La presse traditionnelle, cible d’une crise sans précédent
23 December 2018 /
© Picturedesk
La presse traditionnelle n’a pas été épargnée par la crise multidimensionnelle de 2008, bien au contraire. Les différents groupes de presse européens ont été particulièrement touchés, et continuent de payer les pots cassés encore aujourd’hui. A l’instar des Editions l’Avenir en Belgique francophone, qui annonçaient le 23 octobre dernier leur volonté de licencier 60 équivalents temps plein sur 250, la majorité d’entre eux étant des journalistes.
Le Financial Times Deutschland qui disparaissait en Allemagne en 2012, le quotidien français Libération qui était la cible d’une restructuration conséquente en 2014, ou encore El Mundo qui prévoyait un plan d’économies sérieux en Espagne en 2016 : ces trois grands noms de la presse européenne ne sont pas des cas isolés. Malheureusement, la liste des journaux en difficulté est encore longue et on semble loin de pouvoir y mettre un point final. Alors comment en est-on arrivé là ? Quels sont les facteurs qui ont contribué à la dégringolade d’un secteur pourtant essentiel à une démocratie digne de ce nom ?
Les raisons de ces difficultés sont plurielles et ne sont pas si simples à pointer du doigt. Néanmoins, trois explications principales peuvent être mises en avant : la concurrence indéniable représentée par l’avènement des réseaux sociaux, la discréditation des journalistes, et la détention des journaux par de grandes entreprises dont l’objectif premier est le gain financier.
Les réseaux sociaux : de terribles concurrents
La première explication pourrait paraître simpliste voire même évidente ; mais elle est cependant indéniable : d’un point de vue sociétal, l’essor des réseaux sociaux de type Facebook ou Instagram a bouleversé la manière de rechercher l’information, notamment auprès des jeunes. A l’heure actuelle, les gens prennent moins le temps de lire les journaux et se contentent des nouvelles générales glanées sur les réseaux.
Les médias ont donc dû s’adapter à cette tendance, pas seulement en créant des pages Facebook ou des applications mobiles, mais aussi en adaptant leur manière de rédiger des articles. Comme le temps de lecture des utilisateurs est réduit, les journalistes privilégient les articles de type « courts », appelés « brèves », ou des articles factuels, qui ne relatent que des faits sans en faire d’analyse.
Comme le temps de lecture des utilisateurs est réduit, les journalistes privilégient les articles de type « courts », appelés « brèves », ou des articles factuels, qui ne relatent que des faits sans en faire d’analyse.
De moins en moins de fonds sont alloués au journalisme d’investigation, un journalisme qui se veut aller au fond des choses, car il est plus chronophage, et dans un monde régi par la vitesse et le « buzz », il ne trouve plus sa place.
L’avènement des fake news
En outre, le temps accordé au recoupement des sources semble de plus en plus restreint : certains « journalistes » lisent des informations sur un site quelconque et s’empresse de les relayer dans un article, sans en vérifier l’exactitude, poussés par l’adrénaline, l’envie de créer le buzz mais aussi simplement par manque de temps à cause d’effectifs réduits. En découle la diffusion d’information fausses, et par conséquent l’avènement du terme Fake News, utilisé à tort et à travers, notamment par le résident de la Maison Blanche. On assiste ainsi à une discréditation des journalistes : la confiance qu’ont les citoyens en le quatrième pouvoir parait s’amenuiser, sans parler de celle des politiciens. Or, la condition sine qua non pour qu’un journal puisse se vendre, c’est la crédibilité de l’information qu’il diffuse.
La confiance qu’ont les citoyens en le quatrième pouvoir parait s’amenuiser, sans parler de celle des politiciens.
Malgré les efforts d’adaptation des groupes de presse, de moins en moins de lecteurs souscrivent à des abonnements, que ce soit en version papier ou en version électronique. La conclusion est double : non seulement le journalisme perd de sa qualité en essayant d’attirer les lecteurs avec des titres accrocheurs, des informations parfois non vérifiées ou simplement réduites au strict nécessaire, ce qui éloigne le lectorat réellement attaché au journalisme de fond, mais il semble en plus, malgré tous ses efforts, ne pas être assez efficace et à la page pour concurrencer les réseaux sociaux.
Des valeurs journalistiques pas toujours prioritaires
D’un point de vue économique, depuis quelques années, on assiste à la formation de groupes de presse, ou de groupes d’éditions multimédia. Les Editions l’Avenir, par exemple, qui sont actuellement en difficulté en Belgique francophone, sont détenues par le groupe Nethys. Ce groupe belge, qui en plus d’assurer notamment la gestion du réseau de distribution d’énergie par la société Resa, est également actif dans les télécommunications et détient en plus de L’Avenir, VOO et BeTV. Les autres grands groupes actifs en Belgique francophone sont Rossel, qui détient notamment Le Soir, La Meuse, l’Echo et les chaînes RTL TVI ; et le Groupe IPM, à la tête entre autres de La Dernière Heure- Les Sports et La Libre Belgique.Et dans toute l’Union Européenne, la donne est la même : les grands quotidiens, hebdomadaires ou chaînes télévisuelles sont détenues par des sociétés privées. RCS MediaGroup, par exemple, est à la tête de plusieurs quotidiens italiens (Corriere della Serra, La Gazzetta dello Sport,…) mais aussi du deuxième quotidien espagnol, El Mundo. Le groupe de presse Prisa, quant à lui, est présent dans tous types de médias espagnols, comme El País, AS ou Cinco Días.
Ces grandes entreprises sont gérées par des managers, qui sont rarement issus du monde de la presse, mais plutôt du monde financier. Et c’est là que le bât blesse. Comme le confiait David Domingo, de la chaire de journalisme de l’ULB, dans un entretien livré à l’Avenir : « Ces managers ont des priorités et des valeurs très éloignées de celles des journalistes. Ils prennent des décisions qui peuvent paraître pertinentes au niveau des chiffres, mais qui sont terribles en regard des enjeux démocratiques. » Alors quand un quotidien ou un quelconque média est la cible d’une crise, les solutions proposées pour la relance sont souvent nulles, et la réponse préférée des managers semble être la réduction du personnel. Or, les journalistes sont les premiers acteurs à pouvoir faire vivre un journal, et licencier une partie des rédacteurs diminue les chances de produire un contenu pertinent et susceptible d’intéresser le lectorat.
Ces managers ont des priorités et des valeurs très éloignées de celles des journalistes. Ils prennent des décisions qui peuvent paraître pertinentes au niveau des chiffres, mais qui sont terribles en regard des enjeux démocratiques.
En conclusion, les médias en général, mais surtout la presse traditionnelle, font face à une crise sans précédent. Des journalistes sont licenciés aux quatre coins de l’Europe, certaines boîtes de rédactions sont contraintes à mettre la clef sous la porte et le journalisme en tant que tel semble perdre de sa valeur. Cette crise est d’autant plus prononcée que la liberté de la presse est fortement remise en question dans certains pays, notamment en Europe de l’Est. Ce constat est alarmant, car comme le disait Pierre Desporges, « à chaque fois qu’un média disparaît, c’est un peu de la démocratie qui disparaît avec lui ».
Elise Legrand est étudiante en Master 1 en Journalisme à l’ULB