Trente ans après la chute du mur de Berlin, la politique d'élargissement de l'Union européenne est-elle toujours une priorité ?

03 January 2020 /

7 min

drapeaux européens

Cet article a initialement été publié dans l’édition n°31 du magazine Eyes on Europe.
 
La politique dite « d’élargissement » a certainement été l’une des priorités les plus rapidement mises en place par l’Union européenne. D’abord pensée dans une optique d’unifier économiquement le continent, elle a ensuite été étendue à des objectifs de réunification politique, sociale et idéologique. Toutefois, la politique d’élargissement semble avoir montré depuis quelques années les premiers signes avant-coureurs d’un essoufflement…
 

Rétroactes

Les débuts de l’intégration européenne dans les années 1950

Le 18 avril 1951, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas signent le traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) ; l’Europe des Six est née. Quatre ans plus tard, les ministres des Affaires Étrangères de la CECA adoptent une résolution témoignant de la volonté des Six à « franchir une nouvelle étape dans la construction européenne par la création d’institutions communes ». Ainsi, deux traités sont signés le 25 mars 1957 à Rome en vue d’instaurer la Communauté Économique Européenne (CEE).
 

L’Âge d’or de la politique d’élargissement : des années 1960 aux années 2000

Les Traités de Rome sont les précurseurs de nombreuses politiques du droit européen actuel ; pensons simplement à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. Pour ce qui nous concerne, peut-on notamment y lire un article 237, lequel formule une phrase à l’allure simple mais au contenu très symbolique : « Tout État européen peut demander à devenir membre de la Communauté ». Cet article fonde ni plus ni moins les premières volontés de l’Europe des Six à s’étendre sur le continent européen.
Toutefois, dans les années 1950, cet objectif se limite à une simple réunification sur le plan économique. À ce moment, seuls sont ainsi pris en compte la qualité d’État au sens du droit international et le caractère européen dudit État, lequel est fondé sur la base d’une appréciation géographique ou politique. Ce faisant, la concrétisation des règles économiques européennes doit alors faire l’objet d’un accord entre la CEE et l’État candidat.
Dans ce contexte, la Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark intègrent la CEE en 1973. La Grèce la rejoint quant à elle en 1981, tandis que l’Espagne et le Portugal y sont admis en 1986, le tout formant ainsi l’Europe des Douze.
En 1989 a lieu la chute du Mur de Berlin, avec toutes les conséquences politiques, idéologiques et sociales liées. Presque systématiquement, des vagues d’immigration déferlent sur l’Europe de l’Ouest et plusieurs candidatures d’entrée dans la CEE sont présentées. Néanmoins, les Douze souhaitent d’abord concrétiser le traité de Maastricht, lequel finit par instituer une « Union européenne » après son entrée en vigueur le 7 février 1992.
L’Union européenne n’est toutefois pas en reste ; elle doit forcément s’adapter au changement radical du paradigme européen : un vent de libertés souffle en Europe, l’économie n’est plus le seul objectif symbolique à garantir et de nouveaux critères d’adhésion sont établis.
C’est ainsi que, en 1993, l’Europe des Douze se réunit à Copenhague et y définit de nouveaux critères d’adhésion (ci-après, « les critères de Copenhague »). Confirmés par le Conseil européen en 1995, ces critères sont les suivants : « des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection » (critère politique) ; « une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché intérieur de l’Union » (critère économique) ; « la capacité d’assumer les obligations de l’adhésion, notamment de souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire » (respect de l’acquis communautaire).
C’est dans cette nouvelle configuration que l’Autriche, la Finlande et la Suède intègrent l’Union en 1995. Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovénie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et Malte deviennent membres effectifs en 2004.
En 2006, à l’occasion d’un « consensus renouvelé sur l’élargissement » en vue de réaffirmer cette politique, un quatrième « critère de Copenhague » est établi par le Conseil européen : la capacité de l’Union européenne à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l’élan de l’intégration européenne.
En 2007 entre enfin en vigueur le Traité de Lisbonne, lequel ajoute un dernier critère d’adhésion à l’Union : « le respect des valeurs visées à l’article 2 [du traité sur l’Union européenne] et l’engagement à les promouvoir ».
Dans ce cadre, la Roumanie et la Bulgarie intègrent l’Union européenne en 2007, la Croatie la rejoint en 2013, formant ainsi l’actuelle Europe des Vingt-huit.
 

La politique d’élargissement depuis les années 2000 : quelques avancées notables

 Tout État désireux d’adhérer à l’Union européenne doit donc remplir l’équivalent de six critères. Au niveau procédural (article 49 du Traité sur l’Union européenne), chaque État doit adresser sa candidature au Conseil des Ministres en vue de se faire reconnaître formellement le statut d’État candidat. Seulement après cette reconnaissance peuvent alors commencer les négociations d’adhésion, lesquelles donnent, à terme et le cas échéant, un traité d’adhésion.
L’État candidat ne devient effectivement État membre de l’Union européenne que lorsque le traité d’adhésion entre en vigueur. À cette date, l’État candidat doit être capable d’appliquer l’entièreté du droit européen dans son ordre juridique national, ce qui explique les nombreuses négociations durant le processus d’adhésion d’un État candidat, lequel devra adapter son droit interne au droit européen durant tout ce temps.
À l’heure actuelle, des négociations d’adhésion ont été lancées avec la Serbie en janvier 2014, avec le Monténégro en juin 2012 et avec la Turquie en octobre 2005. L’Albanie et la République de Macédoine du Nord sont officiellement devenues des États candidats depuis juin 2014 pour le premier et depuis décembre 2005 pour le second. Enfin, la Bosnie-Herzégovine a présenté une demande d’adhésion en février 2016 et le Kosovo a conclu un « Accord de stabilisation et d’association », entré en vigueur en avril 2016.
Pour l’heure, nul ne peut affirmer quelle voie l’Union européenne prendra respectivement à l’encontre de chaque État mentionné. Toutefois, force est de constater que le « consensus renouvelé sur l’élargissement » établi en 2006 par le Conseil européen est encore d’actualité.
 

Aujourd’hui… et demain : un essoufflement de la politique d’élargissement ?

De manière transversale, les institutions imaginées dans les années 1950 ne convenaient plus pour vingt-huit. À côté du thème de l’élargissement durant ces septante dernières années, il y a eu le thème de l’approfondissement institutionnel, avec l’idée de rénovation constante des traités européens pour être certain que, malgré le nombre croissant d’États membres, les mécanismes institutionnels resteront opérationnels. Tel a été l’enjeu de l’intégration européenne sous le prisme de la politique d’élargissement, tout du moins jusqu’à très récemment.
Depuis la fin des années 2000, l’Union européenne n’est plus capable d’assumer une politique d’élargissement aussi forte que dans ses débuts, dans la mesure où les processus de négociation et d’adhésion semblent fortement ralentis. Ce phénomène peut s’expliquer par deux raisons.
D’une part, il faut noter l’absence d’un moteur suffisant à une perspective actuelle d’élargissement ; les années 1950 ont été propices à un élargissement conséquent sur le plan économique et la chute du Mur de Berlin a permis de réunir, sous l’égide des grandes libertés fondamentales, un nombre important de nouveaux États membres. Aujourd’hui, il semble qu’il n’y ait plus aucune raison suffisamment puissante pour justifier un tel élargissement.
D’autre part, beaucoup avancent que l’Union européenne s’est précipitée dans ce processus et que certains États n’auraient jamais dû la rejoindre en raison de leurs différences – jugées – trop flagrantes. En outre, d’aucuns estiment qu’il devient de plus en plus difficile (aussi bien matériellement que conceptuellement) de gérer à plusieurs une organisation internationale aussi poussée que l’Union européenne. Cette double tension (précipitation-complexité) explique également une certaine réticence de la part des États membres à en voir d’autres intégrer le processus d’intégration européenne trop rapidement.
Il n’est pas question ici de justifier ou de réfuter concrètement l’adhésion d’un nouvel État dans l’Union européenne. Toutefois, en termes d’enjeux, il n’est pas bien difficile de conceptualiser des questions plus fondamentales qui tiennent à l’essence même de la politique d’élargissement.
De manière pragmatique, comment les critères d’adhésion peuvent-ils encore être pris au sérieux considérant qu’ils ne sont pas (ou plus) respectés par certains États (s’agissant de la crise économique et financière en Espagne, en Grèce et au Portugal ; ou encore concernant la crise de l’État de droit en Hongrie et en Autriche) ? Au regard de ces différentes crises, comment l’Union européenne pense-t-elle pouvoir être capable de continuer à assumer une politique d’élargissement, si tant est que les négociations actuellement menées aboutissent ?
Prudence et réalisme doivent donc être de mises à l’avenir ; c’est finalement là tout l’enjeu de l’intégration européenne sous le prisme de la politique d’élargissement.
 
Alexandre Van Gyzegem est étudiant en Droit public et international (Master 2) à l’Université libre de Bruxelles.

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