Quand un américain vient rappeler à l’Europe sa devise [CaféBabel]
09 February 2017 /
Le 10e Prix du Livre européen a été remis par Oliver Stone au cours d’une soirée toute en contrastes. Entre lancement d’alertes et messages d’espoirs, Le Plus et le Moins d’Erri De Luca et L’Imposteur de Javier Cercas ont été récompensés. Cafébabel s’est rendu à cette fête de la culture.
Faire le point pour mieux avancer, voilà où a été posé le marque-page. Le réalisateur franco-étatsunien Oliver Stone proposait sa lecture de l’état de notre monde, qu’il considère avec appréhension : « J’ai peur pour le futur, vous devriez tous avoir peur ! Trouvez votre indépendance, soyez-vous-même et avec un peu de chance, un jour nous pourrons trouver une paix ensemble » (ndlr : notre traduction). C’est sur ces mots que le président du jury commença à remettre les prix aux lauréats, après avoir retrouvé son sourire. Juste avant le discours d’Oliver Stone, Frans Timmermans se montrait ému de recevoir un prix spécial de la part du comité de parrainage pour Fraternités, Plaidoyer pour le lien. Un essai qui offre un récit collectif de notre histoire et nous appelle à agir pour défendre ce qui nous unit. Son discours marquait l’importance de la littérature pour lui. « Raconter, relier, élever » pourrait être une piste que nous donne le Premier vice-président de la Commission pour dépasser l’état actuel de notre monde. Car vivre le visible en écartant l’imaginaire est possiblement ce qui nous amène vers l’ère de la « post-vérité ». La littérature, elle, nous permet de voir le monde à travers les yeux d’un autre, elle digère l’histoire et permet l’imaginaire en reconstruisant la réalité sous forme littéraire.
Lui a succédé à la tribune un discours résolument iconoclaste de la part d’Oliver Stone, qui appelle les européens à ne pas se résigner dans un rôle de suiveurs des impérialistes américains. Car, selon le réalisateur, les Etats-Unis sont impitoyables et veulent imposer un nouvel ordre mondial, dans lequel notre continent est relégué au rang d’instrument. C’est aussi à cette fin qu’est orchestrée la surveillance de masse, outre-Atlantique. Un contrôle total, qui passe par un glissement non anodin du ciblage efficace à la surveillance de masse. Stone préfère alors l’Europe qu’il a connue durant son enfance, où l’on sentait l’indépendance et les particularités. Aujourd’hui, l’Europe lui paraît inféodée aux Etats-Unis et unifiée uniquement pour des raisons économiques. Nul doute que Stone contrastait avec les plaidoyers pour une Europe unifiée des deux lauréats. Mais, à la lumière de la soirée, son discours reflète aussi la crise identitaire que traverse l’Europe et le débat que le prix du livre veut amener. C’est encore un appel à faire vivre la richesse de l’Europe, nos différences face à la montée des voix belliqueuses.
Prix de l’Essai 2016
Erri De Luca avait déjà été honoré par la présidence du jury l’année dernière, alors qu’il était en plein combat judiciaire. Mais cette année, c’est sa plume qui était récompensée par le prix de l’essai. Son ouvragecomprend trente-sept textes, tissés autour de repères biographiques. Le discours de l’écrivain et activiste napolitain rompait avec la lecture du monde que venait de proposer Oliver Stone. Optimiste jusqu’au bout, il se montre enthousiaste du chemin que prend l’Europe. « Le moins est derrière nous, le plus reste à inventer. Bon courage et bon voyage, Madame Europa ». On aime! Un peu d’optimisme ne fait pas de mal dans ce monde parfois un peu trop négatif.
Prix du Roman 2016
Ce prix du roman récompense une réflexion sur le héros et sur l’histoire espagnole, sur le mensonge et sur le façonnement d’un mythe, au travers de l’imposture d’Enric Marco. Javier Cercas écrit pour comprendre, pour nous interroger sur la réalité et sur nous-mêmes. La littérature métissée et antidogmatique, voilà ce que nous avons hérité de Cervantes, du roman moderne. Des vérités qui ne sont pas univoques, et qui ont permis à l’Europe de se créer. L’unifier est, pour Javier Cercas, la seule utopie raisonnable que les européens ont forgée. Dans sa forme actuelle, l’UE ne satisfait personne, mais pour l’auteur, cela signifie simplement qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Il est alors temps d’apprendre de l’expérience : un appel aux romanciers et aux politiciens à suivre l’exemple de Cervantes.
Quatre discours, qui, mis ensemble, représentent bien un prix qui veut « rassembler les différences et de souder le sentiment communautaire ». Cette fois-ci, la littérature était décidément au chevet de l’Europe.
Serge Dubosson pour CaféBabel
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