UE-Ukraine : l'accord d'association déterré [CaféBabel]
13 January 2017 /
Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se sont entendus le 15 décembre sur l’accord d’association avec l’Ukraine, pourtant rejeté par les Néerlandais par référendum quelques mois plutôt. De quoi soulever quelques questions.
« Aftreden en wegwezen » (« Resign and go »). C’est par ce tweet lapidaire de trois mots à l’adresse de Mark Rutte, le premier ministre des Pays-Bas, qu’a réagi Geert Wilders, le sulfureux leader populiste néerlandais, quelques minutes après l’adoption des conclusions par le Conseil européen. A priori rien de surprenant venant d’un opposant à un gouvernement, d’autant plus du chef de file du PPV, qui nous avait d’ailleurs habitués à des déclarations plus fracassantes. Cette déclaration a cependant un objet précis : dénoncer l’accord d’association avec l’Ukraine
Un accord attendu pour 2013
Pour comprendre les enjeux de cet accord, il convient de revenir un petit peu en arrière. Négocié entre 2007 et 2012 par les deux parties, l’Union européenne et l’Ukraine, il était prévu que ce traité, établissant notamment un accord de libre-échange complet et approfondi et libéralisant la délivrance de visas, soit signé le 21 novembre 2013. Victor Ianoukovitch, alors Président ukrainien et russophile, avait finalement décidé de ne pas signer cet accord. Ce qui a déclenché les manifestations de Maidan, sa fuite en Russie et l’arrivée au pouvoir de Petro Porochenko, bien plus enclin à un rapprochement avec l’Union européenne. C’est ainsi que l’ancien « Roi du chocolat » et nouveau Président de l’Ukraine avait relancé le processus et l’accord fut signé, en deux temps, les 21 mars et 27 juin 2014.
Les parlements européen et ukrainien ont donc naturellement ratifié cet accord politique et économique le 16 septembre 2014. L’accord relevant cependant de compétences partagées entre l’Union européenne et ses États membres, la validation définitive de celui-ci nécessitait une ratification de la part des 28 pays de l’Union. C’est là que les choses se sont gâtées. En vertu de règles nationales, les Pays-Bas se sont retrouvés dans l’obligation de convoquer un référendum consultatif sur cet accord, suite à une pétition signée par plusieurs dizaines de milliers de citoyens. Et le 6 avril dernier, les Néerlandais, malgré un taux de participation de seulement 32,2%, ont rejeté cet accord d’association.
Certes, ce référendum n’était que consultatif. Il n’empêche qu’il a mis, à l’époque, le premier ministre Mark Rutte dans l’embarras, ce dernier ayant dû déclarer que « l’accord ne pouvait être ratifié sous sa forme actuelle ».
Des garanties politiques mineures
Les négociations ont par la suite repris, mais l’idée d’adopter l’accord tel quel ne paraissait pas envisageable. Si les décideurs politiques et acteurs de la société civile restaient confiants quant à l’issue, tous s’accordaient à dire qu’il n’était pas possible de ne pas tenir compte des résultats du référendum. C’est notamment ce que déclarait Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois, à son arrivée au Conseil européen. « Concernant l’Ukraine, je suis convaincu qu’on va trouver un accord. Il y a eu un référendum aux Pays-Bas, c’est à respecter, et on trouvera des solutions qui permettront de clarifier la relation entre l’Ukraine et l’Union européenne. Je suis convaincu que d’ici la fin de la journée d’aujourd’hui, nous aurons un accord et que tout le monde pourra le ratifier ».
Finalement, à l’issue de la réunion des chefs d’État et de gouvernement du 15 décembre 2016, l’option qui a été choisie par les différents leaders ne diffère pas du projet de traité qui avait été rejeté quelques mois plus tôt par les citoyens néerlandais. Le Premier ministre néerlandais s’est exprimé sur le sujet quelques minutes après la fin de la réunion. « Ce ne fut pas facile, ce ne fut pas plaisant, mais c’est nécessaire car cela assure que l’Union européenne continue à former un front uni contre la politique étrangère russe de déstabilisation ». Quelques garanties ont été apportées aux Pays-Bas, notamment en ce que cet accord ne confère pas à l’Ukraine un statut de pays candidat à l’accession à l’UE et ne contient pas de garantie de sécurité collective. Mais celles-ci ne constituent pas une révolution juridique au regard du premier texte, puisque l’accord d’association initial ne faisait pas de l’Ukraine un État candidat à l’UE. Le texte doit encore être ratifié aux Pays-Bas, avant de pouvoir entrer en vigueur.
Du pain béni pour les populistes ?
L’adoption de cet accord pourrait néanmoins donner du grain à moudre aux partis populistes à travers l’Europe, en tout premier lieu aux Pays-Bas. Un texte reprenant les principaux points d’un projet rejeté par le peuple, aussi peu important le taux de participation fût-il, pourrait relancer l’idée d’une Union européenne autoritaire, à l’instar de ce qui est encore dénoncé aujourd’hui par les adversaires du TECE et du traité de Lisbonne. Dans un contexte de montée de l’euroscepticisme et du populisme, et à quelques mois d’une élection présidentielle française des plus risquées, cet accord n’est pas nécessairement le plus opportun.
D’un autre côté, les dirigeants avaient-ils réellement le choix ? Dans le bras de fer diplomatique engagé depuis maintenant trois ans avec la Russie sur le dossier ukrainien, et alors que le gouvernement reconnu par la communauté internationale et une large partie de la population de l’ouest de l’Ukraine sont favorables à un rapprochement avec l’Occident, pouvaient-ils vraiment renoncer à cet accord d’association ? Ou fallait-il au contraire tenter d’apaiser les tensions avec Vladimir Poutine et les mouvements séparatistes ukrainiens ? Dans le même temps, de nombreux observateurs s’accordent sur le fait que le vote d’avril 2016 n’était pas un vote contre l’Ukraine, mais contre l’Union européenne. Peut-être que l’adoption du traité n’était donc pas si inappropriée.
Enfin, ceci est le second traité de l’année 2016 qui pose question sur l’adoption d’accords internationaux par l’Union européenne. Après le vrai-faux revirement des dirigeants sur le CETA pour apaiser une opinion publique wallonne hostile à l’accord avec le Canada, qui dans les faits ne change en rien le contenu du texte, c’est cette fois-ci les Pays-Bas qui ont posé problème. Certains parleront d’une nécessaire préservation de la démocratie, alors qu’on peut très bien envisager que le veto de quelques millions d’habitants témoigne de faiblesses démocratiques. Ces actes juridiques posent donc la question des compétences de l’Union en matière de conclusion d’accords et de la ratification de la part de tous les États membres. Peut-être serait-il donc temps de donner plus de pouvoir à l’UE ?
Lucas TRIPOTEAU, pour CaféBabel
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