La transparence européenne, une lutte de référentiels ?
22 September 2017 /
L’article 15, paragraphe 3 du TFUE semblait être le parachèvement de la transparence dans l’Union européenne : « [Un] citoyen de l’Union, et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son statut enregistré dans un État membre, ont un droit d’accès aux documents [de l’UE] quelle que soit leur support ». Pourtant les mandats de négociations du JEFTA (Japan-EU Free Trade Agreement) furent seulement dévoilés le 23 juin 2017 par Greenpeace. Soit 5 ans et 19 rounds de négociations après le lancement des pourparlers entre les deux partenaires. Quelles sont les causes de cette dissonance de l’exécutif européen ?
La transparence européenne, un long chemin semé d’embûches
Dans la longue histoire de la diplomatie entre les États, le secret des négociations fut la pierre angulaire des relations internationales. En effet, l’ouverture de ces mécanismes décisionnels était fortement hermétique aux contributions du public. L’approche préférée fut plutôt celle d’encourager la participation « des groupes d’intérêts » (CURTIN, 2011). Le principe de transparence ne semblait donc pas acquis au commencement de l’intégration européenne. Pour comprendre ce long processus, il faut revenir aux balbutiements du système communautaire. En effet, l’émergence du principe de transparence dans le système communautaire est due à des facteurs externes aux institutions européennes et le refus du peuple danois au premier traité communautaire. Pour répondre à ce rejet et dans le contexte du traité de Maastricht, la déclaration 17 du traité énoncera : « La transparence du processus décisionnel renforce le caractère démocratique des institutions, ainsi que la confiance du public envers l’administration».
Nous devrons attendre mars 1999 pour voir l’enclenchement d’un changement tangible de la notion de transparence – il s’agit de la démission de la Commission Santer (CURTIN, 2011). À partir de ce moment, les politistes, les philosophes et les juristes vont se pencher sur la promotion d’une « société civile européenne » afin de combler le déficit démocratique de l’Union européenne (MICHEL, 2007). Le 25 mars 2001, la Commission va publier son livre blanc sur la Gouvernance européenne suite à une large consultation de la « société civile », qui visera à une plus grande participation de la société civile, une efficience accrue des décisions et une nouvelle base de légitimité démocratique pour l’Union. Il en ressortira quelques années plus tard, l’article 15 du TFUE qui inscrit la transparence comme une équité d’informations entre les différents citoyens européens.
Cependant la suite du paragraphe 3 énonce les limites du principe de transparence :“Les principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixés par voie de règlements (…)”. Dans la pratique, il s’agit du règlement n°1049/2001 et son article 4 qui prévoit des restrictions d’accès aux documents, notamment, à ceux qui porteraient atteinte à la protection de l’intérêt public en matière de sécurité publique, de défense et d’affaires militaires, des relations internationales, de politiques financière, monétaire ou économique de l’UE ou d’un État membre . Donc si l’article 15 de TFUE a décrété le droit d’accès aux documents, il ne s’agit pas d’un droit absolu. Dès lors, comment est-il possible de parler de transparence pour tous si ce même principe se trouve vidé de sa substance par les enclosures de ces exceptions ? Quels sont les fondements argumentatifs permettant cette interprétation de l’article 15 du TFUE et quelles en sont les visions critiques ?
Référentiel de la CJUE : une transparence utilitariste
Le droit communautaire est observé comme un processus important des mécanismes d’intégration européenne, et dont il a créé un cadre cognitif qui touche l’ensemble des agents (SUREL, 2000). Dans ce sens de nombreux auteurs vont mettre en exergue la place essentielle de la Cours de justice de l’Union européenne (précédemment CJCE) qui a pour rôle de faire respecter le droit et les pratiques communautaires dans la production et la préservation de ce cadre de connaissances et de régulation (DEHOUSSE, 1997).
En ce qui concerne la vision de la transparence de la CJUE, elle a été améliorée de trois manières. D’abord, par l’article 15 du TFUE qui réaffirme le principe d’attribution et de subsidiarité qui caractérise d’une manière claire la division de compétences entre l’UE et les États membres. Ensuite, par la « démocratie de production» qui se base sur les résultats ou les outputs. Enfin, cet équilibre permet d’acquérir une double légitimité, venant d’une part du peuple européen et d’autre part des États (LENAERTS, 2016). Ainsi, pour Koen Lenaerts, président actuel de la CJUE, l’UE contient des contrôles et des équilibres suffisants pour garantir la démocratie contre l’exercice d’un pouvoir arbitraire. En effet, la démocratie et intrinsèquement la notion de transparence européenne ne peuvent être mesurées à l’aune des critères orthodoxes des États nations mais doivent être comprise dans un système multi-niveau de gouvernance (LENAERT, 2013). Ainsi, la transparence vue par la CJUE serait plutôt d’une nature utilitariste qui correspond au mieux au schéma interinstitutionnel actuel de l’UE que s’inscrivant dans l’acceptation substantielle de l’article 15 du TFUE.
Référentiel d’une transparence instrumentale à une équité d’informations
La première frontière de la transparence est celle de la compréhension. Comme le souligne Nicolas Angelet : « En démocratie, le peuple est propriétaire du droit » (ANGELET, 2016). Le CETA compte plus de 1500 pages sans compter les annexes. De plus, il est difficile d’y appréhender ces diverses dispositions sans une compréhension du droit de l’OMC et de la lecture du GATT (qui compte près d’un millier de pages aussi). Il sera également difficile pour les lecteurs de comprendre pourquoi certaines clauses ne sont applicables que pour l’un des deux partenaires. En effet, l’opacité des travaux préparatoires ne permet de cerner les différents enjeux et concessions faites d’un côté et de l’autre. Enfin, en absence de règles strictes sur la temporalité de l’accessibilité des documents des processus décisionnels, il est possible, comme pour le JEFTA, que ces accords soient accessibles plus de cinq ans après l’octroi du mandat par la Commission. Dès lors, l’asymétrie d’informations se creuse encore entre l’exécutif de l’UE, les États et le peuple européen. De plus, comme le souligne Olivier Arifon, même si tous les mandats de négociations étaient rendus publics, ceux-ci sont rédigés d’une manière assez large pour laisser une grande marge de manœuvre aux négociateurs durant les rounds de négociations (ARIFON, 2005).
Des mouvements comme DiEM25 vont dénoncer l’opacité de l’UE et plus particulièrement les négociations relatives au TTIP. En effet, à travers leur campagne « Transparence en Europe maintenant », ce mouvement demande de rendre public tous les documents et protocoles pertinents concernant les négociations actuelles du TTIP. Pour DiEM25, il est techniquement possible de rendre ces processus quasiment transparents. D’abord, les nouveaux médiums de communication peuvent diffuser en direct les réunions de ces différents mandats (DiEM25). Ensuite, on peut mettre en ligne tous les documents concernant les négociations cruciales qui vont avoir une influence multiforme sur l’avenir des citoyens européens. Cette vision se retrouve aussi d’une manière plus diluées dans le large mouvement « STOP TTIP » qui vise à enjoindre la Commission à demander au Conseil de supprimer le mandat de négociation qu’il lui avait accordé en vue des négociations du TTIP et de refuser de finir la procédure de ratification du CETA. Ce mouvement lança une ICE qui a recueilli 3 284 289 signatures durant la période du 7 octobre 2014 au 6 octobre 2015.
Si la notion de transparence dans sa seconde acception semble compromise, le ciel n’est pas aussi ombragé que cela nous laisse à croire. En effet, des petites victoires comme celle en mai 2017 du comité organisateur citoyen de l’ICE « STOP TTIP » contre son refus d’enregistrement de la Commission européenne montre que la notion de transparence n’est pas statique et qu’un mouvement lent mais inextricable va dans le sens de l’équité d’informations pour tous les citoyens européens.
Thibault Koten est diplômé en Relations internationales à l’Université libre de Bruxelles.
Bibliographie
Monographies, articles scientifiques, articles encyclopédiques
ARIFON, Olivier, « De la transparence en diplomatie. Entre vision idéale et nécessités de communication », dans MEI « Transparence & communication », nº 22, disponible sur http://www.mei-info.com/wp-content/uploads/revue22/4MEI-22.pdf, Université de Strasbourg, 2005, p. 43-51
CURTIN, Deirdre et MENDE, Joana, « Transparence et participation : des principes démocratiques pour l’administration de l’union européenne », Revue française d’administration publique 2011/1 (n° 137-138), p. 101-121
DEHOUSSE, Renaud, « Le Cour de justice des Communautés européennes », Paris, Montchrestien, 2eme édition, 1997
LENAERTS, Koen, « The principle of democracy in the case law of the European court of justice », International and Comparative Law Quarterly, 62, 2013, p. 271315
MICHEL, Hélène, « La « société civile » dans la « gouvernance européenne ». Éléments pour une sociologie d’une catégorie politique », Actes de la recherche en sciences sociales ,2007/1 (n° 166-167), p. 30-37
Articles de presse et sites internet
CENTRE DE DROIT INTERNATIONAL, ULB, Arnaud, « Le CETA, retour sur un débat juridique sensible », http://cdi.ulb.ac.be/ceta-retour-debat-juridique-sensible/, 16/05/2017, consulté le 03/06/2017
Commission européenne, COM (2001) 428 final, « Gouvernance européenne, Livre blanc », Luxembourg.
GREENPEACE, Arne ROBBE, « Greenpeace Pays-Bas divulgue des documents TTIP », http://www.greenpeace.org/belgium/fr/vous-informer/divers/blog/greenpeace-pays-bas-divulgue–des-documents-tt/blog/56364/, 02/05/2016, consulté le 04/06/2017
GREENPEACE, Communiqué de presse, « TTIP : Un faux jeu en matière de transparence », http://www.greenpeace.org/luxembourg/fr/news/TTIP-Un-faux-jeu-en-matiere-de-transparence/, 15/02/2016, consulté le 05/06/2017
DiEM25, « DiEM25 demande aux institutions européennes d’agir sur la transparence », https://diem25.org/diem25-demande-aux-institutions-europeennes-dagir-sur-la-transparence/, 18/03/2016, consulté le 04/06/2017
DiEM25, « Assemblée de DiEM25 I: Transparence en Europe maintenant! », https://diem25.org/assemblee-de-diem25-transparence-en-europe-maintenant/, 06/03/2016, consulté le 04/06/2017
DiEM25, « La transparence en Europe, c´est maintenant », https://you.wemove.eu/campaigns/transparence , consulté le 04/06/2017
LE MONDE, Cécile DUCOURTIEUX, «Koen Lenaerts : « Faire une balance entre règles européennes et sensibilités nationales »», http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/04/koen-lenaerts-faire-la-balance-entre-regles-europeennes-et-sensibilites-nationales_4859589_3214.html, 04/02/2016, consulté le 04/06/2017
Libération, PATTÉE, Estelle, « Commerce : entre l’Europe et le Japon, un traité si bien gardé », publié le 05/07/2017, http://www.liberation.fr/planete/2017/07/05/commerce-entre-l-europe-et-le-japon-un-traite-si-bien-garde_1581849, consulté le 14/08/2017
Site de l’initiative citoyenne européenne « Stop TTIP » : http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/initiatives/open/details/2017/000008 , consulté le 12/08/2017
Tribunal de l’Union européenne, « Communiqué de presse N°49/17 : Le Tribunal de l’UE annule la décision de la Commission refusant l’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne « Stop TTIP » »