Transparence européenne : le leurre d’une quête absolue

08 December 2016 /

Face à la “réprimande” sans sanction de l’ex-commissaire Neelie Kroes prononcée par le Conseil éthique de la Commission européenne le 21 décembre 2016, la transparence européenne peine à se tracer un sillon clair au cœur des institutions bruxelloises. Cependant, la transparence est-elle la solution pour regagner la confiance des citoyens européens ?

Mauvais temps pour la transparence européenne. Le Conseil éthique de la Commission annonçait le 21 décembre la “réprimande” sans sanction de l’ex-commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, rendue coupable de dissimulation fiscale d’un société offshore pendant l’exercice de son mandat. S’ajoute à cela l’affaire survenue en juillet 2016 impliquant l’ancien Président de la Commission, José Manuel Barroso, qui annonçait au Financial Time son recrutement par la banque Goldman Sachs en grande partie responsable de la crise des subprimes de 2008, et ce seulement 18 mois après la fin de son mandat.

Mêlant milieu des affaires et politique, ces cas alimentent les suspicions de conflits d’intérêts dans la prise de décision au niveau européen. Pour y remédier, la Commission Juncker a fait de la transparence législative une priorité. « Les institutions de l’UE doivent coopérer pour regagner la confiance de nos citoyens [qui] ont le droit de savoir qui tente d’influencer le processus législatif de l’UE » confirme Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission.

Une des mesures proposées le 28 septembre 2016 est le renforcement du registre de la transparence. Ce document recense les informations des lobbies qui foulent les couloirs du Parlement et de la Commission pour s’entretenir avec les décideurs ou participer aux consultations publiques. Obligatoire depuis 2014 à la Commission, il reste cependant optionnel au Parlement européen et inexistant au Conseil de l’UE. Ce dernier est pourtant l’institution la plus opaque du système européen avec un taux de transparence de 17%, contre 48% pour la Commission et 45% pour le Parlement (Transparency international, 2015). La Commission Juncker propose alors d’étendre et harmoniser le registre de façon à le rendre obligatoire à toutes les institutions européennes. Selon Frans Timmermans, « le public verra [ainsi] qui fait du lobbying, qui ces lobbyistes représentent et combien ils dépensent. »  Mais qu’en est-il réellement ?

© Parlement Européen
© Parlement Européen

« Les rencontres officieuses sont et seront toujours l’essentiel de la représentation d’intérêt »

Un premier constat s’impose : « Près de la moitié des entrées [du registre] contiennent des erreurs ou des nombres peu plausibles. » (Transparency International, 2015). En parallèle du statut obligatoire du document, ce sont les données en elles-mêmes qui doivent être analysées plus finement. Or, le secrétariat du registre a confié « un manque de personnel. Il admet également qu’il n’est pas en mesure de vérifier précisément les informations. » (Euractiv, 2013) Entre 2011 et 2013, 900 dossiers ont pu être analysés alors que plus de 6000 organisations se sont enregistrées à cette période.

De plus, qu’en est-il des méthodes utilisées par les lobbys ? « Les rencontres officieuses sont et seront toujours l’essentiel de la représentation d’intérêt » rappelle Theodoros Koutroubas, directeur général du Conseil européen des professions libérales (Ceplis) -lobby européen des professions libérales- et professeur de Communication politique, marketing et lobbying à l’UCL. Qu’ils se déroulent au café, au restaurant ou autour d’un verre, ces rendez-vous échappent au registre et donc à toute traçabilité. M. Koutroubas ajoute que la volonté de la Commission « répond [davantage] à un besoin de démontrer au citoyen lambda qu’elle n’est pas corrompue ». Si l’euroscepticisme ambiant justifie une telle démarche, la transparence à elle-seule répond-elle au manque de démocratie des institutions européenne ?

La transparence côtoie le secret politique depuis la création de l’État moderne

Une demande accrue de transparence répond à un manque de confiance des citoyens envers leurs élites politiques. La multiplication des scandales de corruption depuis les années 90’ a contribué à ce sentiment de défiance. L’affaire Cahuzac en est un exemple dans un des états membres : en 2012, Jérôme Cahuzac, le ministre du budget français, s’est vu accusé de « blanchiment de fraude fiscale » en dissimulant un compte Suisse ayant servi à l’achat d’un appartement de plus de 6 millions de francs. Ce scandale a entraîné des actes de transparences de la part du gouvernement français, censés redonner foi dans le système représentatif.

Pourtant, la transparence côtoie le secret politique depuis la création de l’Etat moderne. Celui-ci est pratiqué depuis toujours vis-à-vis de sujets sensibles ou lorsque les dirigeants le jugent nécessaire aux intérêts de l’Etat. Que ce soit en amont des accords d’Oslo entre Israël et Palestine en 1993 ou de l’accord de paix entre la Nouvelle-Calédonie et la France en 1988, les gouvernements ont de tout temps pratiqué l’art de la dissimulation. Sans être anti-démocratique, le secret d’Etat fait partie de la vie politique depuis les prémices de la démocratie. On peut alors se demander si en ces temps de défiance, les mesures de transparence mises en place sont les réponses attendues aux problèmes démocratiques soulignés par les citoyens ?

« détourn[er] le sens de la question en y répondant par des actes de transparence »

Revenons à la scène européenne. Les surenchères de mesures et d’appels des institutions à la transparence font face à la mise à mal des valeurs européennes tel que l’État de droit, à la montée des “démocraties autoritaires” et au développement des discours anti-Europe jusque dans ses Etats fondateurs. L’Union elle-même voit la transparence comme un remède à sa crise existentielle. Mais ces démarches sont-elles adaptées à la demande d’un processus décisionnel européen plus démocratique ? A l’image de la réponse inédite apportée par la France pendant l’affaire Cahuzac [la publication de toutes les déclarations du patrimoine des ministres alors qu’une refonte du système politique était demandée], le statut obligatoire du registre – et plus largement la  priorité dans la transparence – « semble se passer comme si, pour satisfaire une demande sociale de confiance, le pouvoir avait détourné le sens de la question en y répondant par des actes de transparence. » (Lemarchand, 2014)

Pourtant, la solution se trouve peut-être déjà au sein des états membres.  L’Irlande a récemment mis en place un instrument de démocratie vieux comme Athènes : le tirage au sort. Pour la deuxième fois dans l’histoire politique du pays, 100 citoyens ont été désignés pour former une assemblée qui abordera cinq sujets de société avant de les soumettre à un référendum national. C’est en accordant un rôle actif aux européens que les institutions combleront le déficit démocratique qu’il leur est reproché. Et c’est en s’appuyant sur les bonnes pratiques de ses états membres que l’Europe légitimera son fonctionnement, asséchant ainsi le lit des partis eurosceptiques.

Alexandra Perse est étudiante en dernière année de Master Relations internationales à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

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