Une Europe contée : miser sur les récits pour créer une communauté européenne
14 February 2024 /
Carmen Noviello 3 min
Les mots ont le pouvoir de façonner la réalité et ils jouent un rôle social précieux pour la construction d’une identité commune. Les individus utilisent donc le style de la narration pour structurer une réalité qui les entourent et pour donner un sens commun aux événements qui se produisent dans la société (Manners & Murray, 2015).
La fonction structurante de ces histoires gagne une valeur encore plus importante dans le scénario européen. Dès sa naissance, l’idée d’Union Européenne a été forgée par des histoires qui ont accompagnées ses développements, et ce pour des décennies. Cependant, le climat politique semble défier la légitimité de l’UE, qui doit s’engager dans l’élaboration d’un récit institutionnel et formel pour construire un contre-récit solide au discours eurosceptique. Discours qui aujourd’hui encore continue à gagner du terrain et à questionner son action vis-à-vis des États Membres (Bouza García, 2017). Sera-t-elle à la hauteur de cette mission?
Les nombreuses narrations adoptées par l’Union ont suivi deux lignes directrices pour répondre à des exigences différentes. Les institutions sont progressivement passées d’un récit ex ante purement normatif – visant principalement à lancer le projet communautaire et créer l’Union – à un récit ex post, afin de justifier leurs actions et leur rôle, en abandonnant le cadre normatif au profit d’une narration culturelle qui a permis de réduire la distance entre l’Europe et les Européens. La réussite de cette expérience est discutable et les raisons de cet échec sont variables.
Les origines du processus d’intégration européenne et la création d’un marché unique ont été caractérisées par des narrations qu’on pourrait définir comme structurantes. L’Europe comme “un espace de paix et prospérité” (Cloet, 2017) d’abord, et l’idée de “Europe économique” ensuite (Manners & Murray, 2015), ont été le leitmotiv des premiers pas vers l’intégration. D’autres sujets, tels que “L’Europe sociale” (Manners & Murray, 2015) n’ont pas reçu cette attention.
La crise de 2008 constitue un autre moment de shift important dans la façon dont l’Europe va se décrire. Les mécontentements envers une Europe incapable de gérer les crises ont poussé les institutions à s’éloigner de la ligne narrative précédente pour jeter les bases d’un récit culturel et tisser une identité européenne commune (Manners & Murray, 2015). Le dissensus contraignant (Hooghe et Marks, 2005) de la population a forcé l’UE d’un côté à justifier son rôle, et de l’autre à s’engager dans des narrations sociétales, liées aux valeurs plus profondes de l’Union. La citoyenneté européenne, le patrimoine culturel commun, la mise en valeur d’un héritage chrétien européen ne sont qu’une partie des nombreuses idées relancées pour capter l’intérêt et la confiance des citoyens (Forêt & Trino, 2022). Cependant, on peut considérer que la stratégie de communication de l’Union à cet égard n’a pas été couronnée d’énormes succès. Plusieurs raisons peuvent ainsi expliquer cette faiblesse.
Il semblerait que le discours culturel et identitaire – plutôt que d’être le résultat d’une prise de conscience généralisée dans la société du rôle de l’Union- ont été imposés par les institutions selon un procès top-down. Processus qui n’était pas partagé par l’opinion publique et qui ne reflétait pas forcément l’imaginaire commun. (Bouza Garcia, 2017). Cela pourrait être une première raison pour laquelle les récits ne se structurent pas dans la société de façon permanente, ce qui force l’Union à en produire toujours de plus efficaces, sans créer de continuité.
Néanmoins, on ne peut nier que durant ces dernières années, il y a eu des efforts de la part des institutions pour lancer un débat qui implique les citoyens comme protagonistes de la scène publique européenne, en particulier la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Mais même dans ce cas, les idées proposées par les panels citoyens tout au long des débats sur l’avenir de l’Europe ont été réduites à une simple « wishing list », sans effets concrets, ce qui démontre un manque de communication et de réception des discussions dans les décisions politiques. (Oleart, 2023)
Nous pouvons dire que le choix de proposer un récit social et culturel est un défi pour l’Union et un pari sur sa légitimité. Sera-t-il un choix gagnant ? On le découvrira aux urnes.
Maria Carmela Noviello est étudiante à l’Institut d’Etudes Européennes et co-présidente d’ Eyes on Europe.
(Edité par Léa Thyssens)