Présidence belge du Conseil de l’UE : Entre enjeux électoraux, défis diplomatiques et ambitions européennes
13 December 2023 /
Marie El Bouziani 7 min
Après l’Espagne, c’est la Belgique qui prendra la tête du Conseil de l’Union Européenne du 1ᵉʳ Janvier au 30 juin 2024. Par les hasards du calendrier, ce sera également sous la Présidence belge que se développeront les campagnes électorales pour les élections européennes mais auront également lieu pendant cette période les élections belges – les législatives fédérales, régionales et communautaires.
Les élections européennes préfigurent une présidence qui sera coupée en deux puisque le 25 avril marquera la fin de cette prochaine législature du Parlement Européen et qu’à cette date, la Belgique devra avoir bouclé plus de 150 dossiers encore en cours mais surtout définir les orientations stratégiques de la dixième législature européenne, autrement dit celle qui commencera le 1 juillet 2024.
Contexte et enjeux : retour sur son dernier mandat et défis à venir
Le Royaume de Belgique assurera sa treizième Présidence tournante en 2024. C’est l’un des pays membres qui a le plus joué ce rôle, et rappelons-le, il a également été le tout premier État à l’avoir tenu en janvier 1958.
La dernière présidence de la Belgique remonte à 2010 et le bilan est plutôt positif avec notamment des avancées dans le domaine de l’économie. C’est à ce moment-là que le Conseil a introduit le Semestre Européen après avoir réorganisé le calendrier des politiques économiques tout en veillant à renforcer la gouvernance pour tenter de sortir de la crise de l’euro. Le Conseil a aussi mis en œuvre la stratégie « Europe 2020 » et a débloqué le dossier du Brevet européen, en suspens depuis les années septante.
La Belgique a également, durant la présidence de 2010, axé ses efforts sur le climat, en introduisant le principe “pollueur-payeur” dans le transport routier et en réglementant l’utilisation de substances dangereuses dans les appareils électroniques.
Sous cette présidence, la santé européenne a aussi été mise sur la table, conduisant à l’adoption d’une directive sur les soins transfrontaliers et à des sanctions contre la falsification des médicaments. Toutefois, il semblerait que la dimension sociale de l’Europe a été négligée durant cette période.
Paradoxalement, bien que la Belgique ait tenu une présidence couronnée de succès, elle traversait simultanément la plus grande crise gouvernementale de son histoire, restant 589 jours sans nouveau gouvernement et en affaires courantes.
Heureusement, cette fois-ci la Belgique commencera sa nouvelle Présidence de 2024 avec un Gouvernement fédéral en bonne et due forme, néanmoins le contexte international est quant à lui pour le moins complexe. La guerre en Ukraine aura vraisemblablement le monopole des préoccupations européennes, de même que le conflit entre Israël et le Hamas.
Cette Présidence se place dans le triumvirat Espagne-Belgique-Hongrie, qui en principe devrait miser sur la résilience et l’autonomie stratégique de l’UE.
La Présidence espagnole actuelle a identifié quatre priorités principales : la réindustrialisation de l’Union Européenne, garantir l’autonomie stratégique mais néanmoins ouverte sur le monde, pousser à la transition écologique au plus vite et promouvoir la justice sociale et économique pour renforcer l’unité européenne.
Cependant, dans ce triumvirat, la Hongrie fait cavalier seul et bataille contre le gel des fonds européens dont elle ne peut bénéficier en raison des défaillances de son État de droit.
Cap sur 2024 : les grandes priorités de la présidence belge
Les priorités de la Présidence belge se développeront autour de 6 grands axes : défendre l’État de droit, la démocratie et l’unité, renforcer la compétitivité européenne, poursuivre une transition écologique juste, renforcer le programme social et sanitaire européen, protéger les individus et les frontières, et enfin promouvoir l’Europe mondiale.
Plus concrètement, la Belgique s’attaquera tout d’abord aux questions de migration et d’élargissement. Ces questions seront indubitablement plus politiques à l’approche des élections européennes du 9 juin.
Par ailleurs, l’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie sera au cœur des négociations au sommet du Conseil européen de décembre et les Chefs d’État donneront le ton des négociations. Pourtant, ce sera à la Présidence belge de finaliser le processus d’adhésion.
En ce qui concerne la migration, la Belgique poursuivra le projet de pacte migratoire européen dans la lignée de l’Espagne et des présidences précédentes et si elle réussit à conclure ce dossier épineux, ce sera sans aucun doute, une grande réussite pour le Conseil étant donné que l’affaire est en cours depuis la crise migratoire de 2015-16.
En matière d’économie, Pierre-Yves Dermagne, le ministre fédéral belge de l’Économie, a déclaré vouloir “rendre l’Europe plus sociale”. Concernant l’emploi, il a déclaré, entre autres, vouloir conclure le processus législatif de la Directive sur le Travail via Plateforme, ainsi que progresser sur le droit à la déconnexion (un sujet d’actualité depuis la démocratisation du télétravail). De plus, le Conseil devrait avancer sur le dossier du Single Market Emergency Instrument qui, s’il est adopté, vise à coordonner la circulation des biens, services et des travailleurs essentiels en cas de crise.
Ensuite, sur le thème de la santé, le ministre fédéral belge de la santé, Frank Vandenbroucke, va également gérer les pénuries de médicaments potentielles avec le Critical Medecines Act. La Belgique étant l’un des leaders mondiaux de l’industrie pharmaceutique, c’est l’une des problématiques qu’elle tâchera de résoudre le plus efficacement possible. Les pénuries de médicaments durant la crise de la Covid ont par ailleurs poussé les ministres européens à agir le plus rapidement possible.
Le Green Deal sera une des priorités phares en termes de politique environnementale. La Belgique suivra la lignée espagnole tout en se concentrant sur une transition juste, l’économie circulaire ainsi que la résilience et l’adaptation climatique. C’est notamment en aboutissant le Net Zero Industry Act pour aider les entreprises européennes à concurrencer le reste du monde dans le domaine de la clean tech.
Enfin, la politique scientifique se divise en deux piliers majeurs : le développement digital (5G et Right to Repair) et la politique spatiale. Le premier axe vise à accélérer la 5G à moindre coût et à promouvoir la circularité dans le secteur technologique en luttant contre l’obsolescence programmée. Le deuxième axe se concentre sur la création d’un Ciel unique européen, soulevant des questions de compétences entre l’Agence Européenne pour la sécurité aérienne, le Parlement et la Commission d’un côté, et les États-membres de l’autre, préférant un organisme consultatif et non contraignant.
En parallèle à ces grands axes législatifs, une plus grande place sera notamment accordée à la participation citoyenne. La présidence belge compte mettre en marche tout un programme pour permettre aux citoyens de s’impliquer plus activement dans les débats européens. En somme, des panels citoyens, des événements décentralisés et une implication des pouvoirs locaux seront mis en place.
Démocratie, décisions et diplomatie : ceci n’est pas une campagne électorale
La Belgique, structurée en système fédéral, implique divers acteurs dans le processus décisionnel. L’État fédéral et les entités fédérées (Régions et Communautés) coordonnent les groupes de travail du Conseil en fonction de leurs compétences, selon un accord de 1994. Ainsi, la Présidence belge adopte une configuration des présidents pour représenter toutes les entités du système fédéral.
Nonobstant, il est intéressant de remarquer que les Communautés, qui s’occupent de compétences comme la culture ou l’éducation tiendront de facto un rôle moins important puisque ces compétences sont complémentaires au niveau européen.
En outre, la Présidence aura une influence significative sur les élections belges et réciproquement. Comme cela a été le cas avec plusieurs présidences du Conseil, telles que la Présidence espagnole ou la Présidence française de 2022, les élections tombent au même moment. Ainsi, 11 millions de Belges se rendront aux urnes pour élire un total de sept parlements à tous les niveaux de pouvoirs.
Cependant, avec les partis séparatistes flamands et eurosceptiques d’extrême droite (Vlaams Belang et Nieuw-Vlaams Alliantie) en tête des récents sondages, les enjeux sont particulièrement délicats. Il est donc plus que probable que les campagnes électorales viendront influencer la Présidence et la manière dont elle aborde déjà probablement les dossiers. Vice-versa, une présidence couronnée de succès pourra constituer un outil pour les partis du Gouvernement pour se mettre en valeur.
Enfin, les relations diplomatiques belges risquent de se complexifier, surtout au sein du Benelux, suite aux récentes élections néerlandaise et luxembourgeoise. Le départ de Xavier Bettel au Luxembourg et la démission de Mark Rutte aux Pays-Bas, combinés à la montée de l’extrême droite anti-immigration, suggèrent des changements importants. Avec des vétérans de la politique européenne quittant leurs postes et des incertitudes concernant les gouvernements néerlandais et belge à venir, la situation diplomatique pourrait devenir délicate.
Une présidence qui s’annonce haute en couleur
En conclusion, la prochaine présidence belge du Conseil ne sera pas de tout repos. Avec de nombreux dossiers chauds sur la table, des élections européennes et belges en perspectives et un contexte international difficile, les différents Gouvernements qui composent la Belgique devront évoluer en étant minutieux.
Son programme qui mêle des priorités diversifiées allant de la migration à l’économie en passant par l’environnement et la santé, la Belgique fait face à des défis cruciaux. Comment cette présidence parviendra-t-elle à concilier les dynamiques nationales, les enjeux électoraux et les défis internationaux tout en favorisant une participation citoyenne accrue ?
Marie El Bouziani est étudiante à l’Institut d’Études Européennes.
(Edité par Léa Thyssens)