorisée par l’amélioration et l’efficacité accrue des procédures ». Le pacte semble en effet innover en instaurant une « procédure de filtrage des personnes aux frontières extérieures de l’UE ». Cela signifie que « pour la première fois » un contrôle impliquant l’identification de toute personne qui franchit sans autorisation les frontières extérieures de l’UE aura lieu préalablement à l’entrée sur le territoire européen. Ce n’est en réalité pas une nouveauté puisque ce contrôle doit normalement déjà avoir lieu en vertu de l’article 6 § 6 du Code frontières Schengen. La seule réelle innovation est l’obligation d’un dépistage sanitaire déjà rendu obligatoire dans la plupart des États membres en réponse à la pandémie.

Une approche plus innovante aurait pu être retenue. Le gouvernement allemand avait suggéré un examen prima facie du bien fondé de la demande d’asile mais cela n’a pas été repris par la Commission. La future présidente allemande avait également songé à confier une autonomie décisionnelle à la future agence pour l’asile ainsi qu’à Frontex qui auraient pu procéder à cet examen préalable. Cette tâche a finalement été confiée aux autorités nationales avec le soutien des agences « dans le cadre de leur mandat ».

Procédure à la frontière

Concernant la procédure à la frontière en revanche, l’innovation est perceptible quant à la durée de la procédure : « il sera décidé rapidement s’il y a lieu d’accorder l’asile ou d’ordonner le retour » (12 semaines en temps normal, 20 semaines en temps de crise). Les autorités sont tenues d’accorder un entretien personnel et d’évaluer chaque cas individuellement. En outre, il est nécessaire de disposer d’un recours juridique qui “prévoit un examen complet et ex nunc des faits et des points de droit”. Malheureusement ces exigences sont difficiles à respecter en pratique et de nombreux États membres ont déjà failli à leur tâche quant au respect des délais plus longs prévus dans les anciens instruments. Il est en effet difficile de concilier délais raisonnables et respect des garanties procédurales. Alors comment garantir que les juridictions européennes et nationales seront en mesure de tenir leurs engagements ? Que peut faire l’UE pour s’en assurer ?

L’une des pistes est de donner plus de ressources financières aux administrations. Cette voie semble cependant compromise puisque le montant consacré à la migration et l’asile va être réduit de 28% selon le cadre financier pluriannuel.

«Partage équitable des responsabilité et solidarité»

Ensuite un « partage équitable des responsabilités et solidarité » est mis en avant. Pourtant, malgré les apparences de nouveau départ, l’essence même du très critiqué système de Dublin est maintenue. De légères modifications ont été apportées mais globalement la dynamique reste identique : le critère de première entrée sur le territoire européen détermine l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile.

En période de tension, chaque État membre devra apporter sa contribution. La Commission parle de solidarité « permanente et obligatoire » mais n’impose aucun quota de relocalisation de personnes arrivant par les pays limitrophes de l’Europe qui sont les plus touchés. Cette solidarité semble donc plus facultative que réellement contraignante en instaurant un « Système de contribution flexible». Ces contributions peuvent aller de « la relocalisation de demandeurs d’asile depuis le pays de première entrée à la prise en charge du retour des personnes qui ne jouissent pas d’un droit de séjour, en passant par diverses formes de soutien opérationnel ».

De nombreux observateurs déplorent le fait que la Commission se soit écartée de la réinstallation obligatoire. Cette dernière permet en effet de transférer un réfugié d’un État dans lequel il n’a pas obtenu de protection vers un autre État qui accepte de l’accueillir. Cela contribue à leur protection. Une autre manière d’atteindre cet objectif est de prévoir davantage de voies d’accès légales sûres au territoire de l’Union européenne. La Commission propose des recommandations sur les voies légales existantes, y compris les systèmes de parrainages privés. Si ces avancées sont souhaitables, il est regrettable que la Commission n’ait pas privilégié un cadre plus contraignant.

Le nouveau pacte pour la migration et l’asile se concentre davantage sur le renforcement du contrôle des frontières au détriment de l’établissement de réelles voies légales d’accès au territoire. En effet, la seule voie d’accès légale supplémentaire proposée est la réinstallation (sur base volontaire) or elle ne peut couvrir à elle seule l’ensemble des besoins de protection à l’échelle mondiale. Il est impératif d’établir des voies légales d’accès au territoire européen qui soient sûres pour les migrants. La responsabilité et la solidarité ne se limitent en effet pas aux relations entre les États membres. Les migrants possèdent des droits qui doivent être respectés.

«Un changement de paradigme en coopération avec les pays tiers»

Une collaboration avec les pays tiers est également prévue sur base de « partenariats sur mesure mutuellement avantageux». A cet égard, le pacte semble reprendre les politiques existantes élaborées au cours des dernières années. L’objectif semble être de réduire le nombre de personnes franchissant les frontières extérieures et même d’empêcher les migrants d’atteindre le territoire de l’Union européenne. Cela rappelle le modèle de la déclaration « UE Turquie » de 2016 selon lequel pour chaque migrant arrivé dans les îles grecques et renvoyé vers la Turquie, l’UE s’engageait à réinstaller un Syrien de Turquie dans l’UE.

«Une approche globale»

La Commission avance également l’idée d’une approche globale et prône un système commun de l’UE en matière de retour (lorsque la demande d’asile est rejetée). Il prévoit entre autres un renforcement du rôle des garde-frontières et garde-côtes européens ainsi qu’un nouveau coordinateur de l’UE chargé des retours. On constate que des moyens plus importants sont alloués à la politique de retour alors que ces derniers pourraient être utilisés afin de mettre en place un accueil digne des personnes ayant besoin d’une protection respectant leurs droits fondamentaux.

Conclusion

Le nouveau pacte pour la migration et l’asile apparaît assez décevant pour les défenseurs des droits fondamentaux des migrants. Il est davantage défini par les besoins et les circonstances dans lesquelles se trouvent les acteurs concernés que par la morale et peut à ce titre être qualifié d’instrument de realpolitik. Il naît dans un moment de tensions entre des intérêts divergents: d’une part, les revendications de contrôles accrus aux frontières pour des raisons sécuritaires ou sanitaires et d’autre part, la protection des droits fondamentaux des migrants. Des tensions existent également entre la coopération supranationale et l’action de l’État. Juridiquement les différents instruments prévus par le pacte peuvent être adoptés par un vote à la majorité qualifiée au Conseil sous réserve de l’approbation du Parlement européen. Néanmoins certains États membres rejettent ouvertement la nouvelle législation et les décisions de justice s’y rapportant. Cela explique pourquoi la Commission s’est montrée prudente dans les réformes qu’elle a proposées, si elle avait été plus ambitieuse un blocage aurait certainement eu lieu au Conseil. L’acceptation des limites de l’environnement politique est la raison pour laquelle le pacte est un exemple de realpolitik.

Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.

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